La semaine dernière deux écrits ont éveillé ma curiosité :
1. Un article paru dans le Monde du 20 mai, tout d'abord, illustrant les thèses de Jared Diamond, biogéographe américain sur le thème "Comment les sociétés disparaissent".
2. Un ouvrage de Sydney Finkelstein, ensuite, intitulé "Why Smart Executives Fail and What You Can Learn From Their Mistakes" (Pourquoi des dirigeants brillants échouent-ils et que peut-on apprendre de leurs erreurs).
Bien que les thèmes soient distincts, ce qui m'a frappé ce que les deux études conduisent à une même conclusion : l'effondrement des civilisations ou l'échec des organisations résultent dans un cas comme dans l'autre d'un processus d'auto-destruction piloté inconsciemment par la classe dirigeante.
Ainsi, Jared Diamond souligne que, contrairement à toute attente, ce ne sont pas des catastrophes exogènes qui sont à l'origine du déclin puis de la disparition des plus brillantes civilisations -- Mayas, île de Pâques, empire khmer -- mais bien une politique obstinée de déprédation des ressources associée à une incapacité à en apprécier les conséquences lisibles et prévisibles.
De son côté, Sydney Finkelstein a étudié plus de 51 cas d'échecs retentissants en organisation et a interrogé 197 patrons et directeurs financiers de grandes entreprises pour comprendre ce qui pouvait amener des gens a priori intelligents et dotés d'une expérience avérée dans la conduite des affaires à faire capoter leur entreprise. Il en tire une série de règles, de pathologies qu'il a habilement nommées "les 7 habitudes des dirigeants adeptes de l'échec en série". Là encore, il n'y a rien d'exogène ; les concurrents n'y sont pour rien tant les causes d'effondrement sont à rechercher dans un ensemble de croyances raisonnables quand elles sont prises individuellement, mais effroyables quand elles sont activées de façon concomittante.
Dans les deux cas, nous avons donc affaire à un suicide collectif plus ou moins consiemment piloté par les dirigeants. Naturellement, tant Jared Diamond que Sydney Finkelstein ont recherché les cause de ces effondrements et là où cela devient particulièrement intéressant, c'est que là encore, ils détectent les mêmes combinaisons fatales. La combinaison létale par execellence allie le sentiment de toute-puissance (c'est moi qui ai conduit la société là où elle en est aujourd'hui), l'illusion de la permanence (on a toujours fait comme ça et ça nous a réussi dans le passé), une propension aiguë à négliger les signes avant-coureurs des changements en cours et surtout une incapacité totale à apprendre.
C'est en traitant avec mépris le mode de vie et les pratiques des Esquimaux que les Vikings, conquérants du Groenland peu avant l'an 1000, sont passés à côté de la pêche et de la technique du harpon (ils préféraient l'élevage) et ont ignoré l'igloo (ils penchaient vers les maisons en bois). Résultat : en 1420, les Vikings sont chassés du Groenland par ces mêmes Inuits qu'ils avaient tant méprisés.
En entreprise, les exemples sont légion : Wang et sa machine à traitement de texte, Ford et sa Edsel, Enron, Medtronic, DEC...
Et toujours, à l'origine de l'échec, la fière arrogance des dirigeants, leur aveuglement devant les avertissements à peu de frais de leur entourage et leur incapacité à apprendre des erreurs passées ou de leur environnement immédiat.
A bon entendeur, salut !
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PS - Si vous comprenez l'anglais, je vous invite à écouter Sydney Finkelstein présentant les résultats principaux de sa recherche.
Bonjour Jean-Marc,
Je suis tombé en arrêt l'autre jour dans une Maison de la Presse sur le livre de Jared Diamond (la couverture- belle photo d'une statue de l'Ile de Pâques- attirait à elle seule le regard), et j'avais failli acheter l'ouvrage (mais j'ai tant de livres en retard déjà). Je suis fasciné, comme vous, par les conduites d'échec au niveau personnel ou collectif. Il y a là un défi à la logique et à la compréhension. J'ai, en 2004, été passionné par la lecture de l'étude de Christian Morel, "Les décisions absurdes"., où il analyse des cas avérés de mécanismes collectifs qui ont conduit à des désastres (comme l'accident de Challenger).
Vous me direz que ceci n'a pas grand rapport avec la Géographie Sacrée... Certes, mais je ne suis pas monomaniaque, et j'apprécie l'éclectisme de vos rubriques.
Bien à vous, Jean-Marc,
Robin
Rédigé par : Robin Plackert | 25/05/2006 à 14:16
Merci pour votre commentaire, Robin ! J'ai aussi lu l'excellent livre de Christian Morel sur le thème des décisions absurdes. Dans la même lignée, mais un rien plus cruel, je vous invite à consulter "Le prix de l'incompétence" de Christine Kerdellant (Denoël).
Bien à vous
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc | 26/05/2006 à 11:21
Si j'extrapole votre propos je rajouterai le phénomène d'hubris. La mégalomanie du manager le conduirait à prendre des décisions non rationnelles notamment en ce qui concerne les F et A ...Roll (1986)
Rédigé par : Nathalie | 23/03/2007 à 13:00
Il n'est pas inintéressant de regarder aussi dans le cadre de la théorie de l'agence le phénomène d'enracinement des dirigeants (Finkelstein et d'Aveni 1994)... la décision est ici rationnelle mais du point de vue de l'opportunisme du dirigeant...
Rédigé par : Nathalie | 23/03/2007 à 14:06
Merci Nathalie pour vos deux commentaires. C'est amusant. Dans le premier, vous évoquez l'hubris, la mégalomanie, le toujours plus loin. Dans le second, vous abordez l'enracinement comme cause de l'échec. Trop de mouvement dans un cas, trop de fixité dans l'autre. A vous croire, le message pour les dirigeants ne serait-il pas : "entre deux extrêmes, trouvez l'équilibre & sachez faire bonne mesure sans jamais rompre le mouvement."
Rédigé par : Jean-Marc à Nathalie | 24/03/2007 à 02:10
oui sans doute... toutefois l'enracinement du dirigeant n'est pas la fixité, il s'agit simplement d'une logique de développement des firmes qui a pour but de servir les intérêts du dirigeant.
La stratégie d’enracinement du dirigeant prend la forme d’investissements spécifiques à leurs propres compétences qui, en rendant coûteux le remplacement des dirigeants (le dirigent maximise de cette façon maximise la différence entre la valeur des actifs de la firme gérée par lui et la valeur qu'ils auraient s'ils étaient gérés par une autre équipe), leur permet d’obtenir des rémunérations plus élevées (Shleifer et Vishny 1989).
Selon cette analyse, les cibles dans les opérations de rachat d'entreprises ne seraient pas choisies en fonction du montant des synergies potentiellement réalisables mais plutôt parce qu'elles vont rendre nécessaire leur propre expertise …. Ceci peut expliquer l'engagement dans des stratégies de développement peu efficientes, non créatrice de valeur qui au final peuvent expliquer certains échecs.
On peut ainsi réussir à échouer en voulant se rendre indispensable....
Rédigé par : Nathalie | 24/03/2007 à 06:48