C'est une surprise pour personne : la langue française est complexe. Il faudra bien un jour voir si cette complexité n'est pas en partie responsable du déclin relatif, sur la scène internationale, de notre belle langue au profit d'idiomes plus faciles d'accès. L'anglais, par exemple.
Parmi les sources de cette complexité, il y a les conjugaisons. Notamment celle des verbes irréguliers, vous savez ceux que nos grammairiens ont jugé bon de mettre ensemble dans un grand fourre-tout appelé le troisième groupe. Et parmi eux, il y a quelques perles. Prenez le verbe asseoir, par exemple. Il désigne l'une des actions les plus communes qu'il nous soit donné de réaliser. Chaque jour, nous nous asseyons un nombre incalculable de fois, sans même y prêter attention. Et pourtant. Sauriez-vous conjuguer ce verbe ? Avez-vous remarqué que non content d'être irrégulier (et violemment de surcroît), le verbe "asseoir" se décline selon deux formes distinctes dans de nombreux temps ? Selon votre humeur du moment vous pouvez choisir entre dire "je m'assois" ou "je m'assieds". Avez-vous observé aussi que bien que dérivé du verbe "seoir", pourtant redoutablement défectif, il existait des temps où "asseoir" ne se conjuguait pas comme "seoir" ? Ainsi, au présent du subjonctif, vous direz "qu'il siée" d'un côté, mais indifféremment "qu'il s'asseye" ou "qu'il s'assoie" d'un autre côté.
Pourquoi tant de complications ? Peut-être parce qu'il n'est pas si simple de mettre de la grâce, du seyant, dans l'acte de poser notre fessier, notre séant, sur une chaise.
Après tout, notre manière d'être au monde ne se résume-t-elle pas parfois à notre capacité à bien nous asseoir, c'est-à-dire à poser délicatement notre popotin sans choquer la bienséance ? A quelles foudres s'expose-t-on quand notre façon de nous asseoir jure avec les convenances ?
Une femme désormais célèbre en a fait la triste expérience. C'était il y a à peine plus de 50 ans, en 1955 pour être précis, à Montgomery, Alabama, USA. Un bus s'arrête. Une femme (noire) monte et s'assied dans le bus. Un homme (blanc) lui intime l'ordre de changer de place, d'aller s'asseoir ailleurs en clair. Elle refuse de céder sa place. Elle est punie pour non respect des règles, des bienséances du lieu et du moment. La nouvelle se répand alors comme traînée de poudre. Le scandale éclate, enfle, gonfle, embrase les coeurs et les esprits. Un an plus tard, la Cour suprême des Etats-Unis déclare les lois ségrégationnistes dans les bus inconstitutionnelles.
Cette femme s'appelait Rosa Parks.
Rosa Parks s'est éteinte le 24 octobre 2005. Quelques jours plus tard, le Révérend Jesse Jackson disait lors de ses funérailles : "Elle s'est assise pour que nous puissions nous lever et faire tomber les murs de la ségrégation" ("She sat down in order that we might stand up, and the walls of segregation came down").
C'est l'Amérique que j'aime.
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Notes :
S'il vous plaît d'entendre ce que Jesse Jackson et Bill Clinton ont dit lors des funérailles de Rosa Parks sur sa façon si étonnante de s'asseoir, cliquez ici.
Merci Ghislaine pour le crédit photographique (Palais Royal).
Il est effectivement pour un labeur terrible (le Français n'ets pas ma languie maternelle) pour ne pas me tromper dans les déclinaisons, mais quand -on aime, la peine devient souvent un plaisir. J'aime beaucoup votre manière d'approche et votre communication au pauvres francophiles tels que moi, les rouages de la langue française. J'espère de pouvoir lire beaucoups d'autres. Merci!
Vous êtes de toute façon dans la partie V.I.P. de mon blog.
Rédigé par : zarque | 28/02/2007 à 23:30
Désolé, j'aurais dû relire en détail mon écrit. Il y a trop d'erreurs de frappe..Pardon! Maintenant c'est trop tard...
Rédigé par : zarque | 28/02/2007 à 23:32
Superbe billet et dans l'esprit et dans la lettre!
J'aime beaucoup ce verbe, avec ses manières simples (-sied) ou grand siècle (-soit). Je ne compte plus les érections capillaires au fameux "assis-toi!".
Quand à la position assise, quelle que soit la tradition, c'est bel et bien celle du sage, qu'il fasse zazen ou qu'il soit sous un chêne.
A bientôt. :)
Rédigé par : Ardalia | 03/03/2007 à 12:23
Et d'où l'expression: "être bien dans son assiette", autre mot intéressant de la même famille.
assedita en latin, du participe passé asseditus, qui a remplacé assisus, du verbe assedere, asseoir. Proprement, l'assiette c'est donc la manière d'être assis, posé. Assiette au sens de pièce de vaisselle est attesté depuis 1507 et dérive du sens ancien : "action de placer les convives à table, d'où "service d'un repas". Le dérivé, assiettée est attesté seulement en 1690.
D'après le dico d'étymologie de 0. Bloch - W. Von Wartburg
Rédigé par : Traces | 19/05/2008 à 21:23
Comme quoi, quand on fait l'effort de revenir aux fondements - oui, j'ai bien dit fondements - il faut bien admettre que tout n'est qu'affaire de C-U-L.
Rédigé par : Jean-Marc à Traces | 19/05/2008 à 22:41
Rire. Vous êtes freudien Jean-Marc ?
Rédigé par : Traces | 19/05/2008 à 22:51
Re
J'y pense tout à coup, "qui se tient tordu pense tordu" disait... euh... Montaigne je crois bien.
Rédigé par : Traces | 19/05/2008 à 23:00
Freudien, moi ? Non, je ne crois pas, Traces. Freud a remis sur la sellette (tiens, sellette, cela n'aurait-il pas encore à voir avec une certaine façon de poser son séant ?) un certain Oedipe. Ce faisant, il a popularisé l'idée que les fils n'avaient d'autre désir que d'éliminer leur père et de posséder leur mère. Je crois qu'il y a là un profond contre-sens. A l'image de Michel Serres, je crois que l'histoire du XXè siècle nous raconte le meurtre des fils par les pères et non l'inverse.
Une fort vieille histoire, ma foi, déjà bien illustrée dans la Bible ou dans l'Iliade.
Vous ne me croyez pas ? Cliquez un coup (ou peut-être deux) sur mon nom. Vous verrez. Une histoire à tomber le c** par terre. ;-D
Rédigé par : Jean-Marc à Traces | 19/05/2008 à 23:10