Le blog de Jean-Marc Bellot

Bonjour tristesse

Il y a des jours où il vaudrait mieux rester couché. C'est sans doute ce que j'aurais dû faire en ce mardi 29 novembre.

Un rapide tour de l'horizon de l'actu permettra de comprendre pourquoi :

1. Villepin renforce les mesures de contrôle de l'immigration. Il y est question, entre autres gracieusetés, de mieux contrôler le regroupement familial. Ainsi, désormais, pour des mariages célébrés à l'étranger, le pouvoir des autorités consulaires sera renforcé au point de prononcer un avis sur la sincérité de l'union des époux !

2. Benoît XVI demande aux évêques de ne plus ordonner de prêtres homosexuels. Le Vatican recommande ainsi de refuser l'ordination aux séminaristes qui ont des pratiques homosexuelles, mais aussi à ceux qui présentent «des tendances homosexuelles profondément enracinées» ou qui, simplement, soutiennent «la culture gay». A quand le retour de l'étoile rose sur fond de pourpre cardinalice ?

3. Sarkozy continue à faire oeuvre de charité chrétienne : "La France ne veut plus de ceux dont on ne veut nulle part ailleurs dans le monde." Il a par ailleurs fixé un objectif de 25 000 expulsions du territoire d'étrangers en situation irrégulière en 2006. Alors quoi... si personne ne veut de moi nulle part dans le monde, cela veut-il dire que je doive tenter le voyage vers l'autre monde ?

4. L'Assemblée Nationale persiste à considérer que la France a joué un "rôle positif" quand elle colonisait d'autres terres, notamment en Afrique du Nord. Ca c'est sans doute en hommage aux futurs immigrés que l'armée française a charitablement fait passer dans l'autre monde le 8 mai 1945 à Sétif pour leur éviter l'humiliation d'être rejeté de partout ! Sans doute l'un de ces événements qui illustrent au plus juste le concept éclairant de "rôle positif" et qui ferait taire le regretté philosophe français Paul Ricoeur quand il se disait « troublé par l’inquiétant spectacle que donne le trop de mémoire ici, le trop d’oubli ailleurs ».

Comment se peut-il que ceux qui applaudissent à ces manifestations d'interventionnisme d'Etat ou d'Eglise soient aussi les premiers à pousser les hauts cris quand l'Etat "ose" porter atteinte à la libre circulation des marchandises et des capitaux... Côté liberté de déplacement autour du globe, cela voudrait-il dire qu'un bien marchand est mieux loti qu'un humain ?

Etre libéral est bon pour l'économie : supprimer les entraves, aller vers toujours plus de légèreté et de fluidité pour facilité les échanges, voilà qui est bon et souhaitable.

Mais attention, être ce qui est bon pour les choses ne l'est pas pour l'homme. Restaurer les entraves, fermer les frontières, exclure, contrôler, tels sont les maîtres-mots de nos maîtres-chiens.

Pendant que nos constructions économiques deviennent aériennes, immatérielles, nos coeurs d'hommes se minéralisent dans le rejet de l'autre. Nos coeurs sont de pierre, de cette pierre dont on fait les tombeaux.

L'infirmière & la boulangère

Hier matin. Samedi. Le tour chez la boulangère. Il est tôt ; il fait gris. Il fait froid. Je commande un pain brioché coupé en tranches et une baguette. Je donne un billet. Je ne parviens pas à me réchauffer ; je frissonne. En me rendant la monnaie, la boulangère me dit : "Faut bien travailler pour payer ceux qui ne travaillent pas." Sans raison apparente. Phrase assassine. Expression de rancoeur. Pourtant, je souris pour faire bonne figure. D'un geste vif, j'enfourne la monnaie dans la poche, bafouille un "bonne journée" et me voilà dans la rue.

Hier midi. L'infirmière vient changer les pansements de Pascale. Une fois sa tâche terminée, elle arrête son regard sur les enfants qui jouent à côté. "Les enfants sont beaux, de nos jours", dit-elle. "Ca fait un sacré changement avec le temps de mon enfance !" Je me remémore les photos de classe quand j'étais petit... Je crois qu'elle a raison. Je souris. Mais cette fois-ci, mon sourire vaut acquiescement et remerciement.

