Récemment, Arnaud, un professionnel de la vente travaillant au sein d’une entreprise de technologie interconnectant le catalogue des producteurs avec celui des distributeurs, sollicite mon avis sur LinkedIn. Il souhaite savoir ce que je pense de la vidéo de Simon Sinek où ce dernier évoque la façon dont les Navy Seals constituent leurs équipes d’intervention en privilégiant la notion de confiance sur celle de performance.
Entendons-nous bien. J’adore Simon Sinek. J’aime son bagout, sa verve. Je suis admiratif devant sa capacité à aller droit au but. Je suis même sensible à sa pointe d’accent posh du sud est de l’Angleterre. Et comme nombre d’entre vous, je suis un fervent adepte de l’idée selon laquelle, en matière de positionnement – mais aussi d’interaction – il est indispensable de démarrer par la finalité (Start With Why), avant de s’intéresser aux modalités (le comment), puis à la chose en soi (le quoi). Mais là, je dois bien avouer que je reste un rien perplexe devant le propos de Sinek. Ma raison et mon expérience me disent qu’il y a quelque chose qui cloche, ou que la démonstration est incomplète. Car j’ai eu la chance, durant mon expérience commerciale, de connaître ces as de la vente, ces divas de la performance intrinsèque, capables de faire fois 10 par rapport à des quotas que seuls 30% de la population des commerciaux atteignait. Et oui, je les reconnais aussi dans la stigmatisation qu’en fait Sinek quand ils les traite de assholes, de trous du cul. Car Dieu sait combien ils peuvent se montrer arrogants, jouer les divas, toiser le reste de l’équipe avec ce petit air de supériorité et de commisération qui donne envie de les baffer. Mais je peux aussi vous dire pour en avoir managé un ou deux que c’est un plaisir d’avoir dans son équipe quelqu’un capable de réaliser à lui tout seule la performance du groupe. C’est un risque majeur, bien sûr, tant ils sont versatiles et difficiles à gérer au quotidien. Mais quel bonheur quand, après avoir trouvé la manière de mettre votre star en situation de s’épanouir au sein de votre équipe, vous pouvez compter sur sa performance pure pour réaliser d’authentiques exploits.
Du coup, je me demande si – contrairement à ce qu’avance Simon Sinek avec tant d’autorité dans le propos – la question n’est pas de savoir s’il faut privilégier ou non la présence de top performers au sein de votre équipe de vente, mais plutôt de savoir comment les manager.
L’Iliade nous donne une clef merveilleuse pour réponse à cette question. Pensez à Achille. Son statut de demi dieu, son talent à guerroyer font de lui le meilleur élément de l’armée des Grecs lors du siège de Troie. Et c’est aussi un asshole, un trou du cul. Il suffit qu’Agamemnon, le chef des Grecs, lui pique sa captive Briséis, pour qu’il se mette dans une colère noire et décide de ne plus porter les armes. Il fait grève. Sans autre forme de procès.
Oui mais voilà. Quand Achille est absent du champ de bataille, les Grecs n’arrivent plus à contenir l’armée des Troyens placés sous le commandement du vertueux Hector. Les Grecs sont acculés sur la grève. Au point où Agamemnon envisage sérieusement de se replier, laissant ainsi la victoire aux Troyens.
C’est à ce moment que certains chefs de guerre de l’armée grecque réagissent. Diomède, fidèle parmi les fidèles est furieux. Il va voir Agamemnon et l’enjoint de continuer à livrer bataille, allant même jusqu’à le taxer de lâcheté. Diomède est rejoint par Nestor, le sage, qui rappelle à Agamemnon ses responsabilités dans le respect du serment de Tyndare et donc son obligation morale à continuer la guerre jusqu’à la récupération d’Hélène. Pire, il met en cause sa stupide arrogance vis-à-vis d’Achille et le poids des conséquences de cet acte inconsidéré d’appropriation.
Car la voilà la clef : Achille, le guerrier capable à la seule force de son bras de changer l’issue d’une bataille, est indispensable à la réussite des Grecs. Sans lui, c’est la défaite garantie. Mais pour qu’Achille mette son talent d’exception au service des siens, il faut que le chef Agamemnon cesse de faire valoir son égo démesuré. Il doit donner du lest à Achille.
Dans la vente, j’ai observé exactement la même chose. Je me souviens d’un certain P. qui réalisait à lui seul, trimestre après trimestre, près de 50% du chiffre d’une équipe de près de 20 commerciaux. P. ne respectait pas bien la règle commune ; il s’estimait au-dessus de ça. C’était le genre de garçon qui pouvait arriver à la fin de la réunion collective hebdomadaire en balançant un bon de commande sur la table et en s’écriant avec un sourire en coin : « Pendant que vous blablatiez pour ne rien dire, moi je suis allé chercher l’argent là où il est, chez les clients ». Si c’est pas un comportement d’asshole, ça, je veux bien prendre soutane sur l’instant. Je me souviens avoir demandé à P. de respecter un minimum de règles en lui montrant combien cet effort léger lui éviterait de devenir haïssable aux yeux de ses confrères et consoeurs. Pour le reste, je lui foutais une paix royale et une autonomie presque absolue dans la conduite des affaires. Fort de ce traitement de faveur, P. était en condition de donner le meilleur de lui-même : il explosait ses objectifs et contribuait, ce faisant, à notre réussite collective. Nous avions trouvé l’accord parfait.
En résumé, s’aliéner la présence d’un individu au talent exceptionnel au sein d’une équipe de vente relève de l’absurde. Car ces individus ont aussi la propriété de tirer la performance de l’ensemble de l’équipe vers le haut. Pour revenir à l’Iliade, il a du reste suffi qu’Achille reprenne les armes pour venger la mort de son ami Patrocle, pour que l’ensemble des guerriers grecs se voient pousser des ailes et repoussent en une seule bataille les Troyens à l’intérieur de leurs murailles. Mais avoir dans son équipe pareille figure nécessite de la part du manager une position d’humilité, rare à trouver.
L’Iliade nous le montre. Sans la valeur d’Achille, sans le courage de Diomède qui se rebelle contre l’autorité d’Agamemnon, sans la sagesse de Nestor qui suggère d’envoyer une ambassade pour apaiser la colère d’Achille et plus tard, sans la métis, l’intelligence rusée d’Ulysse, l’armée des Grecs placée sous l’autorité de ce chef prétentieux qu’était Agamemnon eût perdu la guerre à Troie.
Pour revenir à la vente, les plus belles équipes que j’ai vues comportaient toujours en leur sein des désobéissants de génie, des loups solitaires inspirés et des matois de première. Ce qui faisait la différence, c’était toujours le manager, dans sa capacité à favoriser la diversité des tempéraments et des expériences dans le recrutement, puis à s’adosser à un processus de vente commun, cette lingua franca de l’exécution, pour laisser s’exprimer la performance de chacun tout en l’encadrant.
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PS : Dans le même ordre d’idée, je vous invite à voir (ou revoir) le film de Bertrand Tavernier intitulé Capitaine Conan. C’est à peu près la même histoire que vous y verrez, ou comment, dans le contexte de la guerre de 14 cette fois, un guerrier exceptionnel réussit, à la tête d’une poignée d’hommes, à renverser le cours de la guerre sur le théâtre d’opérations des Balkans. Heureusement pour lui, sa hiérarchie militaire lui autorise une liberté de manoeuvre et de décision presque absolue. Sauf, lorsqu'il s'agit de récompenser les mérites. Les hauts dignitaires de notre armée sauront à ce moment jeter aux oubliettes le capitaine Conan et ses hommes, au point de s'approprier sans vergogne les lauriers de la victoire...
Il y a quelques jours, je publiais sur cette tribune le retour sur les prédictions 2019 associées au monde de la vente B2B. Il est temps maintenant de vous faire part de ce que je vois poindre en 2020, sous la forme, encore une fois de 10 prédictions. Et toujours pour le même domaine, à savoir la vente en environnement B2B. Les voilà :
Prédiction n°1 – Les responsables commerciaux vont s’attaquer au problème n°1 lié à l’absence de performance : le peu d’interactions.
