Tout a commencé à la Fontaine de Trevi. Assis sur les marches, en face de la statue d'Océan, Fulvio -- un collègue de travail d'origine piémontaise -- me montre, sur la droite de l'édifice, une sculpture plutôt informe, mais de dimensions suffisamment massives pour que les habitants du rez-de-chaussée des habitations voisines ne puissent voir la fontaine. Il m'explique que la raison d'être de cet appendice de pierre remonte à l'époque où la fontaine était en chantier. Selon lui (où plutôt ce qu'un ami romain lui avait raconté), un barbier habitait à cet endroit. Ce dernier regrettait amèrement que ses clients ne puissent voir la fontaine alors qu'ils se faisaient tailler la barbe chez lui. Voire, il pensait que la position de son salon, orthogonale par rapport au plan principal, influait négativement sur la fréquentation de son échoppe. Il s'en ouvrit au chef de chantier. Compréhensif, ce dernier fit construire sur la devanture du salon, résolument orienté vers le frontispice de la fontaine, un "bol à savon" en pierre où les clients de notre barbier pouvaient se faire barbouiller le visage tout en contemplant à loisir le chantier en cours de construction.
Intrigué, je cherchai le lendemain sur le web des détails sur l'histoire de ce barbier. Après quelques difficultés, je finis par retrouver l'anecdote. Il y avait toujours un barbier. Il y avait toujours le chef de chantier. Mais le contenu de l'histoire était singulièrement différent de ce que j'avais entendu la veille. D'après ce que je lisais, nous étions cette fois en présence d'un barbier vindicatif et peu sensible à la beauté architecturale de l'édifice. Voire, il passait son temps à se plaindre à voix forte en se servant de ce qu'il voyait de son salon pour fournir, à qui voulait bien l'entendre, des détails hauts en couleur sur l'inanité des choix esthétiques, l'incompétence de l'architecte...
Cela ne fut pas du goût du chef de chantier. Pour mettre un terme aux propos diffamatoires du figaro, ce dernier fit construire l'appendice de pierre. A compter de ce jour, ne pouvant plus alimenter sa fougue oratoire de ce que ses yeux pouvaient lui révéler de l'avancement du chantier, il se tut.
Un bloc de pierre incongru faisant face à l'un des monuments les plus fameux de Rome. Deux histoires en découlent. Selon la première, la pierre, utilisée comme bloc à savon, est là pour révéler, pour montrer. Selon la deuxième, le roc ne sert qu'à dissimuler et à faire taire. Genre Marcello Mastroianni, muet comme une carpe devant les évolutions de nymphette d'Anita Ekberg dans "La Dolce Vita" ?
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Si vous souhaitez lire la suite de ma chronique romaine cliquez ici pour accéder au deuxième volet des histoires dédoublées. Bon voyage au pays du baroque !
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