Dans le Livre des Juges (XI,34-40), Jephté sacrifie sa fille unique, Mizpa. Cet acte inconcevable fait suite à une parole donnée, à une négociation avec Dieu. Dans la fournaise du champ de bataille, Jephté promet à Dieu qu'il sacrifiera la première personne qui se présentera à lui lorsqu'il regagnera sa maison, pour peu naturellement que ses armées sortent victorieuses de leur combat contre les Ammonites. Or, c'est ce qui se produit. Jephté remporte la bataille. Quand il rentre chez lui, porté par les vivats de la foule en liesse, la première personne qu'il voit franchir l'huis est sa fille unique, Mizpa. Jephté tiendra sa parole. Et cette fois-ci, contrairement à ce qu'il a fait avec Abraham, l'Eternel n'arrêtera pas le bras de l'homme qui va tuer son enfant.
Michel Serres y voit la métaphore du plus grand scandale de notre civilisation : le meurtre des fils par les pères. J'y vois, comme dans le cas d'Iphigénie, une histoire dramatique de la beauté qu'on assassine.
L'époque baroque s'est particulièrement intéressée à ce passage troublant de la Bible. Elle en a donné deux superbes représentations.
La première est la peinture de Charles Le Brun illustrant l'épilogue, quand Jephté s'apprête à sacrifier sa fille en holocauste, ou, pour reprendre la triste et jolie formule d'Alfred de Vigny, quand "elle vint s'offrir au couteau paternel".
La deuxième, je l'ai trouvée pas plus tard que ce matin, sur le superbe site "Terres de Femmes" d'Angèle Paoli. Dans un article qu'elle consacre à l'extase de Sainte-Thérèse du Bernin, Angèle Paoli évoque une oeuvre musicale que Giacomo Carissimi (1605-1674) composait au moment même où Gianlorenzo Bernini réalisait sa superbe sculpture. C'est un oratorio. Il s'appelle Jepthe, tout simplement. En voici un court extrait (Plorate filii Israel). C'est divin.
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Note : Pour ceux ou celles d'entre vous qui souhaiteraient disposer d'un éclairage plus circonstancié sur l'oeuvre de Giacomo Carissimi, je vous invite à aller sur la fiche qui lui est consacrée sur le site Resmusica (c'est ici).
On peut aussi y voir une parabole qui nous montre que certaines fois, il vaut mieux réfléchir avant de s'engager.
Au moment ou Jephté fait cette promesse, Dieu lui a déjà promis la victoire. C'est quelque part vouloir se montrer plus "royaliste que le roi"
Rédigé par : jpou | 16/11/2006 à 18:46
Jephté aurait-il donc commis le sacrilège suprême, bafoué le commandement, en invoquant le nom de l'Eternel en vain ? Le texte ne le précise pas, même s'il est permis de le supposer. Mais alors, pourquoi Yahvé n'a-t-il pas puni Jephté, pourquoi a-t-il laisser mourir la jeune fille ? Pour mieux damner Jephté, coupable désormais d'avoir enfreint un second commandement, le plus grave, celui de tuer -- littéralement -- son prochain ?
Rédigé par : Jean-Marc | 17/11/2006 à 10:14
Bonsoir Jean-Marc,
Si vous cliquez sur mon nom, vous verrez que je vous ai fait un petit cadeau.
Amicizia
Rédigé par : Angèle Paoli | 17/11/2006 à 23:37
A mon tour de vous faire des cadeaux :
Deux Architectes baroques que j’admire :
Francesco Borromini : http://www.aroots.org/notebook/article175.html
et
Pierre Puget: http://www.aroots.org/notebook/article194.html
Amicizia
Guidu Antonietti di Cinarca , Architecte et photographe exclusif de Angèle Paoli / Terres de Femmes
Rédigé par : Guidu | 18/11/2006 à 02:41
Cher Guidu,
Il est un mot de la langue anglaise que j'adore : SERENDIPITY. Ce mot, dont l'origine suggère le nom d'un prince indien ou arabe (Serendip) désigne le coup de fortune heureux qui fait se croiser les chemins sous le seul effet apparent du hasard. Une traduction possible de SERENDIPITY en français pourrait être "l'heureuse coïncidence".
Il se trouve qu'au moment où j'ai découvert votre message/commentaire, j'étais justement en train de m'interroger sur l'étrange similidude qu'il y a entre le plan de l'église Sant'Ivo della Sapienza de Borromini et la célèbre figure fractale, dite de Koch, de dimension... 1,26. L'amour si évident de la géométrie chez Borromini joint à son audace (son irrévérence pour reprendre un des termes de l'article que vous m'avez adressé), lui auraient-ils permis d'avoir, avec quatre siècles d'avance, l'intuition des dimensions non entières ?
La ringrazio, Guidu, per il suo commento. Magari mi puo dire quale sarebbe la parola giusta in Corso o in Italiano per tradurre "serendipity" ?
Amicizia
Rédigé par : Jean-Marc | 19/11/2006 à 10:40
Difficilement traduisible à mon sens, les Italiens n'ayant pour seul recours que la déesse "Fortuna" qui ne leur donne pas toujours que le meilleur. Mais, pour trouver la réponse, peut-être faudrait-il se plonger dans le roman de Cristoforo Armeno : "Peregrinaggio di tre giovanni figlivoli del re fi Sarendippo" qui fut traduit en son temps par le chevalier de Mailly ?
Rédigé par : Yves | 19/11/2006 à 12:34
A vous, Jean-Marc, qui craigniez que Carissimi soit définitivement dans les limbes, je vous fais un lien vers un disque sorti à la fin du mois de mars. Vous pourrez entendre un extrait du Jugement de Salomon :
http://www.abeillemusique.com/produit.php?cle=25493
Amicizia,
Angèle
Rédigé par : Angèle | 07/04/2007 à 15:55
Carissima Angèle,
Lei è un angelo. La ringrazio tantissimo.
Amicizia
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Angèle | 07/04/2007 à 19:28