Si je venais à m'échouer sur une île déserte avec la possibilité d'y amener un livre, ce serait sans doute un petit ouvrage de Betty Rojtman intitulé "Le pardon à la lune". Dans cet essai sur le tragique biblique, l'auteur fait des parallèles constants entre les figures de l'effacement - Rachel, Joseph, Saül - nées sous le signe de la lune et celles, solaires, de la gloire - Léa, David - à qui tout semble sourire sans effort.
Aux premiers vont les tourments de la mélancolie, la difficultés à voir leurs désirs se réaliser. Aux seconds échoient la force, la vitalité, la vigueur et les honneurs.
Regardez Saül, dont le nom en hébreu Chaoul, signifie l' "emprunté". Il a beau servir Dieu avec constance, se conduire en zélote, il lui suffira de commettre une seule faute pour être puni implacablement. Après s'être vu confiée par Yahvé la mission d'anéantir tous les Amalécites, Saül fait passer tout le monde au fil de l'épée en exécution de l'anathème. Tout le monde ? Non. Pour une raison qui n'est pas précisée dans le Livre, il omet de tuer leur roi, Agag, qu'il a pourtant fait capturer. Là est la faute et sa destitution est consommée dans ces mots :
" Mais Saül et l'armée épargnèrent Agag [...]. Sur quoi l'Eternel parla ainsi à Samuel : "Je regrette d'avoir conféré la royauté à Saül, parce qu'il m'a été infidèle et n'a pas accompli mes ordres." (Samuel, 15, 9-11)
A partir de ce moment, Saül est rejeté, banni. Il implore le pardon. Yahvé le rejette. Il finira sa vie lamentablement, à la bataille de Gelboé, contre les Philistins. Ses trois fils et son écuyer seront tués eux aussi durant le combat.
En face de la figure de Saül, souvent représenté comme vieux, mélancolique, jaloux, il y a David, l'enfant insolent que rien n'arrête. Tout lui est offert sur un plateau d'or. Il a la beauté, le courage. Excessif en tout, David. Il ne fait pas la guerre, il fait des razzias. Rien ne lui résiste. Il prend Jérusalem en un tournemain. Il s'approprie : après la prise de Jérusalem, il nomme la ville la cité de David. Il trucide, il chante, il déclame de la poésie, il aime enfin. Il aime les femmes au point de faire tuer Urie le Hittite pour lui ravir sa femme, Bethsabée. Il commet le crime, le reconnaît devant Nathan. Yahvé se mettra en colère. David implorera le pardon. Yahvé pardonnera. Le futur roi Salomon pourra voir le jour.
Dans le Talmud, il est dit :
"Rav Yehouda a enseigné au nom de Chemouel : Pourquoi la royauté de Saül n'a-t-elle pas duré ? C'est qu'il était sans défaut." (Yoma, 22b)
Dieu prendrait-il le parti de la truculence généreusement assumée contre l'obéissance empruntée ?
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