C’est un peu l’éléphant dans la pièce : tout le monde le voit, mais personne n’en parle. Une étude récemment publiée par McKinsey montre le problème, nous permet d’en apprécier l’ampleur, mais – allez savoir pourquoi – ils parlent de tout autre chose. Ce problème est pourtant bien simple à exposer : plus les commerciaux passent de temps en interactions avec leurs clients et leur écosystème, mieux ils réussissent.
Cela relève de l’évidence, de la lapalissade. Et pourtant, combien de fois m’a-t-on dit cette année, alors que je traversais un plateau où les commerciaux étaient rivés devant leur écran de travail, que le problème de sous-performance était lié à, que sais-je, un manque de leads en amont de l’entonnoir de conversion, un manque de résilience, voire de la paresse. En général, il ne me fallait pas longtemps pour voir que les commerciaux avaient en réalité l’un et/ou l’autre des deux problèmes majeurs que sont, un, le fait de confondre l’idée d’interaction avec une action précise comme faire une présentation (pitch), une démo, une proposition et, deux, un temps perdu colossal à préparer de belles présentations, de jolies diapositives.
Les prédictions n°2 et n°3 traitent de la résolution des deux problèmes mentionnés ci-dessus
Prédiction n°2 – Les responsables commerciaux vont porter un regard de plus en plus critique sur le schéma d’interactions induit par l’exécution des étapes de leur processus de vente actuel.
Après avoir cédé avec jubilation à la mode du pitch venue des Etats-Unis, beaucoup de professionnels commencent à en dénoncer les travers.
De la même façon, je m’attends à ce que la totémisation de la démo décroisse cette année. Pratiquement, cela devrait se manifester sur les sites web par l’apparition de plus en plus fréquente d’appels à interagir (comme sur le site de Cience, ici) en remplacement des boutons ô combien déprimants de type [DEMANDEZ UNE DEMO] ou [REQUEST A DEMO].
Est-ce le glas du fameux [ Rendez-vous > Pitch > Démo > Propale > Relance ad nauseam > Négo > Closing ], ce que je range dans la catégorie des processus de vente imbéciles ? Certainement pas. J’ai malheureusement trop souvent noté combien, dans le monde de la vente de produits de technologie, la soumission à la doxa qui nous venait de la Silicon Valley l’emportait sur une analyse critique de la façon dont les clients achetaient. Pour autant, je vois de plus en plus de constats d’échec chez des responsables commerciaux ayant octroyé une confiance aveugle aux schémas made in USA. Ces responsables sont maintenant suffisamment nombreux, me semble-t-il, pour dessiller leurs yeux et se plonger sur l’indispensable refonte de leur processus de vente.
Prédiction n°3 – En privilégiant l’interaction humaine, les dirigeants commerciaux vont s'assurer que leurs équipes passent moins de temps à préparer de jolies présentations.
Récemment, le directeur général d'une start-up que j’ai accompagnée en 2018 me disait combien ils avaient gagné en efficacité commerciale depuis qu’ils avaient abandonné l’idée de faire des présentations clients aux petits oignons. Il me disait avoir observé une multiplication par 5 de la productivité commerciale après avoir supprimé l’utilisation de PowerPoint pour élaborer ces fameuses présentations personnalisées.
Sans aller jusqu’à cette position extrême, je prédis que nombre de dirigeants commerciaux vont s’attaquer à ce qui représente aujourd’hui entre 20 et 40% du temps passé des commerciaux B2B : la sacro-sainte préparation des présentations. Certains pourront aller jusqu’à faire appel à des technologies de génération automatique de présentations personnalisées à l’image de ce que peut proposer, en France et bientôt à l’international, une société comme Bricks (C’est juste dommage qu’ils proposent une démo dès la page d’accueil de leur site web).
Prédiction n°4 – La vidéo va se tailler la part du lion pour tout ce qui a trait à la gestion des comptes rendus d’entretien de vente.
C’est un paradoxe de notre monde moderne. Les qualités rédactionnelles des nouvelles générations se sont dégradées de façon dramatique. Et pourtant, ces mêmes générations nouvelles passent leur temps à écrire/lire. Mais elles le font sur leurs smartphones, selon des formats (SMS, tweets) autorisant l'utilisation d'un nombre limité de caractères.
Or un compte rendu d’entretien commercial nécessite souvent plus de 140 caractères pour être complet.
En face, côté récipiendaires, les temps de lecture s’amenuisent, en raison inverse de l'accélération du taux de remplissage des boîtes email.
C’est au croisement de ces deux tendances lourdes – dégradation des qualités rédactionnelles d’un côté et amenuisement du temps d’attention de l’autre – que les responsables commerciaux peuvent trouver un grand avantage à l’utilisation et l’adoption de la vidéo comme médium de support des comptes rendus d’entretiens de vente.
Sur ce terrain, elles pourront tirer profit à travailler avec une entreprise comme EasyMovie, qui réalise un travail remarquable sur le sujet. Si vous allez sur leur site, vous remarquerez qu’ils ont remplacé le fameux [REQUEST A DEMO] par un [REQUEST A CONSULTATION], propice à la concrétisation d’un échange.
Prédiction n°5 – En termes de gestion du portefeuille d’affaires en cours, les responsables commerciaux vont mettre l’accent sur le suivi de la vitesse d’écoulement entre les étapes.
Dans le domaine de la gestion de portefeuille d’affaires en cours, communément appelée « pipeline management », jusqu’à présent, l’accent a été porté presque exclusivement sur la notion de volume. Tout le monde s’entendait à dire que, pour réussir, il fallait des pipelines représentant trois fois l’objectif. Il s’agit là d’une des croyances les plus contre-productives qui soit en matière de pilotage de la performance et j’ai pu m’en expliquer ici.
En effet, à une époque où nous sommes soumis au diktat de l’accélération permanente, il est plus qu’étonnant que nos responsables commerciaux se contentent de gérer leur portefeuille d’affaires en cours comme un stock. Nous avons atteint, je crois, les limites du modèle de pilotage reposant sur le seul volume.
Cette année, nous devrions voir de plus en plus de responsables des ventes inclure la dimension vitesse/vélocité dans leur façon de piloter la performance, en complément de la notion de volume. Finies les incitations absurdes au remplissage de pipeline à tout crin ! Mais attention ! Cela va induire une remise en cause profonde de la pratique managériale. sans même parler des modifications vraisemblables à apporter au système d’automatisation des ventes ou CRM.
Prédiction n°6 – Seules les ventes durables comptent ou, autrement exprimé, l’adoption devient le nouvel indicateur clé de la performance commerciale.
L’an dernier, aux Etats-Unis, on a pu voir des directeurs commerciaux perdre leur poste du jour au lendemain, non pas parce qu’ils avaient raté leur objectif de nouveaux logos, mais parce que le taux de défection (communément appelé churn dans la profession) était trop élevé. Dans le nouveau référentiel de performance induit par le développement de la société de l’abonnement – conceptualisé avec brio par Tien Tzuo, le patron de Zuora – ce qui compte, ce n’est pas le « gros deal » signé façon « one shot », ce qui compte, c’est la capacité à stimuler l’utilisation dans le temps des produits vendus chez les clients. Car qui dit utilisation dans le temps, dit adoption et qui dit adoption dit inscription dans la durée et donc renouvellement garanti des abonnements.
Là encore, nous voyons la dimension temps devenir primordiale dans la gestion de la performance commerciale. Dans la prédiction n°5, j’évoquais la réduction des temps de réalisation des étapes préalables à la signature de l’abonnement année 1 ; ici, il s’agit en revanche de créer les conditions d’utilisation durable des produits et services pour viser l’allongement maximal dans le temps de la relation commerciale.
Prédiction n°7 – En conséquence de la prédiction n°6, la fragmentation des rôles commerciaux va se poursuivre en 2020.
