Pourquoi le baroque a-t-il si peu la cote en France ? Après mon dernier voyage à Rome, je me suis une nouvelle fois posé la question. Et cette fois-ci, j'ai peut-être trouvé quelques éléments de réponse.
Le baroque, c'est d'abord une époque née de l'après concile de Trente dans la lutte de l'Eglise de Rome pour contenir le développement de la Réforme. C'est l'esthétique de l'exubérance comme réponse au culte du dépouillement des luthériens.
Mais le baroque, c'est aussi une rhétorique qui est propre au XVIIème siècle. C'est la forme artistique accomplie qui accompagne El Gran Teatro del Mundo de Pedro Calderon de la Barca. A travers une mise en scène toute théâtrale de la réalité, le baroque montre les passions dans toutes leurs dimensions. L'étymologie du mot traduit la complexité de cette rhétorique de l'ambiguité : le mot barroco, sensément d'origine portugaise, désignerait une perle, certes, mais irrégulière. La beauté d'un côté, le défaut de l'autre ; le diamant et son crapaud.
Contrairement à son homologue classique qui s'attache à dépeindre l'idéal dans sa permanence, l'artiste baroque, lui, part du réel dans sa trivialité, en force les contours pour le rendre lisible, le distord pour lui donner une dynamique, puis le projette dans le futur en esquissant les signes de la métamorphose à venir. D'où ces excès, ces enflements, ce goût prononcé pour l'illusion, le trompe-l'oeil. Car contrairement au classicisme qui se suffit à lui-même en ce qu'il donne à voir l'harmonie des formes pures et intemporelles, le baroque est loquace, il est disert, bavard. Il dit l'agitation, l'effervescence des passions qui se consument. Il raconte la douleur terrestre qui se transforme en jouissance au contact de Dieu. Il met en évidence, sous la forme d'allégories audacieuses, le paradoxe des contraires qui s'entrelacent.
Sur ce dernier registre des oppositions qui se confondent, les maîtres baroques ont particulièrement chéri le rapport ambigu entre la chair endolorie qui se meurt et le plaisir qui enfle. La bienheureuse Ludovica Albertoni et Sainte-Thérèse d'Avila en extase chez Bernini ou le martyre de Saint-Sébastien chez Antonio Giorgetti illustrent à merveille cette idée.
L'esprit du Grand Siècle en France, tout empreint de rationalité cartésienne et d'austérité janséniste pouvait-il s'accomoder d'un pareil degré d'éréthisme ?
Bonjour,
Etant musicien, je travaille depuis quelques temps sur le baroque et plus particulièrement sur la musique de Bach. Pouvez-vous me confirmer que l'étymologie du mot baroque signifie "Bizarre" Avez-vous plus de renseignements?
Je vous remercie par avance de votre réponse
Bien à vous
FXB
Rédigé par : Bigorgne | 01/04/2007 à 15:01
L'idée d'associer la notion de "bizarre" au "baroque" date de la deuxième moitié du XVIIIème, soit plus de 100 ans après l'explosion de ce grand courant artistique.
Durant le XVIIème, le "baroque" désignait avant tout une forme artistique en rupture avec les canons de la Renaissance. Les éléments de cette rupture sont le dépassement de l'harmonie par l'introduction de la complexité et de l'illusion.
Dans l'art pictural et sculptural, c'est l'introduction du mouvement avec notamment le fameux "contrapposto", ce déhanchement singulier du corps qui suggère l'accomplissement d'un mouvement (cf des oeuvres du Bernin comme le David, le rapt de Proserpine). Dans le domaine architectural, le baroque c'est aussi l'exploitation de l'illusion, du trompe-l'oeil, la primauté de la mise en scène sur la scène elle-même (cf la façade ondoyante de San Carlino alle Quattro Fontane de Borromini, ou la Scala Regia au Vatican dirigée par Le Bernin).
Maintenant, d'un point de vue strictement étymologique, toutes les sources dont je dispose convergent autour d'un mot portugais "barroco" désignant une "perle irrégulière".
Conséquence : être baroque, c'est préférer l'ellipse (double foyer, ambigu) au cercle (un seul foyer, si parfait). C'est privilégier l'exubérance qui touche à la beauté qu'on admire. Dans le domaine musical -- où je ne suis pas expert -- n'est-ce pas la rupture avec la monodie et la "conjugaison" de multiples lignes harmoniques ?
