Dans un petit manuel intitulé "The Architecture of Happiness", Alain de Botton fait l'inventaire des vertus du bien construire. A un moment donné, il compare le pont Salginatobel dans le canton des Grisons en Suisse...
...avec le pont suspendu Clifton à Bristol en Angleterre.
Qu'est-ce qui distingue ces deux chefs-d'oeuvre selon lui ? L'élégance. En mettant en évidence les oppositions (présence ou non de pylônes, de cables, nombre de travées), de Botton souligne l'impression de légèreté émanant de la construction suisse, sa ligne épurée, son côté aérien, gracile.
Appliquée aux mathématiques, l'élégance renvoie à l'économie des moyens utilisés pour arriver à un résultat. Vous connaissez peut-être l'histoire du petit Gauss. Un jour, à l'école élémentaire, alors qu'il chahute, il se fait punir par l'instituteur. Histoire de calmer l'enfant dissipé, ce dernier lui demande de calculer la somme des 1.000 premiers entiers naturels. Avec pareil pensum, il se dit que le gamin va le laisser tranquille pendant une bonne heure au bas mot... Quelle n'est donc pas sa surprise de voir le petit Gauss se lever seulement au bout de quelques minutes avec le résultat : 500.500. L'enfant, soucieux d'économiser son énergie, avait vu immédiatement combien l'approche directe par le calcul promettait d'être fastidieuse. Il avait préféré voir s'il n'existait pas une formule valable en toutes circonstances. Intuitivement, il avait découvert que n x (n+1) divisé par 2 faisait l'affaire. Il s'en était assuré - en utilisant le raisonnement par récurrence. Côté calcul, il s'était juste contenté de remplacer "n" par "1.000" dans la formule générique.
Joli, non ?
Pourtant, en feuilletant "La formule préférée du professeur" de Yoko Ogawa, j'ai découvert qu'il y avait un moyen encore plus simple de trouver ce résultat.
Vous dessinez sur une feuille de papier des points correspondant aux premiers nombres entiers. "1" c'est un point, tout en haut. Juste en dessous, vous dessinez deux points pour "2", et ainsi de suite. Vous aurez une forme qui ressemble à cela :
Maintenant, changez de stylo. Prenez-en un de couleur rouge, par exemple. Accolez à votre triangle de points noirs, le même triangle de points en l'inversant, c'est-à-dire en le mettant cul-par-dessus-tête. Que voyez-vous apparaître ? En abouchant vos deux triangles têtes-bêches, vous avez construit un rectangle.
Aisément, vous voyez que les côtés de ce rectangle sont égaux à "n" et "n+1".
Sa surface, c'est-à-dire le nombre total de points qui le constituent est donc égale à n x (n+1). Comme, seuls les points noirs noud intéressent et qu'ils représentent la moitié du rectangle, vous en déduisez que la quantité recherchée est n x (n+1) / 2. CQFD.
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PS - Pour celles et ceux d'entre vous qui sont sensibles à l'élégance en mathématiques, je vous invite à faire un tour sur le blogue de Gilles G. Jobin. Vous pourrez notamment y découvrir un chef-d'oeuvre d'élégance dans la démonstration du caractère irrationnel de (racine carrée de 2). Une petite merveille à déguster pendant les fêtes de fin d'année. Joyeux Noël !
tiens je ne savais pas que :"Appliqué aux mathématiques, l'élégance renvoie à l'économie des moyens utilisés pour arriver à un résultat."
dans mon vocabuaire cela s'appelle l'efficience et qui se distingue donc de l'efficacité par l'économie des moyens...
Vous m'offrez de nouvelles visions
De l'élégance je ne connaissais que ce que Simmel en a dit dans secret et société secrète c'est bien peu... mais Simmel est aussi énorme :)
Rédigé par : Nathalie | 11/03/2007 à 08:18
Merci pour vos mots et ce clin d'oeil vers cet article où il est question de l'élégance d'un pont, mais un peu de mathématiques également. Et là je dois dire que je perds légèrement pied. Les maths et moi...
Baisers à vous
Armandie
Rédigé par : Armandie | 16/04/2008 à 15:22
C'est fou, à chaque commentaire que vous laissez si aimablement chez moi correspond l'un de vos articles, que je (re)découvre toujours avec plaisir. Je vais finir par écrire des choses complètement alambiquées, pour voir jusqu'où cette théorie se vérifie...
Rédigé par : Elseneur | 07/09/2008 à 22:48
Chère Elseneur,
Je dois reconnaître, que bien souvent, les billets que je lis chez vous m'évoquent des thèmes qui me sont chers ou des réflexions que j'ai pu avoir par le passé. Parfois, il peut même se trouver que j'aie écrit un billet sur le thème considéré.
Quand c'est le cas, je glisse subrepticement derrière mon prénom le lien avec le billet. C'est un peu comme un clin d'oeil virtuel. Et croyez bien, chère Elseneur, que je suis ravi de voir que vous cliquez sur l'hyperlien posé à votre attention.
A travers cette séquence de clics, nous nous prêtons vous et moi à un jeu mettant en valeur la polysémie du mot "correspondance" et toute l'ambivalence qui en découle.
Bien à vous
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Elseneur | 08/09/2008 à 20:01