Jusqu’à il n’y a pas très longtemps, je pensais qu’un néologisme était ni plus moins qu’un barbarisme, un hiatus cérébral qui se serait perdu sur les lèvres et aurait fini par produire un vocable inouï.
Quand Ségolène Royal s’est rendue célèbre en janvier 2007 avec sa désormais célèbre ‘‘bravitude’’, je comptais avec ceux qui hurlèrent avec les loups pour dénoncer l’inconséquence du propos.
Pourtant, plus récemment, en écoutant Nicolas Sarkozy dénoncer la ‘‘méprisance’’ de certains, je me suis mis à douter. ‘‘Comment le Président de la République peut-il se permettre de massacrer ainsi notre belle langue ?’’, me suis-je demandé. Comment celui qui avait orchestré avec tant de maestria l’hallali contre sa concurrente de 2007 pouvait-il offrir avec tant de naïveté le bâton pour se faire battre ? Devant l’importance de l’enjeu, je restai incrédule et je ne pus me résoudre à penser que cette bourde lui était sortie de la bouche du seul fait de la fatigue, de l’inattention ou de l’ignorance. La thèse du lapsus défendue par Marc Traverson dans son blog me semblait enfin peu crédible tant l’homme est rusé, voire retors…
C’est alors qu’une pensée dérangeante m’a traversé l’esprit. Et si tout ceci n’était qu’une mystification ? Et si M. Sarkozy avait employé ce terme de ‘‘méprisance’’ à dessein ? Avec quel but, me demanderez-vous. Tout simplement, pour emmagasiner un capital sympathie qui semble lui faire cruellement défaut.
Vous souvenez-vous combien son prédécesseur à l’Elysée, Jacques Chirac, avait su se rendre sympathique avec rien moins qu’un somptueux ‘‘abracadabrantesque’’ ?
Car il y a un trait commun à tous ces néologismes, une sorte de marque de fabrique qui atteste le cheminement de pensée présidant à leur naissance. C’est le fait que tous proviennent de la concaténation de deux termes. A l’image d’une chimère, ils sont composés du début d’un premier mot suivi de la fin d’un second terme venu préciser ou amplifier la portée du premier.
Continuons un peu le jeu si vous le voulez bien. Admettons l’espace d’un instant que ces néologismes aux allures de mots-valises aient été employés de façon parfaitement consciente. Quel est le dessein ?
Tout simplement susciter l’émotion, provoquer le coup de cœur.
Le coup de bravitude de Ségolène Royal aura déclenché les foudres contre elle. En observant le déchaînement de haine que lui aura valu la bravitude et en le comparant au peu de réaction suscité par la méprisance de M. Sarkozy, je me demande aussi si cette dernière n’a pas été victime d’un bon vieux réflexe de misogynie. Car enfin, pourquoi tant de détestation immédiate d’un côté et tant de complaisance d’un autre ? Mais je m’égare… Car une chose reste certaine. A partir du moment où Ségolène Royal aura lâché son fameux néologisme sur la muraille de Chine, elle perdra son statut de favorite et ne sera plus jamais en mesure d’inquiéter Nicolas Sarkozy dans sa résistible ascension. A l’inverse, à peine aura-t-il été prononcé que l’abracadabrantesque de Jacques Chirac se répandra comme trainée de poudre et viendra même à point nommé renforcer le stéréotype d’un président paresseux, roublard, malhonnête… mais tellement sympathique. Dans les deux cas, on voit donc un déchainement de passion derrière l’emploi du néologisme, un dégorgement de pathos, qu’il soit positif ou non.
J’eus une confirmation aussi inattendue que merveilleuse du pouvoir émotionnel des néologismes pas plus tard que ce matin. Alors que je relisais avec nostalgie des lettres d’admiratrices reçues après mon passage en 1983 aux Chiffres et aux Lettres, je tombai sur le passage suivant :
Je vous souhaite une année pleine, comble, débordissante de succès en tous genres.
Débordissante… Au croisement de ‘‘débordante’’ et de ‘‘étourdissante’’. L’hypothèse formulée plus haut semblait s’appliquer à nouveau. Et puis quand mes yeux se posèrent sur ce débordissante, je ressentis un léger pincement au cœur. La lecture de la phrase m’arracha un sourire-soupir et je la repliai avec émotion dans son enveloppe.
Amidialement vôtre.
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