Dans un court métrage, l'arc narratif diffère souvent de ce que vous observez dans un film classique.
Dans un long métrage, en général, le déroulé suit une structure en 5 étapes avec...
- la présentation du héros,
- sa quête,
- les obstacles égrenant son parcours vers l'objet de ses rêves - les péripéties,
- la tentation de l'abandon souvent représentée par le héros rêvant à ce que serait sa vie s'il parvenait à satisfaire sa quête,
- la baguette magique ou le Deus Ex Machina qui vient infléchir le cours des événements en sa faveur,
- la résolution finale ou dénouement.
Comme l'ont bien formalisé les scénaristes de Pixar, une variation autour de ce schéma peut être représentée de la forme suivante :
- Il était une fois, un héros...
- Chaque jour, il répétait les gestes suivants...
- Jusqu'au jour où...
- A cause de cela...
- Jusqu'à ce que finalement...
Vous retrouvez la même logique, si ce n'est que nous ne sommes plus dans le registre de l'épopée, avec l'acte sublime de projection vers une quête, mais plutôt dans une plongée dans le quotidien et ce qui en fait son caractère charmant : la répétition.
Omnibus de Sam Karmann, qui a remporté la palme d'Or du court métrage à Cannes en 1992, suit cet arc narratif :
- Il était une fois, un héros nommé Jean-Louis Martichou vivant dans le Nord de la France.
- Chaque matin, il se rendait à la gare, s'achetait le journal et prenait le train de 9h06 pour se rendre à son lieu de travail au Cateau-Cambrésis.
- Jusqu'au jour où, se faisant contrôler dans le train, il découvrit avec effroi que la SNCF avait modifié son planning. Le train de 9h06 dans lequel il était monté comme tous les matins devenait un direct jusqu'à Desvres et ne s'arrêtait plus au Cateau-Cambrésis.
- A cause de cela, il risquait d'être licencié et de voir sa vie familiale ruinée.
- Jusqu'à ce que finalement, le conducteur du train le prenne en pitié et ralentisse suffisamment à l'approche de la gare du Cateau-Cambrésis, pour que notre héros puisse sauter du train sur le quai sans se rompre les os.
Mais la magie du court métrage, c'est que l'histoire ne doit pas s'arrêter là. Du fait du format - court - nous n'avons pas pu entrer totalement en empathie avec le héros. Au mieux, après quelques minutes, nous lui trouvons un fond de sympathie et commençons à ressentir de la peine pour ce qui lui arrive. Mais le happy end final ne saurait nous procurer la satisfaction jubilatoire que nous ressentons dans un long métrage, après avoir passé une heure, voire plus, à partager les tribulations d'un héros empêtré dans des péripéties sans fin.
C'est la raison pour laquelle, dans un court métrage, il faut rajouter une chute qui nous procure une décharge émotionnelle forte. C'est ce que fait à merveille Sam Karmann en nous concoctant une fin des plus inattendues.
Nous sommes à la fin du petit film. Après avoir négocié tour à tour avec le contrôleur et le conducteur du train, notre héros a pu mettre pied sur le parapet de la gare du Cateau-Cambrésis. Nous respirons d'aise en nous disant que tout est bien qui finit bien. Le héros, lui-même soulagé, un sourire aux lèvres, reprend ses esprits après avoir quitté le train. Et c'est là que, subitement, on voit un un bras vigoureux se saisir de Martichou et le hisser dans le wagon !
Devant le regard hébété de Martichou désormais à nouveau dans le train qui accélère en quittant la gare, le costaud qui l'a hissé à la force du poignet affiche une mine réjouie sous son béret et énonce cette phrase d'anthologie : "Eh bien, mon p'tit gars, vous, vous avez failli le rater..." Un dernier plan s'attarde sur le visage de Martichou, bouche ouverte et sourcils levés. Générique de fin. L'art de la chute à son sommet.
Toujours sur le même registre, j'ai eu la chance de découvrir tout récemment un autre magnifique court métrage appelé Headway. Headway est un projet expérimental mélangeant slackline et musique classique. Produit par Nicolas Romieu, ce court métrage met en scène Louis Boniface, champion de France de slackline, accompagné dans sa traversée de la rivière, par un violoniste facétieux mais généreux. Facétieux, parce qu'en plein milieu de la traversée, il cesse de jouer du violon. Sans raison. Sous l'effet de l'interruption inopinée, le funambule chute. Généreux, parce que, juste après la chute de l'acrobate, il reprend son instrument et recommence à jouer. Le funambule nous donne alors à voir un festival de figures plus aériennes les unes que les autres. Puis, à un moment, il cesse son feu d'artifice d'acrobaties et se remet debout sur la slackline. Il reprend alors sa marche sur le fil, gagne l'autre rive et s'enfonce dans la forêt attenante.
Tout est fini ? Ca s'arrête là ?
Eh bien non.
Dans le respect de ce qui a prévalu dans la construction narrative d'Omnibus, vous pourrez voir se présenter un nouveau personnage au bord de la rivière. C'est une jeune femme. En la voyant s'approcher de la slackline, le violoniste lève le bras tenant l'archet comme pour entamer une nouvelle interprétation. C'est la dernière image. Là, oui, c'est bien fini.
Car - et c'est tout l'art de la chute dans la construction d'un court métrage - la suite de l'histoire doit être laissée à la libre interprétation du spectateur.
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