La formule de Sir Winston Churchill selon laquelle «la démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres» est sans conteste l’une des plus belles défenses et illustrations de cette forme de gouvernement.
Moins connue cette fois, cette autre formule du très aristocratique 1er ministre britannique :
«Rien de tel qu’une conversation de 5 minutes avec un électeur moyen pour disposer d’un argument en béton contre la démocratie¹.»
On retrouve là, sous-jacent, l’antienne des tenants de l’élitisme, selon laquelle l’avis de quelques esprits éclairés vaudrait mieux que celui d’une masse d’individus ignorants. Voire, dans des domaines complexes où l’exercice de prise de décision est délicat, il serait, toujours selon ces personnes, plus sage de faire appel à l’avis des seuls experts.
Alors à qui se fier ? Au Churchill qui déclare que «l’opinion publique doit en toutes circonstances guider et contrôler l’action des ministres qui sont ses serviteurs et non ses maîtres» ou à Sir Winston qui dénigre l’électeur moyen ?
Un petit livre étonnant apporte une réponse inattendue à cette question. Il s’agit de ‘The Wisdom of Crowds’ de James Surowiecki, toujours non traduit en français à ce jour. La réponse, c’est qu’en matière de prise de décision sur un problème complexe, une foule d’individus sans connaissance particulière obtient de meilleurs résultats que n’importe quel expert du sujet considéré.
Ainsi, lorsque, au matin du 28 janvier 1986, le monde apprend que la navette Challenger a explosé en vol, les marchés financiers sanctionnent immédiatement le cours des sociétés associées au programme de la NASA. Vingt-et
Pourtant, juste après l’accident de Challenger, les marchés avaient dû répondre au plus vite à la question suivante : « Comment la survenance de cette catastrophe doit-elle impacter la valeur des sociétés impliquées dans le programme Challenger ? » Il leur avait fallu à peine plus d’une ½ heure pour y apporter la réponse – et la bonne qui plus est.
En analysant différent cas, tous plus passionnants les uns que les autres, James Surowiecki met en évidence un ensemble de quatre conditions caractérisant les situations où la foule informe et anonyme bat à plate couture les experts désignés. C’est lorsque :
- La diversité d’opinions est garantie : chaque personne appartenant au groupe est en mesure de faire valoir sa propre interprétation de la situation, si excentrique soit-elle ;
- Les parties sont indépendantes deux à deux, à savoir que l’opinion des individus est libre et non influencée par des tiers ;
- Les opinions sont décentralisées et traduisent ainsi une perception locale ;
- Il existe un mécanisme communément accepté d’agrégation à travers lequel les opinions locales se consolident pour donner forme à l’expression d’une décision collective.
Diversité et indépendance de pensée, expression des points de vue au niveau local et principe de prise de décision par agrégation des votes locaux, voilà quelques règles d’or qui vont comme un gant à notre bonne vieille démocratie. Est-ce à dire que les décisions émanant du jugement collectif sont toujours avisées ? Pas forcément, affirme l’auteur. En revanche, ce qui reste toujours sage, conclut-il, c’est la décision de les prendre de façon démocratique.
¹ Traduction libre de votre serviteur. Pour les anglophones, la citation d’origine est : « The best argument against democracy is a five-minute conversation with the average voter. »
Intéressante la chute des cours Morton Thiokol après l'accident de Challenger. Je lis justement "Les décisions absurdes" de Christian Morel, où est raconté l'enchainement de décisions ayant mené au drame.
Bravo pour vos articles pertinents. Si jamais vous avez des liens à propos de l'"agrégation à travers lequel les opinions locales se consolident pour donner forme à l’expression d’une décision collective." ? Exemple : comment les votes individuels peuvent mener à une expression collective.
Rédigé par : Philippe Bancourt | 03/02/2006 à 18:53