Quand j'anime des formations commerciales, un des enseignements les plus difficiles à appréhender pour les participants est celui relatif à la mise en scène de leurs offres.
Je leur demande de construire des scénarios d'utilisation de leur offre susceptibles de créer un intérêt et de véhiculer une émotion. Pour ce faire, je les invite à oublier le produit pour se concentrer sur les personnes. Je leur demande d'imaginer (et de faire imaginer) une situation familière dans laquelle l'utilisation du produit aurait tout son sens, puis de décrire par le menu la séquence d'actions réalisée par le protagoniste avec le produit.
A titre d'exemple, supposons que vous vouliez vendre la fonctionnalité de décalage temporel ou time shifting sur un magnétoscope. Si je vous dis que mon magnétoscope est doté d'une capacité d'enregistrement vidéo ou audio sur support de stockage numérique permettant de visionner ou de retrouver un élément temporel venant d'être enregistré, j'ai toutes les chances de vous perdre.
En revanche, si je prends la peine de soigner la mise en scène :
"Imaginez que vous rentrez chez vous et vous vous faites de voir à la télé le match de foot entre l'OM et l'OGC Nice. Vous êtes confortablement affalé sur votre canapé, quand le téléphone sonne. Vous voyez la scène ?
A ce moment-là, vous appuyez sur le bouton "suspension" de votre télécommande, prenez l'appel et une fois ce dernier, vous vous installez à nouveau dans votre canapé. Vous appuyez sur la touche "suspension" et la diffusion du match redémarre à partir du moment exact où vous l'aviez laissée."
Vous voyez la différence ?
Maintenant, les choses sont claires. Le scénario est limpide. Qui plus est, avec ce scénario, j'ai créé une légère décharge émotionnelle. Quand ? Lors de la mise en scène et de l'appel téléphonique. Si votre interlocuteur vous suit, il n'aura pas manqué d'éprouver un peu d'agacement en se représentant la situation.
Ce biais cognitif est bien connu depuis les années 20 et porte le nom d'effet K.
A l'époque, un réalisateur soviétique du nom de Lev Koulechov travaille en qualité de directeur de l’Institut supérieur cinématographique d'État.
Au cours d’une expérience menée en 1921 auprès de ses étudiants, il leur présente une séquence de deux images. La première est celle d'un plat de soupe, suivie d'un plan serré sur le visage de Koulechov en acteur. A ce moment, il arrête l'expérience et demande à ses étudiants quelle est l'expression de l'acteur. Tous répondent qu'il exprime la faim.
Il leur présente alors une deuxième série de deux images. Cette fois ci, le premier cliché représente un cercueil dans lequel gît une petite fille. Puis apparaît le visage de l'acteur. A nouveau, il demande aux étudiants d'indiquer l'expression qu'avait l'acteur. Leur réponse est unanime : de l'affliction.
Enfin, il présente l'image d'une belle jeune femme en tenue légère allongée sur une bergère. Le visage de l'acteur réapparaît pour la troisième fois. Cette fois-ci, à la question de savoir ce qu'exprimait l'acteur, les étudiants répondirent qu'il manifestait un désir empreint de luxure.
Pourtant, dans les trois cas de figure, l'image représentant l'acteur est strictement la même. Sur cette image prise isolément, il est facile de constater que Koulechov exprime une impassibilité totale, une absence désolante de sentiment. Par suite, c'est le décor précédent qui colore le visage de l'acteur d'une émotion. C'est la mise en scène qui rend lisible l'expression et non le jeu de l'acteur.
C'est pourquoi désormais, quand vous serez en situation de suggérer des scénarios d'utilisation de votre offre, je ne saurais trop vous recommander de soigner la mise en scène préalable, de veiller à ce que votre décor soit planté avec une grande richesse de détails. N'hésitez pas du reste, une fois terminée l'évocation du décor, de demander à votre interlocuteur s'il se représente bien la scène. Si tel est le cas, le chemin sera libre pour que vous l'aidiez à considérer la séquence d'actions que lui (ou, à défaut, un ou une de ses collègues) effectuera en se servant de votre offre.
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