Vendredi dernier, grâce aux précieuses indications communiquées par Nathalie Bouyssès (1), je me suis rendu à la librairie de l'Escalier, dans la VIème arrondissement de Paris, pour voir Erri De Luca présenter deux des quatre [ ! ] ouvrages de lui parus récemment en français : "Sur la trace de Nives" et "Au nom de la mère" (2).
Nous devions être environ une cinquantaine, entassés dans les travées de la librairie. L'ambiance était détendue. Après s'être conformé aux exigences du genre en présentant son premier livre - en l'occurrence "Sur la trace de Nives" - le dialogue s'instaura entre l'auteur et son public sous la forme d'un jeu de questions / réponses.
A un moment donné, un homme prit la parole. Il partagea juste une image : celle du sourire qui parcourait son propre visage quand il lisait Erri De Luca. Après avoir évoqué cette image de plaisir, il ne posa pas de question. Il se contenta d'un mot : "Merci" . Tous les regards se tournèrent alors vers l'écrivain. Il ne dit rien. L'espace d'un court instant, ses beaux yeux bleus vinrent se poser sur l'auteur du remerciement. Puis, son regard embrassa la salle d'un mouvement large. Toujours pas un mot. Pendant plusieurs secondes, le silence fut absolu, pur. Aucune gêne dans ce silence. Ce fut un moment de suspension parce qu'il n'y avait rien à ajouter, un sentiment de plénitude partagée, de communion. Enfin, Erri De Luca rompit le silence et la conversation reprit.
A travers cette attitude d'une justesse extrême -- laisser le silence se poser pour que nous puissions apprécier la beauté singulière de l'hommage rendu -- Erri De Luca venait de donner de façon vivante une clef de lecture de son oeuvre. Il l'a dit lui-même durant la soirée : "Je n'écris pas de phrase si longue qu'elle ne puisse se dire entièrement dans une expiration." Il faut laisser sa part au souffle. Car ce souffle préexistait à la Création, comme il est exprimé au deuxième verset de la Génèse, c'est-à-dire avant que la lumière ne soit. Veruah Elohim merahefet al pene hammaim : et vent d'Elohim souffle sur les visages des eaux (in "Comme une langue au palais", Arcades Gallimard, p. 77). Est-ce une façon de marcher sur la trace de l'Eternel qui fabriqua le premier homme, l'Adam, avec un mélange de poussière et de souffle ? Est-ce rendre hommage à cette faculté du divin de "donner du poids au vent" (Jb 28 25) ?
Quelle que soit l'intention, le silence offert par Erri De Luca après le remerciement du lecteur inconnu fut un souffle suspendu au-dessus de l'écoulement des mots. Un moment de grâce.
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(1) Dans le site que Nathalie Bouyssès dédie à Erri De Luca, vous pourrez trouver notamment une bibliographie complète de l'auteur.
(2) J'ai été très ému à la lecture du livre "Au nom de la mère". Pour ceux que cela intéresse, j'y ai consacré un billet il y a de celà quelques semaines.
je voudrais savoir si c'est posible avoir le email de erri de luca
merci beaucoup
Rédigé par : d'errico jose maria | 03/01/2007 à 17:28
Cher José Maria,
Je ne connais pas personnellement Erri De Luca. Toutefois, je crois pouvoir vous affirmer qu'il n'a ni adresse email, ni ordinateur. Je tiens cette information de Nathalie Bouyssès. Nathalie a le privilège de le côtoyer régulièrement. Elle anime par ailleurs un site consacré à l'auteur. Son adresse ? http://errideluca.free.fr
Bien à vous.
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc | 03/01/2007 à 17:38
Je suis du Québec (Canada). J'aurais aimé avoir cette chance incroyable d'assister à une rencontre de ce type... Peut-être un jour traversera-t-il l'océan? En attendant, il devient lentement mon auteur contemporain unique.
Quelle humanité...
Rédigé par : Odile | 15/02/2008 à 11:13