L'Art de Raconter

Petite histoire du futur (suite)

Le mois dernier, j'écrivais une note mettant en scène l'art et la manière de faire ses courses dans le futur. L'héroïne, Juliana Restrepo, est une jeune femme colombienne de 42 ans, dont les préoccupations font le yo-yo entre la quête d'identité, le désir d'accumuler des points de fidélité pour profiter des meilleures offres, la peur de se voir voler son identité virtuelle et la recherche ultime du réconfort sous l'aile protectrice de la religion catholique... mais une religion très relookée aussi, puisqu'elle se manifesterait à travers une application permettant de gérer son niveau d'adhérence aux rituels, de gagner des points pour, qui sait, obtenir une place au paradis ? Voilà une version qui n'est pas sans rappeler le trafic d'indulgences d'antan...

Cette petite histoire nous raconte une vision certes terrifiante du futur, mais plausible. Car, en filigrane, cette mise en scène nous met en face d'une évidence que je trouve difficile à affronter les yeux grand ouverts : demain, le monde virtuel et le monde réel convergeront. 

Depuis que le web a fait irruption dans nos vies, nous avons cru bon de raisonner selon le principe de séparation des genres. Il y aurait d'un côté le monde virtuel et de l'autre, le monde réel. C'était deux mondes étanches, obéissant chacun à des règles bien précises, des règles inopérantes pour ne pas dire aberrantes, une fois appliquées dans l'autre monde. Amazon faisait du commerce en ligne ; c'était un "pure player". En face, Carrefour faisait du commerce dans le monde réal, c'était un représentant de l'économie "brick and mortar". Nous nous sommes habitués à les traiter en mode opposition.

Vous rappelez-vous l'époque où Google nous gratifiait, il y a pas si longtemps d'une vidéo où un jeune homme, en train de s'acheter du pain de mie coupé en tranche, se verrait appliqué à la caisse les dispositions habituelles d'identification et de paiement auxquelles, nous nous sommes accoutumés à force de faire nos courses sur des sites comme Amazon ou Zalando.

A mourir de rire, tant cela peut paraître burlesque et aberrant.

Mais voilà, c'était en 2011. Nous sommes maintenant en 2017, soit 6 ans plus tard. Et là, qu'est-ce qu'on voit ?

Carrefour vend en ligne avec la possibilité de venir récupérer ses achats en "ligne" dans un magasin de "brique". De son côté, Amazon crée des magasins physiques spécialisés, en veux-tu en voilà, que ce soit pour vendre des articles sur lesquels il a brillé en ligne (les livres par exemple) ou pour adresser des catégories de produits peu vendus sur le web, comme des machines à laver ou des frigidaires. Car si, il y a quelques années en arrière, on a cru un moment que les magasins en dur deviendraient les vitrines physiques des sites de vente en ligne, il semblerait que, désormais, on assiste aussi au mouvement inverse où les clients se renseignent sur le web, puis viennent acheter en boutique, histoire de retrouver le charme désuet du contact avec un vendeur.

Après l'opposition, nous voici plongés dans le monde de la convergence. Maintenant, quand on achète, on le fait un peu dans le monde virtuel et un peu dans le monde physique. Les deux mondes s'interpénètrent avec la dissolution progressive des frontières entre ces deux espaces jusque là très séparés. 

Pour illustrer ce métissage des mondes physiques et virtuels, l'éditeur de logiciels Adobe (le roi de la falsification du réel avec son logiciel best seller Photoshop) a créé une courte vidéo amusante montrant comment, dans le monde de demain, il nous suffira de franchir le seuil d'une boutique - une agence bancaire dans le cas présent - pour être reconnus et bénéficier ainsi d'un traitement personnalisé.

A votre bon plaisir :

Je ne sais pas si c'est volontaire, mais tant dans la version 2011 de Google que dans cette d'Adobe en 2017, l'innovation est traitée de façon humoristique. Dans le court métrage de Keiichi Matsuda appelé Hyper-reality, en revanche, nous étions confrontés à une vision terrifiante de ce que nous réserve le monde de demain. 

Ma tendance naturelle à la paranoïa m'amène à penser que c'est bien parce que nous évoluons vers un monde aux contours inquiétants que les "vendeurs" que sont Google et Adobe nous en donnent une vision qui prête à rire. Car quand le thème était moins porteur de risques, plus inoffensif en somme, comme peut l'être l'utilisation d'un moteur de recherche, le même Google nous gratifiait d'une vidéo merveilleuse appelée "Reunion" en anglais ("Retrouvailles" en français) à arracher les larmes d'émotion plus que les rires de dérision.

