Ici, quand on parle de LA RUE, ce sont souvent les "pires" images qui y sont associées : la zone, les bandes de djeuns qui déambulent dans le désoeuvrement le plus complet, les ghetto blasters qui déversent du NTM à fond la caisse... Ne dit-on pas aussi "être à la rue" quand tout va de guingois ? Ne désigne-t-on pas de voyous, les habitués de la rue, ceux qui -- littéralement -- ont élu domicile sur les voies ?
De façon étonnante, si vous parlez de THE STREET, l'équivalent anglais de la rue, à des américains, ils n'y verront que des connotations positives. Il faut dire que "The Street" à New-York, c'est le petit nom de Wall Street : le temple de la vie "made in USA", le sanctuaire du capitalisme mondial. La preuve ? Allez sur le site http://www.thestreet.com. Vous verrez que ça ne cause que finance, bourse, DJIA, NASDAQ, put, call, EPS, etc.
Plus amusant encore, l'expression "battre le pavé" en français fera référence à l'errance, au vagabondage, à ce qui reste quand on a tout perdu. A l'inverse, son équivalent littéral "beat the street" en Amérique, c'est faire mieux que les attentes les plus optimistes des analystes financiers, c'est la quasi-assurance d'une flambée du cours de bourse, la promesse d'une plus-value substantielle pour les patrons des boîtes qui auront réussi cet exploit !
D'un côté, ici, la rue est le repaire d'individus peu scrupuleux, les voyous. Là-bas, the street désigne le temple approché par une poignée d'élus : les golden boys.
Pourtant, entre Mohamed Dia, le gars de Sarcelles qui a créé sa marque de streetwear (tiens, street comme la rue, encore !), fait fortune en France et dans le monde grâce à son talent et son audace (cf http://www.mdiawear.com) et Dennis Kozlowski (Tyco), Kenneth Lay (Enron) ou Bernard Ebbers (Worldcom), responsables d'avoir détourné à des fins personnelles quelques dizaines de milliards de dollars (dont certains pour financer la campagne électorale de l'actuel président des USA), où sont les voyous, où est le "golden boy" ?
Et si, à défaut de "fracture sociale", il n'y avait que la figure du chiasme, cette figure de rhétorique qu'affectionnait tant Victor Hugo pour briser des visions convenues ou tout simplement mettre de la poésie dans du prosaïque.
Cela n'aiderait-il pas à voir dans les Zidane (Marseille, quartiers nord), Anelka (Saint-Quentin-en-Yvelines) ou Dia (Sarcelles), les véritables "golden boys" de la France d'aujourd'hui ?
Cela ne permettrait-il pas aussi, en parallèle, à se défier des voyous de grand chemin qui préparent l'insécurité planétaire de demain, qu'ils soient à Manhattan, à Washington, dans un sommet à Davos, ou, plus près de chez nous, à Neuilly-sur-Seine dans le neuf-deux ?
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