Lors des années passées, nous avons vu exploser le nombre de nouveaux rôles commerciaux. Nombres de nouveaux acronymes se sont fait jour : SDR, BDR, AE, AM, KAM, CSM étant les plus fameux.
Cette année, je prédis un beau développement à un tout nouveau rôle : les sherpas. Vous connaissez tous l’histoire du sherpa Tensing Norgay, qui a accompagné Edmund Hillary jusqu’au sommet, lors de la première ascension humaine de l’Everest, en mai 1953. Le sherpa, c’est la personne qui aide son client à atteindre son objectif. C’est lui qui l’aide à s’approprier la nouvelle technologie que vous lui avez vendue, lorsque ce dernier fait ses premiers pas avec.
Comme notre monde est obsédé par l’utilisation de termes anglais, ils sont nommés aujourd’hui les « onboarders »[1].
Prédiction n°8 – Devant l’ampleur des chantiers de transformation – fragmentation de l’organisation des ventes, refonte de l’expérience d’achat client, déplacement du curseur de valeur dans le temps, inclusion de la dimension vitesse dans l’analyse de la performance, les responsables commerciaux vont créer (ou étoffer, si c’est déjà fait) les départements « sales enablement » et « sales operations ».
A ce titre, je prédis un beau développement de ces fonctions durant l’année 2020. Pour autant, comme il s’agit de fonctions nouvelles, un certain temps sera requis pour bien appréhender leur périmètre d’intervention et il est à prévoir des conflits de frontières entre direction commerciale, sales operations et sales enablement.
Prédiction n°9 – Les responsables commerciaux vont passer plus de temps auprès de leurs équipes pour les coacher
Aussi triste que cela puisse paraître, le management commercial s’articule encore trop souvent autour du fameux modèle d'intervention « carotte/bâton ». Cela induit un rituel savamment orchestré autour d’événements hebdomadaires comme, la « relève des compteurs » et les « revues de quéquette » (comprendre revues d’affaires en cours, de prévisions), trimestriels comme « les QBRs », ou annuels comme le sacro-saint « kick-off » ou « grande messe » et le non moins ncontournable « Quota Club ».
Dans ce modèle traditionnel, très peu de temps était alloué au développement personnel et professionnel des commerciaux. Je prévois que la transformation dans laquelle est engagé le monde de la vente aujourd’hui va nécessiter une attention plus grande de la part des managers autour du coaching et du développement de compétences. Après tout, les bons vendeurs sont rares sur le marché : cela reste une des professions avec le plus gros écart entre une demande très soutenue et une offre d’autant plus faible que la profession jouit toujours d’une image dégradée.
Par suite, comme la profession ne pourra pas poursuivre ad vitam aeternam la spirale ascendante folle vers des packages de rémunérations toujours plus élevées, la capacité du management à développer les compétences des équipes va devenir un facteur de performance intrinsèque, mais aussi de rétention des meilleurs talents rendus moins sensibles aux appels de sirènes financiers.
Prédiction n°10 – En 2020 apparaîtront les premières applications significatives de l’IA appliquée à la vente B2B
A chaque fois que j’ai échangé avec des leaders commerciaux sur la pauvreté des applications analytiques associées à la conduite de l’activité de vente, il m’a été répondu que cela tenait essentiellement au peu de données disponibles ou à l’absence de fiabilité de ces dernières.
Avec d’un côté, le déploiement et l’utilisation désormais mainstream des systèmes de CRM, d’un autre la mise en place de démarches de collecte et d’interprétation de données d’interaction (comme ce que peuvent faire des sociétés comme Gong ou Chorus) et enfin, l’existence de plateformes de data science comme celle proposée par Dataiku, je ne serais pas surpris de voir apparaître de très belles choses en la matière. Mais quoi ? Mystère et boule de gomme…
Voilà pour mes dix prédictions pour 2020.
Pour autant, j’aimerais partager avec vous une autre prédiction, qui s’apparente plus, celle-là, à un vœu pieux qu’à une prédiction en tant que telle. C’est une sorte de « bonus », donc, qui couvre 2020 mais s’applique à mon sens sur un arc temporel beaucoup plus long. Je le libellerais ainsi :
BONUS – A partir de 2020, les organisations commerciales les plus performantes dans le domaine B2B seront celles qui auront su développer une forte culture autour des trois piliers fondamentaux que constituent des histoires, des symboles et des rituels partagés.
Comme l’explique merveilleusement Devdutt Pattanaik dans sa conférence TED consacrée à la façon dont les mythes et mythologies influencent nos façons de faire, c’est en forgeant une forte culture fondée sur des croyances communes que les managers pourront voir se développer les comportements désirables, comportements qui eux-mêmes induiront la performance économique attendue.
Quant au lien entre culture et performance, il suffit de prendre l’exemple récent de Microsoft pour comprendre de quoi il en retourne. Quand Steve Ballmer, tenant d’une culture de la vente à outrance, quitte la société en 2014, l’action de la société s’échange à 28$. Satya Nadella le remplace. Dès lors, il n’a eu de cesse de focaliser l’attention des salariés sur la construction d’une toute nouvelle culture, en rupture absolue avec celle de Ballmer et de son engouement (souvent ridiculisé) à bourrer les étagères des distributeurs avec des boîtes de produits de la maison. C’est au point où Satya Nadella est allé jusqu’à expliquer que le C de CEO signifiait avant tout « culture ». Aujourd’hui, après avoir re-formé l’intégralité des salariés de Microsoft autour des piliers de la nouvelle culture promus par Nadella, l’action vaut autour de 160$, soit un facteur 5 par rapport à la fin de l’ère Ballmer.
Alors voilà, mon vœu est que je voie en 2020 de plus en plus de sociétés développer des cultures ambitieuses dans lesquelles le chiffre d’affaires n’est plus l’indicateur clé à suivre de façon obsessionnelle, mais la résultante de comportements de vente visant à procurer une satisfaction toujours plus grande aux clients.
Bonnes ventes !
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[1] Malheureusement – et ce pourrait être une prédiction annexe quoique parfaitement ridicule – comme nous adorons aussi nous exprimer en acronymes, je vous fiche mon billet que les « onboarders » vont finir par être désignés par les deux lettres « OB », ce qui, mis dans nos bouches et au pluriel, nous promet quelques rires gênés ou quelques mines offusquées.
Très bonne année à toutes et à tous !
Comme lors de chaque nouveau millésime, il est de coutume de formuler des résolutions et des prédictions. Cette année, je me plierai à nouveau de bonne grâce à cet exercice, si difficile et prétentieux soit-il. Mais avant de vous proposer mes 10 prédictions sur l'évolution du métier de la vente en environnement B2B sur 2020, je voudrais faire un retour arrière sur les prédictions que j'avais formulées il y a un an pour l'année 2019 et jeter un regard critique sur ces dernières.
Voilà ce que j'avais énoncé il y a un an :
NI OUI NI NON - Pas de changement depuis l’article de la HBR du printemps 2017 faisant référence sur ce sujet et où était évoqué le chiffre moyen de 6,8 personnes
PILE DANS LE MILLE – Avec le développement des modèles à base de souscription, l’activité post-achat initial est de plus en plus modélisée et prend une tournure de plus en plus commerciale. Il n’est qu’à voir les nouveaux rôles commerciaux qui fleurissent : Customer Success Manager, Onboarding Specialist, etc. Autant de descriptions de postes nouveaux renvoyant à une activité commerciale après achat initial.
( Source du graphique : https://winningbydesign.com/saas-role-definitions/ )
Pour autant, les directions générales restent focalisées sur la croissance de nouveaux logos. Pas étonnant dans ce contexte que Forbes ait publié tout récemment un article sur ce sujet.
A COTE DE LA PLAQUE – Je dois reconnaître ma déconvenue sur ce sujet. Je n’ai pas noté de changement clair ici, alors qu'il me semble s'agir de très loin de l'action la plus simple à mener pour un retour sur investissement sans pareil. Mais voilà, la réalité c'et que les clients continuent à demander des niveaux de rabais extravagants et les vendeurs – trop souvent – s’y conforment. Je reste consterné.