A voir et revoir sans réserve :

Allez, ne pleurez pas trop quand même !

La vie est belle.

Vente et réseaux sociaux : l'histoire du référencement de Michel et Augustin chez Starbucks

Vous connaissez tous l'histoire : en juin 2015, Michel et Augustin reçoivent une demande d'échantillons de la part de Starbucks. En faisant le constat que l'acheminement des produits de Boulogne à Seattle leur coûterait envion 1.000 dollars par lot, les trublions du goût se disent qu'il serait tout aussi onéreux de livrer les échantillons directement en main propre. Et comme Michel et Augustin ne sont pas du genre à avoir froid aux yeux, ils décident que c'est à Monsieur Howard Schultz, le PDG de Starbucks en personne, qu'ils vont remettre les produits.

Une campagne de buzz à base de vidéo est alors lancée, décrivant les péripéties des deux ambassadeurs de chez Michel et Augustin : Charlotte et Hassan. Les deux émissaires prennent l’avion avec leurs valises bourrées de gourmandises et une caméra qui va leur permettre de retransmettre leurs aventures sur le Net, à destination des fans de la marque et des 129 000 abonnés à sa page Facebook. Instantanément, l’équipe de cinq personnes chargées de la communication de Michel et Augustin crée le mot-clé #allezHowardUnCafé et poste en temps réel les pérégrinations des deux envoyés spéciaux, sur les réseaux sociaux. La prise de risque est maximale, car pour qui connaît l'art et la manière de faire des affaires avec les grandes entreprises américaines, on va dire que l'humour et la bouffonnerie ne sont pas forcément le viatique le plus efficace. Mais ça marche de folie : Charlotte et Hassan sont reçus in extremis par le big boss de Starbucks, sur recommandation de son épouse, paraît-il, qui aurait apprécié le côté bon enfant et gentiment insolent de la campagne des p'tits Frenchies.

Six mois plus tard et après plus de 2,72 millions de visionnages des vidéos consacrées à leur aventure américaine sur Youtube, la marque Michel et Augustin fait aujourd’hui son entrée dans 7.624 cafés Starbucks, répartis dans 50 états américains. Six mois, c’est le temps qu’il a fallu à Starbucks pour tester la qualité des produits et la fiabilité de la marque française.

Alors, que retenir de cette histoire ?

Tout simplement que si vous ne voulez pas être le personnage secondaire d'une histoire façonnée par d'autres, il importe de créer une contre-histoire dont vous soyez le héros. Ainsi, la prochaine fois qu'un client vous demandera des échantillons, ou plus simplement une documentation, une démo, une présentation ou une proposition, pensez à ce que Charlotte et Hassan auraient fait à votre place.

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PS : Pour ceux d'entre vous qui voudraient apprécier la campagne vidéo, en voici le déroulé :

(1) épisode 1 : la demande surprise de Starbucks vendredi soir

(2) épisode 2 : les préparatifs du voyage à Seattle et l'appel au collectif pour créer le buzz

(3) épisode 3 : le voyage Paris - Seattle... premières angoisses.

(4) épisode 4 : arrivée à Seattle : les premières inquiétudes se confirment. La direction de Starbucks n'a pas envie de recevoir nos petits Français

(5) épisode 5.1 : arrivée lundi matin chez Starbucks... le rendez-vous se fait attendre.

(6) épisode 5.2 : le coup de fil qui change tout... la rencontre avec Howard Schultz se précise

(7) épisode 6 : la conférence interne organisée par Howard Schultz pour que Charlotte et Hassan racontent leur histoire.

 

 

La meilleure histoire : celle qui part de votre bouche et vous revient à l'oreille comme un boomerang

Parmi mes activités de conseil et de formation, il en est une qui me remplit d'allégresse et de fierté : celle de professeur vacataire à l'Ecole Centrale de Paris. J'y enseigne la vente à un parterre d'étudiants de 3ème année ayant choisi la filière "Entrepreneurs".

J'admire profondément ces étudiants. En faisant le choix de cette filière, ils s'aliènent des démarrages de carrière fulgurants et très rémunérateurs comme "quants" dans des banques d'affaires de la City au profit des aléas et des incertitudes liés à la création d'entreprise. Leur goût de la liberté, leur enthousiasme et leur aspiration à créer me procurent un plaisir immense et j'espère de tout coeur leur offrir en retour mon propre goût pour tout ce qui a trait au monde de la vente.

