A la question de savoir d'où vient le Mal, Michel Serres répond dans la lignée de René Girard : du mime, du même. La mécanique est désormais connue : le bien d'autrui suscite l'envie, les effets miroirs se multiplient sans entraves jusqu'au conflit généralisé. A ce stade, lorsque le goût du sang est dans toutes les bouches, seul le meurtre sacrificiel du bouc émissaire permettra de restaurer la paix au sein de la communauté.
Or, le bouc émissaire aura toujours la figure de l'enfant, de la pureté, de la virginité. C'est là le secret ignoble de la guerre : le meurtre de la descendance par ses pères. Ineffable, ce secret ? Non. Il nous est conté dans deux grands récits. D'abord dans le Livre des Juges (XI, 34-40) lorsque Jephté, général des armées d'Israël, sacrifie sa fille, Mizpa, en holocauste après avoir remporté la victoire sur les Ammonites. Ensuite dans l'Iliade, lorsque Agammemnon, désespérant de voir se lever le vent qui portera les voiles grecques sur les rivages de Troie, sacrifie sa fille Iphigénie à Diane / Artémis.
Le Dieu de la Bible n'arrêtera pas le bras de Jephté comme il avait arrêté celui d'Abraham. Diane / Artémis, elle, prendra pitié d'Iphigénie et la soustraira au sacrifice. Il faut dire que dans le premier cas, c'était l'homme qui avait proposé le marché, dans le deuxième c'était la déesse. La divinité peut revenir sur sa parole, privilège dont sont privés les humains.
Mais peu importe. Dans les deux cas, c'est la beauté qu'on assassine.
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