Vous connaissez tous l'histoire d'Icare, le fils de Dédale, qui, livré (ou enchaîné) à l'ivresse de voler loin du labyrinthe construit par son père, s'approche trop près du soleil en dépit des objurgations de ce dernier. Sous l'effet de la chaleur, la cire maintenant les ailes à son corps d'éphèbe fond et, dépourvu de sa prothèse aviaire, est précipité dans les flots d'une mer qui - maigre consolation - portera son nom.
La morale de l'histoire est claire : "Fils, ne désobéis pas à ton père !"
Il y a pourtant dans ce conte une partie que nous passons étrangement sous silence.
Avant qu'Icare ne prenne son envol pour fuir le labyrinthe, son père lui recommande d'éviter de trop s'approcher du soleil. Ca, c'est pour la partie connue. Mais il l'invite aussi à s'élancer le plus vite possible vers l'éther pour que, lors de la traversée de la brume qui enveloppe l'océan, Icare ne voie pas ses ailes alourdies par l'humidité, auquel cas il risquerait d'être happé par la pesanteur. Alors, faute de voler assez haut, le malheureux pourrait être englouti par des vagues et voir son sort scellé dans les bras meurtriers de l'irascible Poséidon. Cette partie de l'histoire est généralement tue.
Avec cet ajout, le message du père ici est tout autre. Il devient : "Fils, quitte la maison du père (le labyrinthe), élève-toi aussi vite que possible pour ne pas être victime des forces gravitationnelles qui risquent de briser ton élan. Le chemin du retour à la maison (le nostos des Grecs anciens, d'où dérive la fameuse nostalgie) te serait fatal. Monte, prends de l'altitude !"
Alors pourquoi cette histoire contient-elle une face claire répétée à l'envi et une face obscure confiée aux méandres de l'oubli ?
J'imagine une double hypothèse.
La première, c'est que toute histoire n'est peut-être qu'un instrument entre les mains du pouvoir pour façonner la conscience des générations à venir ; elle devient alors idéologique. Voilà qui est plutôt désespérant, puisque cela nous ramène justement au respect obéissant des exigences de nos ancêtres, à la nécessité de prolonger leur oeuvre sans nous questionner. Dans ce cas, le message sous-jacente est : "Obéis à la tradition que tes géniteurs t'ont enseignée. Suis et tais-toi."
La deuxième hypothèse, elle, me semble plus réjouissante. Laissez-moi vous l'offrir sous la forme d'une interrogation. Et si toute histoire devait être comprise à au moins deux niveaux : celui de l'explicite, du révélé et celui du non-dit, du caché, du dissimulé ? Dans ce deuxième cas, le message est : "Libère-toi des chaînes de l'appartenance et de la tradition. Cherche ta voie, sois et fais entendre ta voix."
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