" Sur le free-to-play, parfois, les core-gamers utilisent des bots qui farment pour builder leur perso. "
Cette phrase, je l'ai entendue pour de bon la semaine passée, de la bouche de Pierre G., un jeune homme brillant, alors que j'animais un atelier de formation commerciale. Je suis resté baba. Car bien qu'habitué à l'anglais et aux emprunts et néologismes de tout poil, jamais, au grand jamais, je n'avais eu affaire à pareille concentration de mots anglais à peine francisés. Pourtant, pour avoir travaillé dans le monde des technologies, je peux vous assurer que du jargon, j'en ai mangé au kilomètre. Et bien que m'efforçant du mieux que je peux de ne pas céder au snobisme ambiant consistant à mettre des mots anglais/américains un peu partout, je confesse avoir péché à mon tour plutôt deux fois qu'une.
En bon français, cette phrase veut dire quelque chose comme " Sur les jeux en ligne d'accès libre, parfois, les joueurs invétérés utilisent des robots pour collecter des points et réaliser des épreuves afin que leur avatar franchisse des paliers. "
Je ne suis pas un cul serré quand il s'agit de faire appel à des lexiques étrangers. Amoureux des langues, je suis souvent le premier à utiliser des mots allemands (Schadenfreude), portugais (saudade), anglais bien sûr, voire afrikaans (apartheid) pour évoquer des choses, idées ou concepts mal nommés en français. Mais là, dans le cas de la phrase du dessus, il n'est pas un mot anglais pour lequel il n'y ait pas d'équivalent dans notre langue. Alors pourquoi jargonner ?
D'autant que j'ai découvert ce vendredi, en déjeunant avec mon ami Thomas Z. dont la famille est d'origine pragoise, que la phrase en français empruntait déjà un mot au... tchèque : robot. Et l'histoire de ce terme, directement tirée de Wikipedia, est riche d'enseignement. Jugez plutôt.
Le mot robot est dérivé de robota (« travail, besogne, corvée »). Il a été introduit, en 1920, par l’écrivain tchèque Karel Čapek dans la pièce de théâtre Rossum’s Universal Robots, jouée pour la première fois en 1921. Bien que Karel Čapek soit souvent considéré comme l’inventeur du mot, il a lui-même désigné son frère Josef, peintre et écrivain, comme l’inventeur réel.
Robota est issu du proto-slave orbota, devenu par métathèse, robota dont est issu le russe et le bulgare работа rabota (« travail »), le slovène rabôta (« servage ») ; et, plus avant, de l’indo-européen orbh (« petit enfant, orphelin, jeune esclave »), duquel sont issus l’arménien որբ orb, l’hindi अर्भ arbha (« petit enfant »), le grec ancien ὀρφανός, orphanós (dont viennent aussi l’anglais orphan ou le français orphelin) et le latin orbus, signifiant tous « orphelin ». Le mot allemand Arbeit (« travail ») vient aussi de cette racine.
Je ne sais pas vous, mais pour moi, trouver autour du même étymon les idées de travail, d'esclavage et d'orphelin me trouble. Alors penser que, avec la création du mot robot, la racine puisse être détournée pour évoquer une création de notre intelligence humaine susceptible d'effectuer le travail à notre place, et de nous affranchir ainsi d'une servitude, tout cela m'enchante.
Mais de là à remplacer le mot d'origine tchèque robot, par celui, résolument américain de bot, franchement, ce n'est pas le pied ;-).
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PS : Quelques heures à peine après avoir sorti sa phrase d'anthologie, Pierre G. devait me confier en aparté qu'il était grand amateur de MMO RPG en GPL et en 2D. Là encore, il fallut faire appel à un service spécialisé de traduction. L'acronyme MMO RPG signifie littéralement "massive multiplayer online role play game" soit un jeu vidéo de rôle en ligne multi-joueurs. Quant au GPL, il fait référence aux conditions d'utilisation des logiciels libres. Le 2D est plus facile : il désigne tout simplement l'idée de jeu en 2 dimensions. Quand je demandai à Pierre si, à part un petit groupe de happy few, les gens comprenaient ce type d'expressions, il m'avoua que c'était générationnel et que tous les jeunes de moins de 20 ans étaient on ne peut plus à l'aise avec ce verbiage. A tester...
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