Dans mon dernier billet, je vantais le culte porté dans les pays anglo-saxons pour la liberté. J'aimerais aujourd'hui nuancer le propos.
A l'origine de ce changement : mon déplacement aux Etats-Unis de la semaine dernière. A Jacksonville, en Floride, pour être précis.
Comme à l'accoutumée, je devais ressentir le malaise qui m'accable à chaque fois que je suis aux Etats-Unis. Tout avait pourtant bien commencé. Le survol du Saint-Laurent charriant des blocs de glace, les cours d'eau gelés, la vue du lac Ontario à la surface veinée de filaments blancs m'avaient ravi. En arrivant à Jacksonville, j'avisai la proximité de la cité de Saint-Augustine, l'un des premiers comptoirs établis par les Espagnols sur le littoral des Etats-Unis au XVIème siècle. Je décidai donc de m'y rendre le lendemain, un dimanche.
Me voilà donc au volant de ma voiture de location, en direction de l'océan. Quelques miles à peine après avoir quitté mon hôtel du centre-ville (downtown Jacksonville), alors que je ralentis à l'approche d'un carrefour, je me fais doubler par l'un de ces engins hauts sur pattes (un SUV, je crois), pavoisé aux couleurs de la bannière étoilée - the star spangled banner. Il y a deux drapeaux qui flottent de chaque côté du pare-brise avant et un autre, fixe celui-là, sous la forme d'un autocollant à l'arrière. Alors que le feu est passé au rouge et que tout le monde ralentit, un autre véhicule me dépasse à main gauche. Sur la lunette arrière figure cette fois un ruban adhésif avec le message : "Support OurTroops" ("Soutenez nos soldats").
Je m'arrête enfin. Sur la plaque de la voiture devant moi, sous les numéros d'immatriculation, je peux lire : "Invest in Children" ("Investissez dans les enfants").
Il s'agit d'un grand carrefour ; je reste longtemps à l'arrêt. Je reprends la séquence dans l'ordre de proximité décroissante des véhicules :
- "Invest in Children"
- "Support Our Troops"
- Trois drapeaux des Etats-Unis
Voilà trois messages portés par des individus qui n'ont a priori aucune chance de se connaître. Le hasard a voulu qu'ils se retrouvent à l'arrêt au même carrefour sur Beach Boulevard, Jacksonville, Floride vers midi ce dimanche 4 février, à quelques miles de distance de la plage. Ensemble, ils écrivent une histoire, ils adressent une consigne, indiquent une trajectoire : investissez dans les enfants, soutenez-les lorsqu'à peine atteint l'âge adulte, ils auront rejoint l'armée, veillez à ce qu'ils servent honorablement le drapeau. Voilà le genre de raccourci de vie, de rétrécissement de l'horizon qui sonne étrangement à mes oreilles dans un pays pourtant si épris de liberté.
Le feu passe au vert. J'accèlère pour parcourir les derniers miles avant l'océan. J'y arrive enfin. C'est la fin de la route. Devant moi, un rideau de dunes délimite la plage. Je me gare. J'arrête le moteur et sors à l'air libre. Je respire à pleins poumons l'air du large. Je m'avance vers la plage. J'ai hâte de fouler le sable. Pourtant, avant de m'engager sur la passerelle de bois qui traverse le champ de dunes, j'avise un panneau sur ma gauche :
Ne vous engagez pas dans les dunes ! Utilisez les passerelles. Pas de verre sur la plage. Pas de déchets. Pas de boissons alcoolisées sur la plage. La présence des chiens est interdite entre 9 heures et 17 heures. Ramassez les besoins de vos animaux domestiques. Dans les plages horaires autorisées, tout animal de compagnie doit être tenu en laisse. Le camping est interdit. Il n'est pas autorisé de dormir sur la plage entre 11 heures du soir et 6 heures du matin. La pratique du skate-board sur les passerelles n'est pas autorisée."
Liberté chérie, où es-tu ?
Je me suis soudain rappelé cette phrase de Traven :
"Quand, à l'entrée du port d'un grand pays, je vois se dresser quelque gigantesque statue de la Liberté, je me doute bien que toute sa liberté est là et que derrière il n'y en aura plus."
Cette phrase a été écrite dans les années 30.
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