Si Hérodote, l'ingatigable découvreur de mondes de l'Antiquité, ce géographe-reporter-historien, se réincarnait aujourd'hui, il porterait peut-être le nom de Ryszard Kapuscinski. Ecrivain de l'histoire immédiate, ce journaliste polonais a le talent de transformer l'écoulement du temps et ses vicissitudes en grande littérature. A partir des milliers d'histoires racontées qu'il va recueillir sur le terrain, il dénoue l'écheveau des conversations pour donner un sens aux événements. A l'image de son prédécesseur de la Grèce antique, il traque dans la connaissance des autres les clefs ou les schémas lui donnant à comprendre notre monde dans son ensemble.
Sans illusion, mais avec détermination, il déclare dans un entretien avec Jan Krauze paru dans le Monde du 19 mai :
"Le savoir est impossible à atteindre, mais au moins faut-il essayer : les médias semblent y avoir renoncé. C'est une tendance très dangereuse : l'opinion mondiale ne compte plus, et les gens qui détiennent le pouvoir en profitent pour faire ce qu'ils veulent."
C'est là un paradoxe surprenant de notre modernité : plus l'information devient abondante, plus elle peut être utilisée comme instrument d'abêtissement des foules. Faute de nous proposer des clefs permettant de donner du sens à l'information, les médias entretiennent la chaos dans notre tête. Ce n'est pas tant le fameux "trop d'information tue l'information" qui nous guette, que ce phénomène finement analysé par Kapuscinski voulant que "la manie de l'information courte augmente [notre] désorientation".
Or, de la même façon que pour lire une carte, il importe d'avoir la rose des vents comme technique de repérage, la compréhension du temps qui passe ne peut se faire qu'avec des grilles de lecture permettant l'excitation de notre esprit critique, de notre capacité d'interprétation.
Une géographie sans échelle et sans boussole et vous êtes perdu ; un événement sans son contexte et vous êtes juste informé... c'est-à-dire ignare. Pire, vous croyez savoir parce que vous détenez une information (que dans votre trouble de la conscience, vous aurez du reste tendance à appeler "l'information"). Pourtant, à quoi pouvez-vous confronter cette information, dans quelle grille contextuelle s'insère-t-elle ? Vous courez le risque de demeurer ignorant tout en ayant pour vous l'illusion d'être au fait de ce qui se passe. Comme le dit si joliment un proverbe arabe : "Celui qui ne sait pas et qui ne sait pas qu'il ne sait pas est un crétin. Fuis-le !"
Les médias sont-ils des fabriques de création de crétins à la chaîne ? Possible si on se réfère à la phrase désormais célèbre prononcée par un patron de chaîne TV française en 2004 :
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