La rue et ses 'golden boys' / 'The Street' et ses voyous.

Ici, quand on parle de LA RUE, ce sont souvent les "pires" images qui y sont associées : la zone, les bandes de djeuns qui déambulent dans le désoeuvrement le plus complet, les ghetto blasters qui déversent du NTM à fond la caisse... Ne dit-on pas aussi "être à la rue" quand tout va de guingois ? Ne désigne-t-on pas de voyous, les habitués de la rue, ceux qui -- littéralement -- ont élu domicile sur les voies ?

De façon étonnante, si vous parlez de THE STREET, l'équivalent anglais de la rue, à des américains, ils n'y verront que des connotations positives. Il faut dire que "The Street" à New-York, c'est le petit nom de Wall Street : le temple de la vie "made in USA", le sanctuaire du capitalisme mondial. La preuve ? Allez sur le site http://www.thestreet.com. Vous verrez que ça ne cause que finance, bourse, DJIA, NASDAQ, put, call, EPS, etc.

Plus amusant encore, l'expression "battre le pavé" en français fera référence à l'errance, au vagabondage, à ce qui reste quand on a tout perdu. A l'inverse, son équivalent littéral "beat the street" en Amérique, c'est faire mieux que les attentes les plus optimistes des analystes financiers, c'est la quasi-assurance d'une flambée du cours de bourse, la promesse d'une plus-value substantielle pour les patrons des boîtes qui auront réussi cet exploit !

D'un côté, ici, la rue est le repaire d'individus peu scrupuleux, les voyous. Là-bas, the street désigne le temple approché par une poignée d'élus : les golden boys.

Pourtant, entre Mohamed Dia, le gars de Sarcelles qui a créé sa marque de streetwear (tiens, street comme la rue, encore !), fait fortune en France et dans le monde grâce à son talent et son audace (cf http://www.mdiawear.com) et Dennis Kozlowski (Tyco), Kenneth Lay (Enron) ou Bernard Ebbers (Worldcom), responsables d'avoir détourné à des fins personnelles quelques dizaines de milliards de dollars (dont certains pour financer la campagne électorale de l'actuel président des USA), où sont les voyous, où est le "golden boy" ?

Et si, à défaut de "fracture sociale", il n'y avait que la figure du chiasme, cette figure de rhétorique qu'affectionnait tant Victor Hugo pour briser des visions convenues ou tout simplement mettre de la poésie dans du prosaïque.

Cela n'aiderait-il pas à voir dans les Zidane (Marseille, quartiers nord), Anelka (Saint-Quentin-en-Yvelines) ou Dia (Sarcelles), les véritables "golden boys" de la France d'aujourd'hui ?

Cela ne permettrait-il pas aussi, en parallèle, à se défier des voyous de grand chemin qui préparent l'insécurité planétaire de demain, qu'ils soient à Manhattan, à Washington, dans un sommet à Davos, ou, plus près de chez nous, à Neuilly-sur-Seine dans le neuf-deux ?

Douleur & volupté

La bienheureuse Ludovica Albertoni ne lasse pas de m'intriguer. Admirablement photographiée ici par Arnaud Frich, sa statue fut immortalisée par Bernin en 1674 et elle gît aujourd'hui à Rome dans l'église San Francesco a Ripa.

D'un côté, l'explication officielle mettra abondamment en valeur la vie exemplaire de cette femme qui consacra sa vie au secours des pauvres du Trastevere. Toujours selon l'hagiographie officielle, c'est alors qu'elle allait être terrassée par la fièvre qui devait l'emporter en 1533, que Ludovica trouva réconfort dans l'Eucharistie, en attendant impatiemment la mort pour s'unir au Christ.

Les convulsions du corps alangui de la sainte sont, toujours selon ces sources, les signes de l'extase qui la gagne au fur et à mesure que s'approche le moment de sa délivrance dans la mort. Ludovica se laisse emporter par la vague de plaisir qui submerge sa douleur. Quant à l'artiste, le Bernin, les critiques mettront sur le compte de l'âge (c'est sa dernière oeuvre), l'expression jugée excessive de pathos.