OUI, MAIS TOUT DOUX.
PILE DANS LE MILLE – Dans la continuité de l’article de Forbes déjà mentionné un peu plus haut, les entreprises découvrent qu’elles doivent internaliser la compétence de prospection sortante après avoir cru que le « tout inbound » allait apporter une solution parfaite et non intrusive à la nécessaire alimentation du haut des tunnels de conversion.
A COTE DE LA PLAQUE – Le bullshit nombriliste a encore frappé très fort en 2019. Il n’est qu’à voir la façon dont Adam Neumann a réussi à maintenir au plus haut la valorisation de sa société WeWork, au mépris de l’observation la plus simple de ses résultats. A peine quelques jours avant son introduction en bourse planifiée en septembre 2019, WeWork valait 47 milliards de dollars US. Fin octobre, elle ne valait plus que 8 milliards de dollars US. Qu’est-ce qui avait changé entre temps ? La découverte du pot aux roses – une société faisant plus de pertes que de CA – le tout caché par le discours hyperbolique de son fondateur charismatique.
Une analyse amusante de Scott Galloway montre pourtant l’existence d’une corrélation négative entre bullshit et performance boursière :
PILE DANS LE MILLE – … mais plus lentement que prévu. La prédiction de 2017 du Gartner stipulant qu’en l’an 2020, 85% des interactions avec les clients s’effectueront sans vendeur humain me semble un rien capillo-tractée.
BOF – Je n’ai rien vu de très probant sur le sujet… Et vous ?
PILE DANS LE MILLE SUR LES HISTOIRES – Je sais combien le propos risque d’irriter, mais d’un strict point de vue de performance, Adam Neumann, le fondateur de WeWork est sans l’ombre d’un doute le meilleur vendeur de l’année 2019. Il aura en effet réussi à toucher une commission de plus d’un milliard de dollars après avoir fait perdre 39 milliards de dollars à ses actionnaires. Qui dit mieux ? Maintenant, à la question de savoir comment tant de personnes ont pu se laisser gagner par pareille hallucination collective, la réponse qui est venue à nombre d’analystes renvoyait à la capacité de Neumann à raconter l’histoire (ou les histoires) que ses interlocuteurs avaient envie d’entendre. Témoins, ces trois commentaires ou citations tirés d’un article de Libération. Matt Levine, chroniqueur de Bloomberg et ancien trader dit : « Neumann a créé une entreprise qui a détruit de la valeur à un rythme effréné, mais en a néanmoins extrait 1 milliard de dollars pour lui-même. Il a mis le feu à 10 milliards de l’argent de Softbank puis il est retourné les voir et a exigé une commission de 10 %. Quelle légende absolue. » Ou encore Shmuel Ben Arie, chef d’investissements pour le fonds Pioneer Wealth : « Le génie d’Adam Neumann est d’avoir su vendre une histoire, une illusion si vous voulez. La sous-location de bureaux sur des baux courts, ça existe depuis 1962, et des boîtes font ça avec succès depuis des décennies [IGW, rival de WeWork, fondé en 1989, est rentable et coté à la Bourse de Londres, ndlr]. Ce que Neumann a "inventé", c’est la possibilité pour presque n’importe quel freelance ou start-up à 2-3 employés d’avoir des bureaux à la Google, avec une tireuse à bière à chaque étage, une PlayStation tous les 2 mètres, des tables de ping-pong et des cuisines stylées. Idée brillante, mais ce n’est pas de la technologie. C’est commodifier le "lifestyle" du monde de la tech. Mais il n’y a pas un brevet ou une ligne de code derrière tout ça, n’importe qui peut faire la même chose demain. » Pour finir, Shmuel Ben Arie, ajoute : « Aujourd’hui, chaque fonds veut sa licorne. Si tu n’en as pas dans ton portfolio, c’est comme si tu n’existais pas. Ce qu’a fait Neumann, c’est coller une corne sur un cheval, et c’est ce que l’actionnaire voulait voir. »
EN REVANCHE, LOUPE MAGISTRAL SUR LA CAPACITE DES VENDEURS A PARLER INTELLIGEMMENT DE CE QUE D’AUTRES CLIENTS FONT AVEC LEUR OFFRE – Sur ce registre, il suffit d’écouter les patrons de start-ups invités sur BFM TV parler de leurs clients. Cela reste triste à pleurer et je me demande bien ce que les entreprises attendent pour documenter les belles histoires relatives à la façon dont leurs clients utilisent leurs produits et services. C'est rigolo, sympa, on apprend une foultitude de choses, c'est riche en anecdotes de tout poil et... c'est bigrement utile en phase de prospection !
PILE DANS LE MILLE – Une requête Google Trends sur le sujet… Et hop ! Confirmation du propos, même si la courbe de l’intérêt sur le sujet ne chute pas aussi vite que ce à quoi je m’attendais.
Voilà.
En attendant les prédictions pour 2020, que je vous promets dans les jours qui viennent, je vous adresse à nouveau mes meilleurs voeux de bonheur et de réussite pour cette nouvelle année qui vient tout juste de démarrer.
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PS : Ce billet a fait l'objet d'une double parution sur LinkedIn : ici en français et là en anglais.
Léa en était à son 7ème mois de grossesse quand l’envie – ou plutôt l’arrivée prochaine de bébé – lui dicta la nécessité d’aller s’acheter une voiture.
Le sujet ne l’intéressait pas plus que ça. Alors, sur recommandation de ses proches, elle alla voir un premier concessionnaire, que, pour les besoins de la cause nous appellerons Paul.
Dès que Léa franchit les portes de la concession de Paul, il ne fallut pas longtemps à ce vieux routier de la vente de voitures pour savoir quoi lui proposer. Compétent en diable, Paul savait qu’il y avait quatre fonctionnalités clés à proposer à une femme enceinte :
A peine Léa lui eût-elle confirmé son besoin d’un nouveau véhicule équipé pour accueillir bébé que Paul la conduisit vers un modèle bien précis. Il ouvrit le hayon arrière en baladant son pied sous la plaque d’immatriculation arrière du véhicule et fit l’article des 510 litres de contenance, montra les dispositifs de fixation Isofix au niveau de la banquette arrière et évoqua l’existence du miroir en option… Léa n’avait pas eu le temps de souffler. En 5 minutes chrono tout avait été dit. Paul avait réponse à toutes les questions que Léa pouvait poser. Mieux, il apportait les réponses avant que Léa ne formule les questions, sur l’air de : « Les jeunes mamans veulent… » Bref, Paul était ce que les experts en socio-types de la vente appellent un pur « challenger », à savoir quelqu’un qui fait découvrir à son client des besoins auxquels il n’aurait même pas pensé lui-même.
Pourtant, Léa ne se sentit pas très à l’aise à l’issue de son échange. Elle bégaya un commode : « Je vais réfléchir, en parler à mon mari et je reviens vers vous… » Ce qui aurait dû alerter Paul, tant il est vrai que la vraie signification de cette phrase est : « Merci pour tout. Mais jamais, au grand jamais, je ne viendrai acheter chez vous. »
En sortant de la concession, Léa avisa la présence d’un autre marchand de véhicules juste à côté. Comme l’entretien avec Paul avait été court, Léa se dit qu’elle pourrait profiter du temps disponible pour voir si elle aurait une expérience similaire chez ce nouveau concessionnaire. Elle entra, donc. Un certain Thierry la reçut et lui demanda ce qui l’amenait chez elle. Après avoir écouté l’objet de la visite, Thierry dirigea Léa vers un modèle de la marque. Comme Paul, il s’arrêta à l’arrière du véhicule. Léa se dit que le même cinéma allait recommencer : le balayage du pied, les centaines de litres, les fixations Isofix et le miroir bébé…
Quelle ne fut sa surprise quand, au lieu de voir le vendeur lancer son pied façon joueur de judo préparant une balayette sur son adversaire, elle entendit l’injonction suivante : « Imaginez ».