Rédigé par : Jean-Marc à Bigorgne | 01/04/2007 à 15:26
Si vous êtes intéressé, une artiste contemporaine posant dans la lignée de "l'extase de Ste Thérèse" du Bernin: Orlan, dans la série "the draped/the baroque": des photos splendides disponibles sur orlan.net
Bonne visite !
Rédigé par : Pendragon | 13/05/2007 à 17:24
Merci de m'avoir incité à faire cette visite sur le site d'Orlan ( http://www.orlan.net/ ). La rubrique "The draped / the baroque" est stupéfiante : délicieusment libertine à vrai dire. Mais pourquoi ce sein droit toujours apparent à traves le drapé ?
Rédigé par : Jean-Marc à Pendragon | 13/05/2007 à 18:57
Et pourtant, quoi de plus baroque, en France, que les Tragédies lyriques de Lully ? Que les cérémonies de l'enterrement de la reine Marie-Thérèse ? Que les peintures de Vouet ? Que la culture et l'enseignement dispensés par les jésuites ? Le style Baroque, qui se caractérise aussi par une prédominance forte de la danse, du théâtre et de la rhétorique, et par le goût de l'oxymore, a tout de même su aussi s'exprimer en France.
Michel
Rédigé par : Michel | 24/05/2007 à 13:40
Oui Michel, le baroque a aussi trouvé en France un certain nombre d'artistes pour le promouvoir. Vouet, Puget, Lully, vous les nommez. La codification de l'art de bien danser durant le Grand Siècle est bien française et baroque à la fois. Pourtant, il semble que le développement de cette manière résolument nouvelle de dire le monde ait été puissamment entravée dans notre pays. Pour reprendre les propos de Philippe Beaussant dans "Vous avez dit baroque ?" (Actes Sud - Babel n°97 - p. 148) : "Il existe [...] un Baroque français. On le rencontre, par moments, à l'état presque pur. Mais la plupart du temps, il est mêlé, il s'atténue et parfois se raidit. Il y a chez les Français d'alors quelque chose qui répugne à la faconde, à l'exubérance, à l'impétuosité, à l'irrationalité consubstantielles au Baroque. Cette réaction peut être parfois si forte qu'elle va jusqu'au rejet pur et simple." C'est ce rejet qui explique sans doute que le Bernin soit renvoyé chez lui après que le Roi Soleil lui eut demandé de refaire la façade du Louvre. C'est ce rejet qui justifie que Charles Perrault ait conçu une façade si guindée, si tristement académique, si sobrement "classique". Le classisisme français s'est souvent pensé "contre" le baroque. Avec plus ou moins de bonheur et de succès... Pourtant, à qui sait voir ou écouter, l'esprit du baroque - art du mouvement, goût du contraste, dramatisation & séduction - imprègne aussi les oeuvres du Grand Siècle. Le château de Versailles est là pour en témoigner...
Rédigé par : Jean-Marc à Michel | 18/06/2007 à 11:27
Bonjour,
je suis étudiante en musicologie, et je tiens juste à préciser que lorsque vous mentionnez que le baroque vient de la réforme, ceci est faux. Au contraire, elle vient de la contre-réforme, et avait pour but d'attirer les pratiquants vers l'Eglise qui était mis à l'écart à cause de la réforme de Luther. Elle "essayait" de se mettre en valeur, d'être "près" de la Divinité en étant excessif, illusionniste...
Rédigé par : ML | 23/11/2010 à 16:21
Bonjour ML,
Nous sommes bien en phase : le baroque est fille de la Contre-Réforme, comme je l'indique dans mon billet : "Le baroque, c'est d'abord une époque née de l'après concile de Trente dans la lutte de l'Eglise de Rome pour contenir le développement de la Réforme".
Il s'agit là d'un superbe jeu d'action-réaction : à l'avidité du Vatican qui cherche à financer la basilique Saint-Pierre en puisant sur le denier du pauvre et du crédule, Luther répond par la Réforme en soulignant les vertus du dépouillement. Ce à quoi le concile de Trente répond par le culte de l'excessif, l'émerveillement suscité par l'illusion... tous ces points que vous mettez fort justement en exergue.
Bien à vous
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à ML | 23/11/2010 à 16:51
Chère ML,
Puisque vous êtes musicologue, saurez-vous éclairer ma lanterne sur les apports majeurs du baroque dans la transformation que connurent les canons de la musique à cette époque ?
En vous remerciant par avance
Bien à vous
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à ML | 23/11/2010 à 16:56