La bouche entrouverte, les yeux clos, plaquant le drapé au bas des côtes avec sa main gauche alors qu'elle se caresse le sein de sa destre, les genoux légèrement desserrés, tout dans sa posture n'est qu'abandon et jouissance. Et comment croire, sous le soleil de Rome, que les traits transfigurés de la sainte désignent l'extase mystique qui illumine, et non pas, plus trivialement, le plaisir qui inonde ? Equivoque sublime où le Très-Haut scelle une alliance inattendue avec sa créature, où le plaisir devient trait d'union entre l'esprit qui reçoit et le corps qui se donne... à moins que ce ne soit l'Esprit qui se donne et le corps qui reçoit.

Pour ceux qui aimeraient fréquenter d'autres figures de l'ambiguïté :

1. L’extase de Sainte Thérèse d’Avila, à la chapelle Cornaro, Sainte-Marie de la Victoire, Rome, 1645 (photo ci-dessous). Pour une interpréation sensible et sensuelle, je vous renvoie au très beau texte de Katrine Alexandre -- alias Mademoiselle K -- initulé "Jouissance et Sainteré" et paru dans la "Vénus Littéraire".

2. Dans le registre masculin, les représentations de David réalisées de la main des maîtres que sont Donatello, Michelangelo et le Bernin racontent aussi -- me semble-t-il -- une histoire où la jouissance vient couronner l'effort.

3. Jeanne d'Arc (Head of Sorrow) au musée Rodin à Paris.  http://rodin-web.org/works/pix/head_sorrow_bronze_muro_25red.jpg

Le ministre Sarkozy et le sénateur Palpatine

Mai 2005 : sortie de l'épisode III de Star Wars. Avec cet épisode que je vais voir sur les écrans accompagné de mes 3 jeunes gars et de ma p'tite femme, je m'ouvre au mythe et je tombe sous le charme. En sortant, je pose la question aux enfants : "quel personnage vous a le plus plu ?" Le petit (6 ans) répond Anakin Skywalker, le beau héros talentueux au regard d'ange, l'intermédiaire (11 ans) mentionne Obi-Wan Kenobi, le fidèle. L'aîné (13 ans), lui, évoque maître Yoda, le sage. Mais moi, celui qui m'a le plus séduit, c'est indubitablement le sénateur Palpatine. Au début de l'épisode, Palpatine apparaît comme un membre respecté du Sénat de la République. Le visage lisse et le propos douceureux, tout ce qui émane de lui semble frappé du sceau du bon sens, de l'honnêteté, de la dévotion à l'intérêt général.

Pourtant, au gré des images, on découvre l'autre visage de Palpatine : celui de l'homme avide de pouvoir qui fomente de toute pièce une guerre "bidon" pour justifier l'instauration de l'état d'urgence suivie de le prise des pleins pouvoirs.

Machiavélique, le sénateur Palpatine ? Pas vraiment, tant le scénario est banal. N'est-ce pas là qu'une autre illustration du pompier-pyromane ? Tellement banal, me direz-vous, que s'il advenait un personnage de ce type dans la vie réelle, vous pourriez le voir venir de loin et vous défier de lui et des méfaits qu'il porte dans son sillage ?

15 Novembre 2005 : l'état d'urgence est prolongé de 3 mois en notre bonne terre de France. Après quelques jours de tole carbonisée dans les banlieues, un président à lunettes nous ressert le discours qu'il nous assenait il y a 10 ans pour se faire élire... Derrière lui, un ministre plein d'allant et d'ambition distille le miel et le fiel dans un pays empêtré dans la peur.

L'avez-vous reconnu : de petite taille (comme nombre de tyrans sauvageons), le visage lisse, bien peigné, l'allure du serviteur loyal, il reproduit le schéma liberticide désromais classique :

1. je mets le feu aux poudres (incendie du Reichstag, lutte contre le révisionnisme, "Kärcher/voyou/racaille")

2. je mets le coupable sous le feu des projecteurs (van der Lubbe le communiste étranger, Trotski l'exilé à l'étranger, l'étranger dans nos murs). Avez-vous noté combien l'ennemi désigné, le bouc émissaire, a toujours des connexions fortes avec "l'étranger" ?

