Arrivé avec une avance confortable à l'aéroport, je musarde entre les rayons de la librairie. Un titre attire mon attention : "Panthéon". L'auteur, Yann Moix, m'est alors inconnu.
Le livre est étonnant. Dans une séquence déjantée de fulgurances hallucinées (avec quelques véritables joyaux) et de traversées du désert (trop longues à mon goût), de nombreuses figures s'entre-croisent, s'entre-choquent. Parmi elles, domine celle de François Mitterrand. On le voit, notamment, remonter la rue Soufflot, un certain 21 mai 1981, une rose à la main. Il pénètre le sanctuaire des grands hommes, descend dans la crypte et dépose une rose sur les tombes de Jean Jaurès, de Jean Moulin et de Victor Schoelcher.
Par ce geste symbolique, l'assassinat crapuleux de 1914 de Jaurès était lavé. Les urnes électorales rendaient hommage à l'urne funéraire. La rose déposée devenait trait d'union. Le fils reconnaissant rendait hommage à l'un des pères fondateurs du socialisme à la française et à un frère en éloquence.
Pourtant, lors de cette journée de printemps, le diable qui divise se cachait derrière le symbole qui rassemble. Une nécropole est et restera toujours un temple de la mort. On n'y entre pas vivant impunément.
Est-ce là un simple effet du hasard, une pure coïncidence ? S'il vous prend l'envie de visiter le Panthéon cet automne, vous pourrez y découvrir un étrange habillage intérieur fait d'un entrelacs de formes tubulaires représentant un maillage complexe d'entrailles lestées de boules de polystyrène, parfois odoriférantes. Il s'agit d'une oeuvre d'Ernesto Neto. Son nom -- Leviathan Thot -- en dit long sur les intentions de l'artiste.
Le Léviathan, monstre marin porteur de mort, enceint de ses tentacules un lieu consacré à Thot, le dieu le plus lettré du panthéon égyptien. Thot est le maître des scribes. Il a donné son nom au pendule des radiesthésistes. Faut-il voir là une référence indirecte au pendule de Foucault ?
Mais Thot est aussi celui qui aide les âmes des défunts à quitter le monde des vivants et à plonger dans le monde des ténèbres. C'est un passeur d'âmes. Ici, au Panthéon, il tient la main aux grands hommes lorsque leur dépouille est descendue dans l'obscurité de la crypte.
Mais à quoi pouvait bien penser François Mitterrand en descendant les marches le conduisant vers la crypte, sa rose à la main ? Quel pacte s'apprêtait-il à signer ? Venait-il pour sceller un lien de culture avec les pères du socialisme ou pour conjurer la camarde, ce Léviathan qui ne tarderait pas à se rappeler à son souvenir ?
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