Les métaphores sont des figures de style d’une efficacité inégalée pour transmettre un message. En nous donnant littéralement à voir, elles nous permettent d’embrasser le sens en un clin d’œil. C’est pourquoi, aujourd’hui, vous ne trouverez pas un article sur le storytelling où ne soit fait l’éloge de la métaphore, comme figure reine de l’art de persuader.
Mais voilà. A chaque fois que je vois se construire un bel unanimisme autour d’une idée, j’ai des petites loupiotes qui s’allument dans mon cerveau, qui me crient « méfiance, mon garçon. Tout cela est sans doute bien trop beau pour être vrai ; il y a sûrement anguille sous roche (1) »
Prenons la métaphore de l’entonnoir, par exemple. Cette métaphore est utilisée dans deux domaines qui n’ont rien à voir. Dans un premier cas de figure, il s’agit de désigner l’idiot du village. Pour l’identifier, on lui met un entonnoir retourné sur la tête. L’idée sous-jacente, c’est que bien peu de choses viennent irriguer son cerveau puisque c’est la partie la plus rétrécie de l’entonnoir qui est projetée sur le monde et non l’autre, comme le voudrait la raison.
Mais l’entonnoir est aussi très utilisé dans un tout autre domaine : celui du pilotage commercial. Souvent désigné sous sa traduction en anglais – funnel – il se veut la traduction imagée d’un message que tout chef des ventes fait passer auprès de ses équipes : pour signer les quelques affaires qui permettront d’atteindre l’objectif de l’année (celles qui s’échappent du petit orifice), il faut générer un nombre bien supérieur d’opportunités (à engouffrer dans l’entonnoir par son grand orifice). Le message subliminal est un appel à un intense effort de prospection, à la génération de nouvelles opportunités à tout crin. C’est une invitation productiviste du type : « engrange des opportunités en masse, il en restera toujours quelque chose. » Du reste, l’évocation de l’entonnoir renvoie à une autre image très éclairante à mon sens de cette vision stakhanoviste du monde, c’est celle du gavage des oies. « Génère toujours plus d’opportunités, petit commercial », semble dire le manager. « Tu pourras ainsi signer toujours plus d’opportunités et le résultat de tout cela, c’est que toi et moi, nous allons nous… gaver en commissions ! »
Bien que très utile, cette métaphore est trompeuse. A l’interpréter de façon littérale, on risque de passer à côté de deux caractéristiques clés de l’acte de vente. La première idée fausse née de l’utilisation de l’entonnoir est que tout ce qui rentre par le trou du haut ressortira par le trou du bas. Or, dans le commerce, il n’est rien de plus faux et il est bien connu qu’un client rentrant dans un magasin n’est pas forcément un acheteur, qu’il pourra tout à fait repartir les mains vides sans passer par la caisse. En clair, dans la vente, toutes les opportunités ne se transforment pas en affaires ; il y a de la perte en ligne. D’un point de vue métaphorique justement et s’il fallait rester dans le registre des ustensiles de cuisine, je dirais que la passoire rend plus fidèlement compte de la réalité du commerce que l’entonnoir.
Autre exemple, plus d’actualité cette fois, c'est le big data. Si vous vous intéressez de près ou de loin au monde de l’économie numérique, vous pouvez difficilement y échapper. L’idée cachée derrière cette métaphore est que l’accumulation de données est vertueuse. Par un de ces raccourcis affolants auxquels tant de personnes semblent souscrire sans l’ombre d’une remise en cause, on assiste au retour en force du syllogisme selon lequel les données (data) permettent de générer des informations, elles-mêmes porteuses de connaissances, ces dernières devenant source de sagesse. Cédant à une habitude qui leur est chère, les Américains ont même donné un acronyme à ce chaînage : le DIKW, avec les initiales de data, information, knowledge (connaissance) et wisdom (sagesse). Nous sommes en plein dans ce que j’appellerais la pensée magique. Car enfin, comment peut-on décemment faire accroire l’idée que plus on a des données, plus on est en mesure d’accéder à la sagesse ? C’est Gandhi qui soit se marrer dans sa tombe, lui qui il y près d’un siècle, fustigeait déjà la prétention de l’Occident à croire que la possession de l’objet signifiait la possession du concept. Comme si avoir l’heure signifiait avoir du temps, ou avoir des relations sexuelles voulait dire connaître l’amour… Dans le domaine du Big Data, il ne faut être fin clerc pour discerner que l’ingrédient majeur permettant de passer des données à l’information et de l’information à la connaissance s’appelle l’intelligence humaine et ce, quel que soit le volume de données traitées. Après tout, la plus belle application de transformation de données en savoir qu’il m’ait été donné de connaître jusqu’à ce jour est la sublime présentation de Hans Rosling expliquant l’évolution de la richesse dans le monde en fonction du développement du niveau d’éducation, de la fertilité des femmes, ou des mécanismes de protection sociale. Et au vu de ce qu’il présentait, il y a fort à parier que la somme des données manipulées par le professeur suédois tenait sur un simple PC doté du tableur Excel… Plus près de chez nous, j'ai eu l'occasion récemment d'écouter parler d'une superbe application analytique à l'attention de mobinautes, mais encore une fois, au-delà de l'apport indéniable de la technologie, c'était l'intelligence contextuelle de l'homme qui faisait la différence. Quant à savoir si les volumes de données traitées justifiaient la désignation de big data, je ne pense pas que ce soit très important...
Les métaphores peuvent être de superbes outils au service de la pédagogie et de la rhétorique, cela va sans dire. Elles ont le plus souvent un petit air charmant et apparemment inoffensif. Pourtant, elles ne sont pas neutres. Aussi, est-il utile de se demander qui a un intérêt à les propager, à qui elles profitent. Cui bono?
(1) Anguille sous roche, en voilà une belle métaphore !
PS - Le dessin placé en exergue de ce billet est de Louise Pressager. Vous pourrez le trouver ici dans sa version originelle. Tous les droits appartiennent à l'auteure.
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