Dans le livre de l'Exode, il est une histoire qui m'émeut profondément. C'est celle de la colère de l'Eternel au moment où Il découvre que les Hébreux idôlatrent un veau d'or. Furieux, l'Eternel décide d'exterminer le peuple d'Israël et il faut toute la finesse de Moïse pour L'amener à plus de clémence.
Cette histoire pour le moins surprenante est écrite en 5 petits versets, lourds de sens et pourant si légers dans leur expression :
L'Éternel dit à Moïse : "Je vois que ce peuple est un peuple au cou roide". (32.9)
"Maintenant laisse-moi ; ma colère va s'enflammer contre eux, et je les consumerai ; mais je ferai de toi une grande nation." (32.10)
Moïse implora l'Éternel, son Dieu, et dit : "Pourquoi, ô Éternel, ta colère s'enflammerait-elle contre ton peuple, que tu as fait sortir du pays d'Égypte par une grande puissance et par une main forte ?" (32.11)
"Pourquoi les Égyptiens diraient-ils : C'est pour leur malheur qu'il les a fait sortir, c'est pour les tuer dans les montagnes, et pour les exterminer de dessus la terre ? Reviens de l'ardeur de ta colère, et repens-toi du mal que tu veux faire à ton peuple." (32.12)
"Souviens-toi d'Abraham, d'Isaac et d'Israël, tes serviteurs, auxquels tu as dit, en jurant par toi même : Je multiplierai votre postérité comme les étoiles du ciel, je donnerai à vos descendants tout ce pays dont j'ai parlé, et ils le possèderont à jamais." (32.13)
Et l'Eternel se repentit du mal qu'il avait déclaré vouloir faire à son peuple. (32.14)
Quel art de l'ellipse ! Quelle profondeur de sens entre chaque phrase !
Et quel talent de négociateur de la part de Moïse !
En trois arguments déroutants de simplicité mais d'une subtilité exquise, Moïse parvient à infléchir l'Eternel, à le faire revenir sur sa position initiale, avec, en bout de course, ce résultat aussi inattendu qu'époustouflant : "Et l'Eternel se repentit du mal qu'il avait déclaré vouloir faire à son peuple".
Le premier argument de Moïse consiste à renvoyer l'Eternel devant ses responsabilités, à lui faire sentir tout le poids de ses paroles. Car enfin, en détruisant *** TON *** peuple, semble suggérer Moïse, n'est-ce pas toi que tu annihiles ? Perçois-tu, ô Eternel, le caractère suicidaire de ta colère, laisse-t-il filtrer. En outre, Moïse connaît bien son interlocuteur. Il le sait redoutable négociateur lui-même, puisqu'il a dû plier devant Ses exigences lors de l'épisode fameux du buisson ardent. Alors, pour ne pas susciter de confrontation avec son vis-à-vis, Moïse se refuse d'assener son argument de façon assertive. Habile, il interroge.
Le deuxième argument est encore formulé sous la forme d'une question. Et quelle question ! Une demande d'une audace insensée : Ne vois-tu pas, ô Eternel, combien tu seras ridicule aux yeux de Pharaon si tu mets ton plan à exécution ? Regarde, semble dire Moïse. Peux-tu accepter l'idée que tout ce que tu as entrepris pour libérer ton peuple des griffes de Pharaon l'ait été en vain ? Entends-tu le rire goguenard de ton pire ennemi ? Faire appel à l'orgueil de Dieu quand on est un simple mortel, c'est quand même un rien gonflé, j'espère que vous en conviendrez...
A ce moment, on sent confusément que l'argument a porté. Le rapport de force bascule au profit de l'homme. Et c'est auréolé d'une belle assurance que Moïse déploie son troisième argument. Et cette fois-ci, il ne prendra pas de précaution oratoire ; il fait fi de la forme interrogative. Il énonce comme on sermonne. "Souviens-toi d'Abraham, d'Isaac et d'Israël..." Moïse rappelle à son Dieu les engagements formulés par ce dernier vis-à-vis des patriarches. Il Lui remet en mémoire Ses promesses d'une descendance nombreuse. Alors quoi ? Veux-tu qu'on retienne de toi que Tu racontes n'importe quoi, y compris à ceux qui T'ont servi avec la plus grande piété ? Moïse n'a pas peur de blasphémer ; il se sait investi d'une cause juste. Alors, il ose, car l'enjeu est d'une portée immense.
Le dénouement est à la démesure de la liberté de ton adoptée par le prophète : Dieu revient sur sa déclaration, il reconnaît qu'il s'apprêtait à commettre le mal et il se repentit.
Quelle admirable leçon de tolérance !
Quelle splendide camouflet à tous les tenants de l'intransigeance !
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