Quiconque est un passionné de foot connaît l'histoire de Just Fontaine ou de Zinedine Zidane. Les aficionados de corrida vous raconteront tous par le menu comment José Maria Ortega, alias Joselito se fit encorner à mort par le taureau "Bailador" un certain mois de mai 1920 à Talavera de la Reina. Ils vous riront au nez si vous prononcez le mot de "toreador" en vous rappelant que ce qui vaut pour la Carmen de Prosper Mérimée popularisée par Bizet n'a pas sa place dans la poussière des arènes, car l'homme en habit de lumière qui foule la poussière a las cinco de la tarde est là pour dévoiler une chorégraphie dont la mort sera la sanction. En sa qualité de combattant de taureaux, il est torero ; comme enseigne dispensant la mort, il est matador. Les adeptes des salles obscures vous déballeront à la volée les répliques culte des films de Michel Audiard... Partout où s'installe la passion, vous entendrez des histoires.
Qu'on parle de récits d'ordre "mythologique", de rumeurs, ou d'épopées où un héros se joue de l'adversité contre toute attente, il y a une façon de savoir si vos interlocuteurs sont des fans (de vous, de votre marque, de vos produits), ou de simples supporters ou sympathisants. Connaissent-ils des histoires à votre sujet ? Les racontent-ils ? Prennent-ils plaisir à vous mettre en scène devant leurs amis, collègues, ou confrères ? Si tel n'est pas le cas, alors je ne saurais trop vous inviter à écrire "votre" histoire et à la rendre accessible à ceux qui sont susceptibles de l'apprécier.
Alors bien sûr, je vous vois baisser la tête et froncer le sourcil. Pour raconter une histoire digne d'être divulguée, encore faut-il qu'il y ait une matière première riche, propre à captiver une audience. Comme disent les Américains, Think again! Dans ce que vous avez entrepris, n'y a-t-il vraiment rien pour susciter l'intérêt, faire se dresser l'oreille et briller les pupilles ? Rien de rien ? Le néant absolu ? Si le récit des fondations est, disons, sans intérêt, dans ce cas-là, tournez-vous vers vos clients les plus enthousiastes. Ils se mettront en quatre pour vous aider à bâtir une trame narrative autour de l'utilisation qu'ils font de vos produits et services.
Je me souviens comme si c'était hier, à l'époque où j'étais le commercial chez Bull en relation avec un grand assureur français désireux de basculer sur IBM, l'énergie insensée mise par certaines personnes pour recueillir puis me transmettre des histoires propres à aider ma cause. Bien sûr, ces histoires n'avaient pas toujours l'intensité dramatique d'un film de Christopher Nolan, mais bon. C'était déjà un début et je peux vous assurer avoir signé de belles affaires en m'adossant à ces histoires.
Revenons à des considérations plus sérieuses. A vous. Prenons votre site internet par exemple. Si je m'y connecte maintenant, ai-je la chance d'y lire des histoires ? Pourrai-je me faire une idée de votre activité sans avoir à passer par les incontournables et bien indigestes fiches descriptives de l'offre produit ? Vous pensez que cela relève de la faribole ? Faites un tour sur la page d'accueil du site The Point et dites m'en des nouvelles.
Et moi, me direz-vous ? Je ne raconte pas d'histoire me concernant ? Vrai. Alors voilà. Il y a deux ans, je rencontre une femme qui devait bouleverser ma vie. Elle écrit des livres et organise des festivals de cinéma, dont un consacré à la promotion du film romantique européen à Miami. Elle me fait découvrir un monde où tout se résume à l'art et la manière de transcrire des histoires pour partager une émotion, un message, exprimer une vision du monde et la rendre accessible, palpable. Au début, je pense que tout cela est bien éloigné de mon environnement très col blanc et technologique. Après tout, 25 ans dans les métiers de la vente et du marketing chez des constructeurs et des éditeurs, ça moule sévèrement les esprits ! Mais voilà, je revois soudainement des scènes-flash où une histoire fait basculer une situation. Celle de Bernard Liautaud en 1998 par exemple, alors patron de Business Objects, expliquant à des analystes financiers de Wall Street comment certains clients étaient en train de changer radicalement les modes de "consommation de l'information" en couplant l'utilisation des produits décisionnels de la société avec l'exploitation de la puissance d'internet comme moyen de diffusion. Cette simple histoire, superbement racontée et répétée à l'envi dans de nombreux forums, a sans doute concouru à ajouter quelques centaines de millions de dollars à la capitalisation de l'éditeur. Je revois aussi, comme un défilé militaire de l'armée Rouge saluant Staline sur un balcon au Kremlin, ces milliers de présentations débilitantes où des commerciaux de bonne volonté décrivent par le menu les monts et merveilles de leur offre dans un langage à peine compréhensible par le commun des mortels. Je me dis qu'il faut que cela cesse. Et c'est là que je me dis qu'il ne serait pas incongru d'amener le savoir-faire des scénaristes de films et des romanciers au monde de l'entreprise.
Une rencontre séminale m'avait révélé l'existence d'un monde inconnu. De cette rencontre une idée avait germé. Par un jeu subtil de recoupements, je me suis mis à visualiser un vaste champ d'oportunités. Il ne me restait plus alors qu'à amener et traduire les techniques de rédaction de scénarios et de storyboarding dans les organisations, pour les aider à mettre l'émotion au service de la performance.
C'est précisément ce à quoi je m'emploie aujourd'hui.
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