Thierry ne bougeait pas ; il était silencieux et voulait vérifier que Léa était tout ouïe.
Quand il eut l’assurance que son interlocutrice était attentive à son propos, Thierry lui dit :
« Imaginez que vous êtes avec votre enfant en poussette et que vous venez à peine de terminer les courses. Poussant la poussette d’une main et le caddie de l’autre, vous arrivez devant le coffre arrière de votre véhicule. Vous voyez la scène ? »
Léa opina du chef.
« Comment vous sentirez-vous ? »
« Embarrassée », répondit Léa. « Et encore, le mot est faible ».
« Comme je vous comprends », reprit Thierry. Et il embraya aussitôt : « Imaginez maintenant que sans avoir à lâcher la poussette ou à tenter un mouvement improbable avec votre caddie, vous pouviez juste vous placer face au hayon arrière de la voiture et, d’un simple mouvement de balayage du pied, déclencher l’ouverture du coffre… Qu’en pensez-vous ? Tenez. Essayez, vous-même. »
Léa ne se fit pas prier ; elle était aux anges.
Maintenant que le coffre était ouvert, Thierry demanda à Léa si elle le trouvait assez grand pour contenir la poussette une fois pliée et les sacs de provisions.
Léa acquiesça.
Puis, usant toujours de la même démarche, Thierry mit en scène l’art et la manière d’attacher le siège-coque ou la nacelle de bébé, ou pour reprendre le franglais des jeunes parents aujourd'hui, « clipser le cosy ».
Enfin, il posa une question légèrement anxiogène à Léa : « Dites-moi », avança-t-il, « lorsque vous conduisez et que vous êtes seule avec votre enfant, cela ne vous gêne-t-il pas de ne pas pouvoir le voir lorsque vous jetez un coup d’œil dans le rétroviseur ? »
« Bien sûr », reconnut Léa.
« Maintenant dites-moi, chère Madame, » dit Thierry avec un sourire entendu au bout des lèvres, « à chaque fois que vous voulez voir votre bébé, vous sentiriez-vous plus rassurée si vous pouviez jeter un coup d’œil dans le rétroviseur, voir un miroir accroché au-dessus du siège-bébé et, à partir de ce miroir, découvrir le visage de votre enfant ? »
Léa partit d’un grand éclat de rire ; elle était conquise par l’approche de Thierry.
Que s’était-il passé ? Après tout, tant Paul que Thierry maîtrisaient aussi bien les caractéristiques à mettre en avant pour une jeune maman ou un jeune papa. Pourtant, l’interaction avec Paul s’était soldée par un échec cuisant et celle avec Thierry, par un succès flamboyant. Où était la différence ? Dans l’art de mener la conversation. Paul ne converse pas ; il explique, il étale son expertise, il enseigne de façon experte. Thierry, en revanche, est un prince de l’interaction : il sait mettre en sourdine sa compétence technique pour se consacrer à son interlocutrice et l’aider à découvrir par elle-même les besoins qu’elle ne sait même pas avoir. Thierry est un maître de la maïeutique socratique comme illustrée dans le dialogue entre le maître et l’esclave de Ménon. Paul donne des informations factuelles ; il donne à entendre. Thierry, en revanche, met en scène ; il donne à voir. Paul émet des avis sans appel ; il monologue. Thierry, lui, recherche sans cesse la contribution de Léa ; il dialogue.
En résumé, comme le disait si bien mon mentor Dan quand il enseigne des ateliers de formation commerciale, « Expertise Plus Enthusiasm is Your Worst Enemy », soit, en bon français, « l’expertise couplée à l’enthousiasme est votre pire ennemi. » A contrario, l'expertise mise au service d'un art consommé du questionnement constitue le sésame du succès.
Lorsque j’anime des formations commerciales, je demande régulièrement des retours aux participants pour savoir ce qui leur a le plus plu.
Récemment à la question de savoir ce qui l’avait le plus marquée, Léa, une participante, répondit : « Depuis le début de cette formation, je me rends compte que tu nous fais basculer du JE au TU ». C’est sans doute le plus beau compliment que Léa pouvait me faire.
En effet, pour des raisons qui me paraissent on ne peut plus obscures, les vendeurs ont tendance à parler à la première personne. Moi, moi, moi… Mon offre fait ci, mon offre fait ça… Cà, c’est au moment de la « déballe », c’est-à-dire lorsque le commercial présente ou démontre son offre. Mais la litanie du « moi, moi, moi, nous, nous, nous » ne s’arrête pas là. Lorsque le client énonce ses préoccupations de mise en œuvre, le commercial dira « ne vous inquiétez de rien », suivi au choix d’un « nous ferons tout » ou d’un « c’est facile ». Enfin, au moment de la conclusion, le commercial tentera de résister aux demandes de rabais en expliquant « je voudrais bien, mais je ne peux pas ». Je, je, je… Narcisse est aux commandes, même quand il fait aveu d’impuissance.
Depuis l’émergence ici ou là de sociétés spécialisées dans d’analyse et le décryptage en temps réel des conversations de vente, nous disposons de données objectives sur ce qui marche et ce qui ne marche pas. C’est pourquoi je peux affirmer avec autorité que la démarche de vente centrée sur le « JE » est vouée à l’échec. Et a fortiori si le processus de vente en place renforce le narcissisme ambiant à travers des étapes dont les libellés renvoient à des actions du commercial : j’ai pris un RENDEZ-VOUS, j’ai fait « ma » PRESENTATION, j’ai fait « ma » DEMO, j’ai fait « ma » PROPOSITION… A l’inverse, dans l’optique qui consiste à privilégier le « TU », le processus de vente aura des étapes très différentes illustrant cette fois les progrès réalisés par le client dans sa démarche d’achat de vos produits et services. Vous aurez par exemple pour étape le fait que le client ait reconnu un ENJEU, qu’il visualise une SOLUTION embarquant votre offre, qu’il vous donne ACCES AUX DECIDEURS, qu’il négocie avec vous une PLAN D’EVALUATION PARTAGE, qu’il valide les CONDITIONS JURIDIQUES, etc. En termes d’interaction aussi, tout change : finies les présentations (et croyez-moi, ce n’est pas parce que vous remplacerez le mot présentation par celui de pitch aux connotations plus anglo-saxonnes, donc plus modernes, que cela changera grand-chose). Au lieu de dire « je vais vous montrez mon offre » (expression jugée la moins efficace dans la vente selon Gong), vous allez privilégier des formulations comme « Imaginez, la situation suivante… comment vous sentiriez-vous si… vos collaborateurs pouvaient faire ci et ça…». Et, ô surprise, l’expression « imaginez » apparaît, toujours selon Gong, comme l’expression la plus fortement corrélée au succès dans la vente.
Tout cela n’est valable, bien sûr, que si vous restiez maîtres de l’agenda et ne deveniez pas les bene oui oui de la relation, disant oui à toute demande du client. Dans ce cas extrême, le soi-disant centrage client s’apparenterait à de la servilité pure et simple. Accueillir l’autre, le TU, n’est pas s’aplatir devant l’autre à travers des formules obséquieuses. Susciter l'expression du TU, c’est, dans la lignée des travaux d’Emmanuel Levinas, accepter l’inconnu de l’autre, sa part de silence et d’indéterminé. C’est éviter de le rabattre dans les plis du connu pour vous mettre à son écoute ; c’est éviter de procéder à des identifications qui effacent l’altérité radicale. C’est vous montrer ouvert au mystère de l’autre.
En professionnelle de la vente, Léa sait que le basculement vers le TU n’a rien d’évident : « A la fois car cela change radicalement la structure de notre langage et l’impact inconscient que nous avons sur la personne en face. Mais c’est le plus grand challenge pour nous. Nous sommes tellement habitués à parler de nous que nous en avons oublié les autres ». Pourtant, ce basculement n’exige pas l’abandon du JE. Bien au contraire, votre questionnement et votre écoute engagent votre responsabilité. Et c’est dans votre ouverture à l’autre, dans votre façon d’aider votre interlocuteur au dévoilement de ses enjeux, de sa solution, de ses doutes, de ses croyances que vous affirmerez votre propre individualité, votre JE, reflété dans le regard de l’autre.
