Je reviens tout juste d'un séjour d'un peu plus d'une semaine au Mexique. La majeure partie du temps, je suis resté à Puerto Vallarta, anciennement un petit port de pêche de la côte Pacifique déconnecté du monde, mais devenu aujourd'hui un lieu de villégiature recherché par la clientèle américaine depuis qu'un certain Richard Burton et une certaine Elizabeth Taylor y auraient consommé des amours adultérines pendant le tournage de la Nuit de l'Iguane en 1964.
Un trou paumé... Quelques baisers ensorcelés... Des paparazzi, des chroniques dans la presse people de l'époque... et le tour est joué : Puerto Vallarta devient célèbre. C'est l'histoire d'un basculement inattendu, mais pas vraiment insolite puisque le prestige d'Acapulco et de Saint-Tropez sont nés de la même façon.
Pourtant, pendant mon séjour, j'ai pu apprécier que le Mexique disposait d'un catalogue riche d'histoires de transformations où le métissage d'un passé bien réel et d'un présent empreint d'imaginaire donnait naissance à une nouvelle réalité bien équivoque. La cité au nom aztèque de Cuauhnahuac signifiant "lieu des grands arbres frémissants" n'est-elle pas devenue, après l'arrivée de Cortés, Cuernavaca, c'est-à-dire, littéralement, "la corne de vache" ? Il est vrai que l'histoire s'écrit souvent dans l'idiome des vainqueurs...
Lors de la fête nationale commémorant l'indépendance du Mexique, le 16 septembre, j'ai loué une voiture avec un collègue polonais, Grzegorz (prononcer G-Jé-Gor-CH). Destination : Guadalajara (prononcer Oua-da-la-ra-la avec l'accent tonique sur le "ra"), la capitale du Jalisco, située à plus de 300 kilomètres de Puerto Vallarta. Les paysages traversés sont spectaculaires : la forêt tropicale tout d'abord quand on franchit la Sierra Madre, puis les champs de lave noire pétrifiée autour du volcan Ceboruco, enfin les champs bleus d'agaves sur un décor de canyons pourpres autour de Tequila... De toute beauté !
Chemin faisant, alors que nous descendions les contreforts de la sierra tropicale, nous sommes surpris d'entendre des échos cuivrés de musique populaire. Nous découvrons que cela provient d'un petit village enfoui dans la végétation luxuriante, sur le bas-côté de la route. Son nom : Chapalilla. Nous décidons de nous rendre au coeur du village pour voir à quoi peut ressembler une fiesta mexicana. La rue y conduisant est vide. Normal, pensons-nous. Tout le monde doit être à la fête. Mais arrivés à la place principale de Chapalilla, le spectacle est tout à la fois banal et insolite. Le banal d'abord : une place immense autour de l'église paroissiale avec en son centre un kiosque à musique. Voilà un décor qui se reproduit avec une constance redoutable dans l'ensemble des bourgades, cités, hameaux, lieux-dits, villes du pays. Côté insolite maintenant : le kiosque est plein à craquer de musiciens (des mariachis ?) disposant tout juste de la place nécessaire pour jouer de leur instrument, mais autour du kiosque, dans cette place immense qui pourrait abriter plusieurs milliers de personnes, c'est le vide presque absolu. Le son saturé des cuivres se répand dans le silence humide de la forêt tropicale. Où sont passés les couples de danseurs ? Morts ?
Ce spectacle insolite m'a laissé une sensation étrange, celle d'un ensorcellement. Ce que je vois ne doit pas être la réalité puisque aucun musicien ne semble troublé par l'absence de public. Bien au contraire, ils s'époumonent et donnent l'impression de vouloir rivaliser de virtuosité. La réalité est donc ailleurs, habite un autre lieu, dont l'accès m'est inconnu, dont je ne dispose pas des clés. Cela me rappelle le roman Pedro Paramo de Juan Rulfo où vivants et morts se donnent la réplique comme si de rien n'était, où les uns et les autres se dédoublent dans un dialogue enchanté où les crimes du passé viennent hanter le présent et lui donnent son goût amer et désenchanté. Tout est écrit pour qui sait écouter la parole sourde des revenants. Réalisme magique.
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