Vendredi après-midi. Le travail est terminé. Je quitte l'hôtel après avoir salué chaleureusement mes collègues romains. Le taxi arrive. Direction "Galleria Borghese". J'ai hâte de voir de près les statues du Bernin qui y sont exposées : le rapt de Proserpine, Apollon et Daphné, David. Surtout le rapt de Proserpine et la trace laissée par les doigts de Pluton sur la cuisse de la jeune femme... Existe-t-il au monde plus beau témoignage d'amour dans le marbre ?
C'est sans compter sur la facétie étonnante dont semblent naturellement pourvus les habitants de cette ville. Après un gymkhana sympathique pour éviter les embouteillages liés à la grève des transports, le chauffeur me lance soudain un triomphal et emphatique "Eccoci qua" (nous voilà arrivés), alors que j'étais encore en train de passer des coups de fil professionnels. Je me retourne de tous côtés. Point de villa Borghese. Je fais part de ma surprise. Il insiste. "Si, si, c'est bien là !" s'exclame-t-il, indigné que je puisse mettre en doute ses talents de cicérone. Làs ! Le bâtiment en face de moi a bien appartenu à la famille Borghese. C'est le "Palazzo Borghese". Rien à voir avec la villa, autrement appelée "Galleria". Là où sont exposées les oeuvres d'art.
Bon... Pas de quoi se mettre en pétard : je suis dans le coeur historique de Rome et il fait un temps superbe. Je ne suis pas en face du bon édifice borghésien. Qu'à cela ne tienne : je vais faire le chemin me conduisant au musée à pied. Via dei Condotti. Place d'Espagne. La Barcaccia (encore le Bernin). Les marches de la Trinité des Monts. Le Pincio. Jolie balade sous des pins méditerranéens du Champ de Mars. Enfin, au bout d'une quarantaine de minutes de pur bonheur, je parviens à la villa Borghese. Mais voilà : il est maintenant 4 heures. Le musée est plein comme un oeuf ; je suis gentiment refoulé.
Adieu David, Proserpine, Anchise, Enée, Pluton... Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, je me rabats sur la visite de Santa Maria della Vittoria pour voir l'extase de Sainte Thérèse (toujours le Bernin). Le chérubin muni de son dard en or est beau comme un abandon orgasmique ; Thérèse est rayonnante comme la divinité révélée dans un spasme. C'est splendide... Pourtant, je suis un rien déçu. Je m'attendais à être exalté ; je reste impressionné. Mon esprit me crie que c'est sacrilège de ne point sombrer dans l'adoration, mais mes sens s'abstiennent. N'est pas en communication avec la divinité qui veut !
Alors je sors. Le soir avance sur Rome. Les couleurs s'avivent. Explosion de lumière. L'air s'adoucit. Langueur des sens. En descendant l'avenue du XX septembre en direction du Quirinal, à la place des Quatre Fontaines, je tombe en arrêt devant la façade de l'église San Carlino, construite par Francesco Borromini. Coup d'émotion. Je suis submergé par la vague, par l'audace des courbes. Vibration des formes. L'art de sublimer la matière brute pour la rendre mouvement. Vertige pur.
Après plusieurs minutes d'ivresse, j'accélérai le pas. Direction Piazza Navona et Sant'Agnese in Agone, autre chef d'oeuvre de Borromini...
Parti m'énivrer des sculptures du Bernin, je finissais mon périple dans les églises de Borromini. Le voyage de pierre continuait dans la cité de Pierre. Je venais juste de changer de guide.
---
Pour une visite virtuelle joliment commentée des oeuvres du Bernin exposées à la villa Borghese, je vous invite à suivre ce lien. Pour vous en donner un avant-goût, voici ce que Nathalie Petitjean écrit sur le rapt de Prosperpine : "Mais ce qui fascine davantage encore dans cette œuvre, c’est le travail de la chair. La carnation de Pluton semble froide, presque rugueuse (regardez, il a même du poil sous les bras), alors que celle de Proserpine est d’une douceur mœlleuse, satinée. Il suffit de voir comment les vigoureuses mains divines s’enfoncent dans la cuisse virginale, dans la hanche pulpeuse ; c’est sûr, elles s’enfoncent dans cette chair abondante, dans ce beau corps de marbre charnu".
Si vous souhaitez lire l'épisode précédent de ma promenade romaine mettant en scène un figaro & un chef de chantier autour de la fontaine de Trevi, cliquez ici.
El arte es nuestra madre / padre la famiglia nuestra de cada dia en sanfelixes de amaya!
Rédigé par : Padre Luigi | 10/03/2010 à 22:18