Pendant des années, on m'a enseigné que l'art de vendre se résumait à poser des questions intelligentes, puis à présenter son offre dans le contexte des réponses apportées par son vis-à-vis.
Pourtant, avec le recul, quand je regarde quelles furent mes plus belles ventes, 3 me viennent en tête. Et force est de constater que ce qu'elles ont en commun n'a que peu à voir avec ma capacité de poser des questions intelligentes.
En revanche, les 3 affaires en question partagent une caractéristique commune. Dans les 3 cas, en effet, la vente fut la conclusion logique d'un processus enclenché par une forte décharge émotionnelle.
- Il y a plus de 20 ans, j'étais commercial pour le compte d'un grand constructeur informatique et mon client principal se trouvait être une compagnie d'assurance. Un jour, j'alertai la direction générale de mon client que, sauf action rapide de leur part en termes d'accroissement de leur capacité de calcul, ils seraient confrontés à des difficultés importantes dans l'appel de cotisations du début d'année. Cette activité portait sur un volume de primes de plusieurs milliards de Francs. Devant l'évidence et l'énormité du problème soulevé, la compagnie en question mit moins de 3 semaines pour prendre une décision de renouvellement de son serveur principal de calcul, pour un investissment de plus de 5 millions d'euros d'aujourd'hui.
- Il y a une quinzaine d'années, au moment de la dérégulation des télécoms et de la montée en puissance des cellulaires, je fus interpellé par un chef de projet chez un nouvel opérateur de téléphonie mobile qui désirait équiper ses vendeurs d'un système sur PC portable de pilotage de la performance client. Au détour de la conversation, il m'apparut clair que ce chef de projet avait une technologie concurrente en tête et que la seule chose qu'il attendait de moi était un prix cassé, dont il puisse se prévaloir pour faire baisser les prétentions de son fournisseur tout désigné. J'était le lièvre. Perdu pour perdu, je racontai à ce chef de projet l'histoire d'un autre opérateur de téléphonie mobile qui, plein de bonnes intentions à l'origine, avait lancé une initiative ambitieuse et coûteuse visant à donner à ses commerciaux des informations sur la façon dont leurs clients consommaient les services proposés. Malgré toute l'attention mise au design de l'application, ce projet s'était soldé par un échec retentissant. Pourquoi ? Tout simplement parce que les commerciaux n'avaient pas fait l'effort d'utiliser le nouvel environnement proposé. Trop loin de leurs habitudes de travail. Trop perturbant par rapport aux quelques outils d'informatique et de communication traditionnels. L'évocation de cette histoire causa un profond malaise dans l'esprit de mon interlocuteur au point de l'amener à revoir sa copie - et à acheter chez moi.
- Le troisième cas est sans doute ma plus courte expérience de vente. Quelque chose que j'appellerais volontiers du speed selling, si l'utilisation aussi omniprésente qu'inappropriée et inutile de l'anglais ne commençait pas à me donner la nausée. Ca c'est passé dans les locaux d'un cabinet spécialisé dans la conduite d'opérations d'acquisitions de sociétés avec effet de levier souvent désignées par l'acronyme LBO. En face de moi se tenait un parterre d'investisseurs qui venaient de conclure l'achat d'une société spécialisée dans l'édition de logiciels comptables et financiers. Dans leur souci de rentabiliser au mieux leur investissement dans un horizon inférieur à 3 ans, ils voulaient s'entourer de consultants spécialisés dans le monde des tehnologies et diposant d'une belle expérience opérationnelle. Quand vint mon tour de parler, je compris que je ne disposais que d'une poignées de minutes pour faire mouche. 2 à 3 minutes à tout rompre. Je décidai alors de raconter le cas d'un autre client chez qui j'étais intervenu pour les aider à fiabiliser les prévisions de vente à travers la mise en place d'un processus de vente. 6 mois après la mise en oeuvre du nouveau processus, ce client avait améliorer la qualité de ses prévisions (ou réduit la variabilité de sa performance au regard de ses prévisions) de plus de 75%. De 78% pour être précis. Le responsable du syndicat d'investisseurs témoigna de son incrédulité. Une minute pour expliquer plus avant ce qui avait été fait. Puis la parole fut donnée à d'autres candidats. 1 heure après, j'étais retenu sur la mission.
Dans les trois cas que je viens de citer, mon intervention avait provoqué une émotion forte chez mes interlocuteurs, qu'il s'agisse d'une angoisse dans les deux premières instances ou d'un désir ardent dans le dernier témoignage. Et cette décharge émotionnelle, je l'avais suscitée par le truchement d'une histoire chargée d'un contenu riche. Mon approche eut d'autant plus d'impact qu'elle était anecdotique, mais qu'elle véhiculait - de façon implicite ou non - un message clair sur les raisons de faire appel à mes services.
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