Voilà enfin le JE et le TU réconciliés.
A plusieurs reprises (ici et là), j'ai eu l'occasion de mettre en garde contre les dangers intrinsèques liés à l'utilisation de la méthode BANT.
La méthode BANT - acronyme de Budget, Autorité, Need (besoin) et Temps - a été développée à l'origine chez IBM dans les années 60. Oui, je sais, ça ne nous rajeunit pas... Elle a été conçue pour identifier des projets liés à l'acquisition de mainframes, ces gros ordinateurs dont la marque aux trois initiales emblématiques a été le leader incontesté pendant des décennies. Idéale pour aller chercher des budgets, la méthode BANT est très bien adaptée pour les leaders de chaque catégorie de marché. Si je m'appelle Oracle, il me suffit d'aller chercher des budgets bases de données pour avoir la quasi-assurance qu'ils tomberont dans mon escarcelle. Pareil pour SAP sur les ERPs, Google sur la publicité en ligne ou Salesforce pour le CRM. Maintenant, pour peu que vous n'ayez pas un nom aussi prestigieux que ceux que je viens de citer et que votre société, une startup, intervienne sur un domaine encore peu référencé, croyez-vous que des budgets auront été alloués pour vous, ou ne serait-ce que pour la catégorie de marché sur laquelle vous opérez ? C'est peu probable. Par suite, aller chercher des BANTs dans pareil contexte devient illusoire, pour ne pas dire contre-productif.
Maintenant, laissons de côté le bon vieux BANT pour nous intéresser à une autre de ces méthodes de qualification très à la mode. J'ai nommé MEDDIC (ou MEDPICC ou encore MEDPICCC) selon les courants de pensée. Contrairement au BANT plutôt utilisé lors des phases de détection d'opportunités et donc par des populations de type BDRs ou SDRs, MEDDIC se veut une méthode de qualification d'affaires en portefeuille. Elle est plutôt d'usage chez ou auprès des commerciaux de terrain.
Là encore, intéressons-nous à la genèse de cette méthode. Elle a été inventée durant les années 90 par Jack Napoli, alors qu'il était directeur commercial chez PTC. A cette époque, PTC était la société leader dans le domaine de l'édition de logiciels de conception assistée par ordinateur. Depuis lors, de l'eau a coulé sous les ponts et la société PTC a été largement distancée par Dassault Systèmes, en dépit de méthodes de vente réputées très agressives.
Comme pour le BANT, les lettres de MEDDPICCC renvoient toutes à une idée clé, ou encore un critère de qualification :
Comme le BANT, cette méthode a le mérite de constituer une "checklist" des choses à vérifier pour savoir si tout va bien.
Pourtant, là encore, la méthode est marquée par les conditions de son origine. Née au sein d'un groupe leader, elle accorde peu d'importance à ce qui précède la phase d'évaluation.
Regardons en effet comment un client achète dans un contexte B2B :
Regardons maintenant comment BANT et MEDDPICC se positionnent autour de la démarche d'achat client :
Rien ne vous frappe ?
Observez cette concentration des points de validation au démarrage de la phase d'évaluation. Cela traduit le fait que les sociétés où sont nées ces méthodes étant chacune leader dans sa catégorie, elles n'avaient que peu d'effort à faire pour créer de la demande. Par souci d'efficacité, elles se concentraient plutôt dans le fait d'écumer tous les budgets dédiés à leur domaine d'excellence via le BANT, puis veiller à ce que l'exécution commerciale fût exemplaire via MEDDPICCC.
Pour autant, le couplage de BANT et de MEDDPICCC permet-il de couvrir toues les étapes du parcours d'achat ?
Non.
Et ce qui est plus grave, c'est que le point clé sur lequel devrait se fonder toute démarche de vente - le fait d'aider un client à visualiser une solution à son problème, liée à des modalités précises d'utilisation de votre offre - n'est pas couvert. Or, c'est précisément ce point-là sur lequel toute startup doit exceller.
BANT et MEDDPICCC sont des enfants de la belle époque des années 60-90, quand internet n'existait pas encore. Ces méthodes, nées chez des leaders, sont idéales pour aller chercher des projets tout prêts, mais pas pour aider les clients à imaginer de nouveaux.
Voilà pourquoi, chers patrons de startups, je vous invite à considérer avec prudence ces méthodes datées. Et plutôt que de vous appuyer sur des schémas de qualification conçus par des sociétés ayant pignon sur rue pour des sociétés ayant pignon sur rue, je ne saurai trop vous inviter à partir de la façon dont vos clients achètent vos produits ou services et à imaginer comment rendre cette expérience aussi gratifiante que possible pour vos clients.
Car c'est en aidant vos clients à visualiser une solution d'achat orientée autour de l'utilisation de vos produits et services, c'est en les amenant à verbaliser la valeur qu'ils associent à cette solution, que vous les amènerez à accélérer leurs prises de décision en votre faveur et que vous tisserez avec eux les liens indispensables à l'instauration d'une relation riche et fructueuse dans la durée.
Tous les ans, depuis maintenant plus de 10 ans, j’ai le plaisir d’intervenir auprès des étudiants de 3èmeannée de l’Ecole Centrale de Paris (ECP) de la filière Entrepreneurs. Pendant une semaine, je partage avec eux les fondamentaux de la vente. Et comme la plupart d’entre eux ont déjà en tête un projet de création d’entreprise, les réactions sont très enthousiastes car ils voient une mise en application pratiquement immédiate des concepts vus ensemble sur le nouveau campus de Saclay.
Parmi les dangers contre lesquels je tâche de prémunir les étudiants/entrepreneurs, il y a ce que j’appelle le cul-de-basse-fosse du « Proof of Concept » ou POC. Surtout lorsqu’il demandé par et réalisé pour un grand groupe. En effet, certains grands groupes, inquiets à l’idée de se faire « ubériser » (comme un disait il y a 2-3 ans) ont pris pour habitude de faire miroiter des contrats mirobolants à des patrons de startups spécialisées en technologie, moyennant la réalisation de POCs, c’est-à-dire la mise à disposition pendant une période allant de quelques semaines à quelques mois de la technologie en jeu. Certains de ces groupes allouent des tickets de 30 à 50K€ pour financer ces opérations.
Il y a un an, je reçus un appel de la part de Clément Jourdren et de son associé. Je les avais rencontrés un an avant alors que j’animais la semaine Vente de la filière Entrepreneurs de l’ECP. Ils partagèrent avec moi l’étendue du chemin parcouru depuis l’obtention du diplôme : la création de la société, la conception et le développement de l’offre technologique, les premiers contacts, les réactions… C’est alors qu’ils me firent part de leur embarras sur un POC en cours auprès d’un grand acteur du traitement de déchets. Le POC était probant : le client avait pu constater que l’utilisation de la technologie Neurowaste leur permettait d’optimiser la collecte et donc d’en réduire le coût. A la demande du client, Clément avait établi une proposition portant sur l’utilisation de Neurowaste dans la longue durée. Pourtant, après remise de la proposition et en dépit d’une durée limitée de validité, le client ne réagissait pas. Il procrastinait. Et bien sûr, il demandait en parallèle une extension de la durée d’utilisation du POC. Gracieuse, cela va sans dire. Clément pensait ne jamais voir le bout de cette histoire ! Après plusieurs rendez-vous sur place, une offre envoyée, plusieurs relances et échanges téléphoniques avec le client, l'étape de négociation finale semblait toujours être reportée aux calendes grecques. Et c’est parce qu’ils ne voyaient pas comment sortir de cette situation inconfortable qu’ils m’avaient appelé.