3. je mets en place une procédure d'exception (demande et obtention des pleins pouvoirs, procès de Moscou, état d'urgence)

L'histoire bégaie-t-elle ? Pourvu que non...

En attendant, face aux bonimenteurs qui vendent de la peur au kilo sur les écrans cathodiques pour justifier le délire sécuritaire et le bruit des bottes, devant les tenants de la "tolérance 0" aux résonances bien peu chrétiennes, n'est-ce pas le moment de décréter l'état de vigilance citoyenne ?

Encore une fois, au risque d'être lourd :

Qui a incendié le Reichstag ? van der Lubbe ou Hitler ?

« C'est un signe de Dieu, Herr Vice-Chancelier! Si ce feu, comme je le crois, est l'œuvre des communistes, nous devons écraser cette peste meurtrière d'une main de fer ! » (Hitler au vice-chancelier Franz von Papen, le 28 février 1933)

Qui a brûlé les voitures ?  le vilain Ahmed ou le bon petit Nicolas ?

"Ce sont des voyous, des racailles, je persiste et je signe", a déclaré Nicolas Sarkozy, jeudi soir (ndlr -- 10 novembre) sur France 2, lors d'une émission spéciale "A vous de juger" consacrée à la crise des banlieues, retrouvant le ton  très offensif abandonné ces derniers jours. Et le ministre de l'intérieur entend bien en débarrasser le pays au nom des "braves gens qui veulent avoir la paix".

L'histoire nous a appris à reconnaître les tyrans et les dictateurs qui se cachent derrière les apôtres de la sécurité. Le signe tristement célèbre de la SS contient le mot "SCHUTZ". Sa traduction en français : PROTECTION, SECURITE !

Pour ceux qui doutent encore, je ne saurai trop recommander d'aller voir STAR WARS. Episode III. Palpatine. République. Etat d'urgence. Mort de la République.

RRR / PPP (Rome... encore)

A l'origine, la louve nourrit Rémus et Romulus... Ils fondent Rome. Ce sont les trois "R" auquel il faudra ajouter, bien longtemps après celui de la res publica.

Puis viendront Pierre, Paul et Pasoloni. Trois figures de la transe ou de la transfiguration qui accompagneront la métamorphose de la ville. Pasolini portera même l'allégorie jusqu'à réincarner les apôtres dans son prénom. Voilà pour les 3 "P".

Mais de la même façon qu'il y a un quatrième "R", il y a aussi un quatrième "P". Celui de l'interdit absolu, du non-dit où viennent se bousculer les passions humaines, où le bras meurtrier du frère fondateur détourne la caresse du bras amant du ragazzo (encore un 'R', cher à Pasolini !)

Ce dernier "P" est celui de la louve nourricière. C'est le "P" de lupa, la louve des origines, la putain innommée. Le secret bien gardé... et occulté par l'omnipotence du Père de Pierre.

Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi ce terme étrange de lupanar pour désigner les maisons de tolérance ?

Demandez à un romain.

Renaissance aux bords de l'Elbe

Ce n'est pas tous les jours que l'on peut fêter la résurrection de la beauté !

C'est sur les bords de l'Elbe, à Dresde. Elle, c'est la Frauenkirche, Notre-Dame de Dresde, joyau du baroque allemand du XVIIIème. Détruite lors du bombradement de février 1945, elle n'était plus, pendant près de 50 ans, que 2 moignons de pierre entourés d'amas prodigieux de débris. Depuis plus de 10 ans, elle était reconstruite pierre par pierre. Il n'aura fallu que 11 ans pour redonner à l'église sa splendeur et sa grâce perdues dans l'horreur d'une nuit d'obscénité meurtrière.

Vous voulez rendre visite à la Frauenkirsche de Dresde ?

- en allemand : http://www.frauenkirche-dresden.org/

- en français : http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3230,36-705382@51-633431,0.html