Je jubile tout particulièrement lorsque, après avoir rempli mon devoir de prof, j'ai la joie de recevoir, quelques mois, voire quelques années plus tard, un message de l'un de ces étudiants où il me fait part de son désir de renouer contact. C'est ainsi que j'ai pu suivre et apporter ma modeste contribution au succès remarquable de Quelle Energie (fondée par Antoine Châtelain et Julien Lestavel), accompagner très ponctuellement Dimitri Molle au développement de son entreprise Sénova dans le domaine de l'amélioration de notre habitat, ou encore échanger avec Yvan Wibaux - fondateur d'Evaneos - sur la façon de conjuguer performance commerciale et qualité de l'expérience client dans l'art de ne plus voyager idiot.

Or voilà que très récemment, un de ces "anciens élèves" de la filière Entrepreneurs de Centrale me contacte. Il s'agit de Jérémie Pras, fondateur aux côtés d'Olivier Roelants de Calculéo, un moteur de calcul des aides et subventions auxquelles vous avez droit selon la nature des travaux d'économie d'énergie que vous entreprenez dans votre résidence.

Il me raconte comment l'idée de création de Calculéo lui est venue.

Un jour, alors qu'il est chez ses parents, il assiste à la visite d'un installateur de chaudières de nouvelle génération. Lorsque vient la question pépètes, l'installateur annonce son prix de mise en oeuvre. Les parents pâlissent ; l'installateur s'en émeut et vient immédiatement à la rescousse de ses interlocuteurs en annonçant : "Pas de panique ! Le type de matériel que vous installez vous rend éligible à l'aide XYZ de la part du département. Cette aide couvrira l'intégralité des frais de mise en oeuvre et je me fais fort de faire en sorte que vous l'obteniez en vous fournissant le dossier qui va bien et en vous aidant à le remplir." Les parents de Jérémie sont rassurés ; le contrat peut être signé.

L'installateur parti, Jérémie s'intéresse à la question des aides et subventions visant à inciter les particuliers à la réalisation de travaux d'économies d'énergie. Il découvre qu'il y a profusion d'offres de tout poil. Devant pareil fatras, il lui vient l'idée de créer un portail permettant au particulier de visualiser - selon la nature des travaux envisagés - l'ensemble des aides et subventions auxquelles il a droit, que ce soit au niveau local, départemental, régional, voire national. Il en parle à son ami Olivier. Calculéo était né. 

Mais là où l'histoire devient fascinante, c'est quand, un jour, alors qu'il s'entretenait avec un journaliste intéressé par le succès de Calculéo, ce dernier lui dit : "Ah, c'est vous la personne qui a eu l'idée de créer son entreprise en voyant ses parents galérer dans le fouillis insondable des aides publiques ?"

A l'image de l'ouroboros, le dragon ou serpent qui se mord la queue et illustre l'idée d'éternel recommencement, l'histoire avait effectué un cycle complet depuis le moment où Jérémie l'avait vécue et narrée pour la première fois. En revenant à son oreille par la bouche d'un inconnu, il détenait la preuve irréfutable de son incroyable efficacité.

L'homme qui a vu l'ours...

30 secondes, c'est la durée archétypale d'un spot publicitaire. Mais 30 secondes, c'est aussi bien court pour raconter une histoire. Et sauf s'appeler Ernest Hemingway, il y a fort à parier que vous n'alliez pas bien loin avec vos trente secondes...

30 secondes, c'est pourtant la durée du spot narratif réalisé par l'agence Buzzman autour de la marque TippEx (groupe BIC). Très vite, sur ce spot YouTube, le décor est jeté. Au petit matin, à l'orée d'une forêt, un ours surprend un chasseur en train de se brosser les dents. Le titre : "a hunter shoots a bear" (un chasseur tire sur un ours - NDLR).

Que va faire le chasseur ? Va-t-il tirer sur l'ours ? Vous voulez vraiment savoir ? Alors cliquez ici et laissez-vous porter par le script... Vous risquez d'aller de surprise en surprise...

Et si maintenant que vous êtes au parfum sur les dessous de cette exploitation inédite des techniques narratives dans le domaine de la publicité, vous voulez aussi connaître les résultats de cette campagne de buzz, cliquez ici : le cas d'école est explicité, chiffres à l'appui. Quant au processus d'idéation qui a conduit les équipes de Georges Mohammed-Chérif et Thomas Granger à imaginer cette campagne, je vous invite à le découvrir ici.

Une petite merveille d'intelligence et d'humour au service du commerce !

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PS - Un grand merci à Eliott Reilhac, fondateur de ScanBucks, pour m'avoir fait découvrir cette pub.