Je leur conseillai alors d'envoyer au client un courriel de retrait de leur offre. En quelques mots, la proposition pouvait être considérée comme nulle et non avenue. En parallèle, le POC était arrêté. A la fin du courriel, l’idée consistait à ce que, dans l’hypothèse où le client veuille maintenir la relation avec Neurowaste, ils repartent d’une page blanche.
Pour Clément, cette approche était contre-intuitive par rapport à tout ce qu’il avait pu entendre sur l’art et la manière de gérer la relation commerciale. Après plusieurs hésitations et malgré la peur de perdre définitivement le client, il avait fini par suivre mon conseil et il envoya le courriel de retrait. A sa plus grande satisfaction, la réponse du client dépassa toutes ses attentes : dans les 48h qui suivirent l’envoi de son courriel de retrait, il recevait une commande en bonne et due forme de la part de son client. L’événement était d’autant plus important qu’il s’agissait de la première commande ferme d’utilisation de Neurowaste dans la durée.
Par le plus grand des hasards, je croisais Clément dans la rue de façon inattendue. Nous échangeâmes quelques mots. J’interrogeai Clément sur le client qui les avait embarqués dans un POC à durée indéterminée et à qui ils avaient envoyé le courriel de retrait. Il me confirma que ce courriel de retrait avait été l’électrochoc indispensable pour obtenir la commande. « C’était il y a un », me rappela Clément. « Depuis », ajouta-t-il, « nous entretenons une excellente relation avec ce client. Ce premier test s'est finalement transformé en contrat d'utilisation du logiciel sur plusieurs années, avec en plus de nouvelles opportunités de développement chez lui. »
Que désirer de plus ?
Plus tard, quand je demandai à Clément ce qu’il retenait de cette histoire en sa qualité de jeune entrepreneur, il me dit :
« Je vois trois points essentiels :
La nécessité de mettre les idées préconçues sur la vente derrière soi.Le plus gros risque lorsque l'on démarre une activité me paraît être la perte de temps (qui est finalement une des seules ressources à notre disposition). Il vaut parfois mieux avoir un "NON" qui débloque une situation et apporte de la connaissance sur son marché qu'aucune réponse qui fait perdre du temps aux deux parties et n'apporte rien à personne.
La fin justifie les moyens si la faim est saine. J’avais déjà travaillé dans le domaine de la collecte des déchets. Je savais que mon offre était raisonnable. Je savais que l’utilisation de Neurowaste apporterait de la valeur à ce client. Fort de ces convictions, il n’y avait aucune raison de céder à la peur de forcer le passage, dans la mesure où la barrière ne se levait pas toute seule ! Au bout du compte, le client est l’ultime bénéficiaire de votre audace. Et il vous en remerciera plus tard, car de son point de vue, un processus d'achat qui s’éternise est non seulement fastidieux, mais aussi contre-productif, puisque cela repousse d’autant le moment d’obtention des bénéfices pressentis. »
Et le troisième point, vous demandez-vous ?
« Le troisième point », déclare Clément, « c’est le fait, face à une situation de vente inconnue, d’oser demander conseil à des personnes ayant vécu la même chose. C'est sans doute une banalité, mais cela ne me semble pas inutile de le rappeler. Il est cependant fondamental que le conseil reçu nourrisse votre réflexion, mais que vous restiez le patron de la décision finale. Ne serait-ce que pour sentir dans son corps, ce que cela requiert comme courage, ou comme maîtrise de ses émotions. Et aussi pour mesurer l'impact que votre geste aura par la suite. Chaque situation est différente, et le but est de comprendre ce qui se passe pour mesurer les résultats et être encore meilleur par la suite. Dans notre cas, un grand merci à Jean-Marc sans qui nous n'aurions pas eu la bonne lecture de la situation ni la capacité de la débloquer. »
Traditionnellement, quand je pose la question à des directeurs commerciaux de savoir de combien de pipeline ils ont besoin pour faire leur objectif, ils me répondent comme un seul homme, 3 fois l'objectif.
Quand, poussant le raisonnement un peu plus loin, je leur demande comment ils sont arrivés à ce chiffre, ils me disent invariablement que, grosso modo, leurs commerciaux signent 1 affaire sur trois. Par suite, il faut que le volume d'affaires en cours soit égal à 3 fois l'objectif pour compenser le taux de perte.
Imparable, n'est-ce pas ?
C'est aussi ce que je croyais quand, alors que je débutais dans la profession de vendeur, je m'étais efforcé de constituer un "pipeline" - à l'époque, on parlait de carnet d'affaires en cours - représentant 3 fois mon objectif. J'y étais parvenu, non sans mal. Mais quelle ne fut pas ma déception, quand à la fin de l'année, au moment des bilans, je devais constater amèrement que j'étais loin de l'objectif.
Pourquoi ? Que c'était-il passé ?
Après analyse, je me rendis compte que, dans mon obsession de créer du volume au niveau de mon portefeuille d'affaires en cours, j'avais négligé deux variables pourtant essentielles dans le domaine de la gestion de pipeline :
A force de générer de nouvelles opportunités de vente, j'avais "explosé" ma bande passante. En clair, je m'étais retrouvé dans une situation d'impossibilité matérielle à suivre les affaires en cours que j'avais créées ou identifiées. Résultat : mon "pipeline" s'enlisait. Avec le rallongement des cycles de vente, mes taux de conversion diminuaient, selon une de ces lois paradoxales - mais ô combien vraie - selon laquelle, dans la vente, on met deux fois plus de temps à perdre une affaire qu'à la gagner. Tout ce que je gagnais en volume, je le perdais en vitesse d'exécution et en taux de conversion. Dans mon échec, je venais de découvrir que la gestion d'un carnet en cours ne se limitait pas à une considération de volume - le fameux 3x - mais qu'elle incluait une attention fine à deux autres variables : la durée des cycles de vente et le taux de conversion.
Fort de cet enseignement, l'année suivante, je changeai mon fusil d'épaule. J'allai voir mon manager et lui expliquai ma démarche. Finie la règle des 3x ! Désormais, je m'efforcerais de réduire au maximum la taille de mon pipeline (si ! si !) pour n'y mettre que des affaires en cours où mes chances de réussite seraient respectables. Avec l'aval de mon chef, je mis mon plan à exécution. Comme il fallait s'y attendre, mon carnet d'affaires en cours fondit comme neige au soleil. Mais du coup, je gagnais en bande passante pour traiter correctement les opportunités de vente en portefeuille. Et comme une bonne nouvelle ne vient jamais seule, je pus de façon concomitante faire évoluer vers le haut mon taux de conversion. En parallèle, mon temps de cycle évoluait à la baisse. Cette année-là, je dépassai haut la main mes objectifs. Et pourtant, en moyenne sur l'année, mon pipeline avait tourné entre 1,2x et 1,5x de mon objectif.
Que c'était-il passé cette fois ?
Je venais de comprendre, qu'en réalité, dans le domaine de l'efficacité commerciale, la contrainte principale n'était pas la taille de mon pipeline, mais bien ma propre capacité à gérer ce pipeline. En un mot, la contrainte, le goulet d'étranglement, c'était moi.
Et sans avoir encore lu "Le But", le livre remarquable d'Eliyahu Goldratt, j'avais décidé de travailler sur moi. Je venais de réaliser ce que 99% des commerciaux considèrent comme aberrant, à savoir, j'avais sollicité auprès de ma hiérarchie une réduction de territoire, afin de minimiser le risque de distraction pouvant être occasionné par un trop grand nombre d'opportunités de vente. Ce préalable étant réalisé, je m'étais efforcé d'améliorer le suivi des opportunités retenues comme dignes de figurer dans mon portefeuille d'affaires en cours. Comme j'étais plus détendu, j'avais plus d'impact en clientèle. La qualité de mes conversations de vente s'améliorait et avec elle mon taux de conversion. En outre, avec ma plus grande disponibilité, je "perdais du temps" à travailler avec le client sur des constructions d'arbres de valeur. Ce faisant, je ne devais pas tarder à me rendre compte qu'une fois la valeur validée côté client, ce dernier entendait raccourcir au maximum le temps de la prise de décision pour pouvoir jouir de cette valeur le plus tôt possible. Mon cycle de vente moyen diminuait en conséquence.
Dave Kellogg, avec qui j'ai eu l'occasion de travailler par le passé, vient de publier récemment une série de papiers de grand intérêt sur la gestion du pipeline. En suivant un raisonnement différent, il met en garde managers et investisseurs sur l'illusion du facteur 3X et suggère dans un autre billet de suivre et surveiller un indicateur tout bête : le nombre d'affaires en cours par commercial. Trop faible, il traduit un problème. Trop élevé, il peut signifier une surcharge de travail synonyme de stress et, in fine, de sous-performance.
Lorsque je travaille avec des dirigeants de société pour les aider à calibrer les objectifs et leur distribution, je les invite à calculer le pipeline idéal pour chacun de leurs commerciaux puis, une fois le calcul réalisé, à diviser le montant trouvé par la valeur moyenne d'une affaire signée. Et si le résultat de cette opération donne un nombre supérieur à 18 opportunités par commercial à traiter à tout instant, je pose alors la question de savoir s'ils estiment raisonnable de penser qu'un vendeur puisse suivre pareil nombre d'affaires en parallèle, avec le niveau de rigueur et de qualité attendu.
Pour beaucoup, cela représente un moment d'étonnement et de réflexion sur les limites du modèle productiviste, malheureusement encore dominant dans la plupart des entreprises. Et pour ceux et celles qui n'y voient rien à redire, pour les géniteurs de la tribu des Eric Dampierre, j'exerce mon devoir de conseil pour les mettre en garde contre les risques psycho-sociaux qu'ils s'apprêtent à faire subir à leurs équipes et l'incidence que l'augmentation du stress pourrait avoir sur le turnover des effectifs, sans même parler de la performance tout court.
Dans le mois qui suit l'animation d'un atelier de formation CustomerCentric Selling(R), j'ai coutume de revoir mon client pour identifier les points de friction éventuels et inventorier ce que j'appelle les petites victoires, c'est-à-dire les moments où l'application de la méthodologie a été déterminante pour l'obtention d'un résultat significatif.
C'est dans ce contexte précis que je me trouvais il y a une dizaine de jours avec les dirigeants fondateurs d'une startup proposant à des responsables marketing ou communication l'accès, via internet, à une plateforme de services pour concevoir des événements, automatiser le processus d'invitation, organiser des rencontres entre experts et participants, etc. En bref, une panoplie complète d'activités visant aussi bien à réduire le coût lié à l'organisation des événements, qu'à en augmenter la portée.
Parmi toutes les "petites victoires" énoncées, une concernait la pratique du donnant-donnant ou "quid pro quo" en anglais, d'où le jeu de mot du dessin ci-dessus (cf PS1). Le donnant-donnant, c'est plus qu'une tactique de négociation pour éviter le sempiternel débat sur le prix ; c'est une philosophie de vie qui consiste à rechercher avec son client un partage de concessions coûtant peu mais rapportant gros à chacune des parties. Pour employer le jargon des experts en théorie des jeux, c'est rechercher à maximiser l'utilité collective des parties en présence.
M., le directeur général de la startup, me fournit un cas exemplaire. Il avait reçu quelques jours plus tôt l'appel de son correspondant achats chez un grand client. Ce dernier avait excipé de l'utilisation en croissance de la plateforme de services sur l'organisation d'événements pour réclamer une diminution de prix. Après avoir écouté son interlocuteur et compris les raisons sous-tendant sa demande de rabais, M. fit savoir à son interlocuteur qu'il lui était impossible de lui concéder de meilleurs conditions tarifaires sans contrepartie.
Premier déplacement : alors que dans l'expression de la demande de rabais, c'était le client qui avait la main, le seul fait d'énoncer la règle du donnant-donnant permit au vendeur - à savoir M. - de prendre la main. Désormais, c'est lui qui se trouvait en position de demander.
M. fit alors état de sa satisfaction. Il se félicita de constater l'augmentation du nombre de départements de l'organisation cliente tirant parti de sa plateforme de services pour organiser des événements. Il évoqua la croissance concomitante du nombre de factures à émettre et la charge administrative induite. Il insista sur le fait que, dans bien des cas, il devait facturer des entités différentes, ce qui rendait son processus lent, coûteux et faillible. C'est alors qu'il demanda à son interlocuteur client s'il était d'accord pour ne recevoir qu'une seule facture couvrant les accès de tous les départements bénéficiaires. Ce dernier accepta le principe. Il put alors formuler le donnant-donnant de façon encore plus circonstanciée : "Dans la mesure où vous accepter de recevoir une seule facture couvrant les besoins des X entités ou départements bénéficiaires et pour peu que vous payiez cette facture à sa réception, je vous consens des conditions tarifaires bonifiées."
Le client accepta, ce qui nous amène au deuxième déplacement portant sur la valeur, celui-ci. En demandant un traitement centralisé de la facturation assorti d'un paiement comptant, M. obtint pour son organisation une valeur supérieure à celle du rabais consenti. Côté client, le rabais obtenu faisait plus que couvrir le coût lié à la réception d'une facture unique et d'un paiement immédiat. Dès lors le bénéfice net était positif pour les deux parties.
Gagnant gagnant.
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PS1 : Quelques précisions sur le dessin en entête de ce billet. Pour celles et ceux d'entre vous qui n'êtes pas à l'aise avec l'anglais, sachez que le mot "squid" désigne le calamar en français. D'où le jeu de mots. Quant au contenu de la bulle, vous pouvez le traduire par : "Nous pouvons faire affaire... Je fournis l'encre pour imprimer vos nouveaux menus et vous en retirez les calamars". Vous noterez au passage que, au moins du point de vue du calamar, il s'agit d'un parfait "donnant-donnant". En effet, le coût de fourniture de l'encre est minime pour lui au regard du bénéfice de ne plus figurer sur la carte.
PS2 : Un grand merci à Raffi pour avoir partagé avec moi le cartoon du "Squid Pro Quo".
Combien de fois me suis-je retrouvé devant des dirigeants d'organisations se lamentant du fait que l'inbound (les sollicitations entrantes) déclinait ? Combien de fois ai-je entendu dire que l'outbound (la prospection sortante) ne marchait pas ? Ou encore que les commerciaux n'avaient pas à prospecter, que leur tâche résidait à signer les affaires et non à les générer ?
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, en l'absence de données claires permettant de comprendre ce qui se passe en matière de prospection, chacun y va de sa propre croyance.
Pourtant, s'il est une leçon à tirer des entreprises obtenant les meilleurs résultats dans le domaine, deux choses apparaissent :
(a) Qu'elles ont réparti leurs objectifs de prospection sur trois canaux distincts : le marketing en charge de l'inbound, c'est-à-dire de la génération de demandes entrantes résultant de leurs efforts d'évangélisation, les BDRs/SDRs en charge de l'outbound, c'est-à-dire de la prospection sortante et l'équipe des commerciaux.
(b) Que la mise en branle de ces trois canaux s'inscrit dans le temps. Dans un premier temps, souvent à l'initiative du marketing, elles mettent en place le dispositif de génération et de captation de la demande entrante. Puis, environ 18 mois plus tard, fort de ce qui aura été appris chemin faisant, elles construiront le catalogue des belles histoires relayées par l'ensemble des forces vives de la sociétés, dont la force de vente, qui se voit alors assigné un objectif de prospection spécifique. Environ 18 mois plus tard, sachant à quelles organisations s'adresser, à quelles "personas" en particulier, sur quel thématique et à quel moment, elles seront en mesure de mettre en place une équipe consacrée à la prospection sortante.
Jouer sur les trois canaux (marketing pour l'inbound, BDR/SDR pour l'outbound et force de vente) en prenant le temps de leur donner à chacun les conditions de réussir : voilà ce que réussissent les meilleurs dans le domaine.