Vous est-il arrivé de recevoir un courriel non sollicité d'une veuve africaine éplorée vous expliquant qu'après l'assassinat de son mari, elle hérite d'un pécule de plusieurs dizaines de millions de dollars ? Malheureusement, des "méchants" l'empêchent de disposer à sa guise du compte de feu son époux. Alors, elle vous supplie de l'aider. Elle vous fait savoir qu'elle se montrera généreuse et pourra vous laisser jusqu'à 10% du pécule si vous l'autorisez à sortir l'argent de son pays pour le transférer sur votre compte. Elle dit avoir confiance en vous, que vous aurez la délicatesse de lui laisser disposer des millions de dollars une fois qu'ils auront atterri sur votre compte en banque. Naturellement, comme l'histoire est émouvante et que vous êtes d'un naturel bonne pâte, vous décidez de donner une suite favorable aux doléances de la solliciteuse. Elle vous demande alors de lui transmettre vos coordonnées bancaires. Cela va de soi, non ? Pourtant, c'est à partir de ce moment que les ennuis commencent. Non seulement vous ne verrez jamais la couleur des millions de dollars soi-disant bloqués, mais vous aurez le malheur de découvrir un beau matin votre compte pillé, dévasté, sans le moindre sou vaillant à son crédit. Adieu, veaux, vaches, cochons, petites ou grandes économies...
Vous trouvez ce scénario aberrant ? Personne selon vous serait assez stupide pour tomber dans un panneau aussi grossier ? A voir. Selon un article de Julien Tarby consacré au piratage informatique et paru à la une du Nouvel Economiste du 1er mars, "20 millions de spams (*) nigérians sont envoyés chaque jour, rapportant plus de 4 milliards de $, soit la deuxième entrée en devises dans le pays après les revenus du pétrole !"
Incroyable, non ?
La lecture de l'article de Julien Tarby est passionnante. J'y ai aussi découvert qu'il y avait 6 grands réseaux de flibusterie électronique dans le monde. Outre la filière nigériane ou sub-saharienne que je viens d'évoquer, il y aurait aussi les russophones, les brésiliens, les anglophones, les asiatiques et les djihadistes. Comme du temps où pirates & corsaires Anglais, Espagnols, Néerlandais et Français se disputaient le contrôle des mers et contribuaient délibérément ou non à l'agrandissement des empires coloniaux européens, c'est une activité internationale. A ce titre, il est amusant de constater que l'étymologie de pirate renvoie à l'action d'entreprendre, de tenter le sort en grec ancien. Le mot corsaire vient de l'arabe ; celui de flibustier du néerlandais.
Chaque filière du cybercrime a sa spécialité, opère de façon plus ou moins sophistiquée et recrute au berceau. J'ai passé récemment quelques jours à Saint-Malo, la cité corsaire par excellence, port d'attache de grands marins comme Jacques Cartier, Mahé de la Bourdonnais, Duguay-Trouin et bien sûr le grand Surcouf. En musardant au soleil sur le chemin de garde qui enceint la ville fortifiée, je songeais rêveur à l'époque dorée de la flibuste, à ces temps où enfant, vous embrassiez l'aventure en haute mer dès le plus jeune âge. Il fallait être mousse sur un navire avant de prétendre se faire un nom dans la profession. Aujourd'hui aussi, les pirates de l'électronique démarrent tôt et il n'est pas rare de les voir commencer leur activité criminelle en pleine adolescence, dès l'âge de 14 ans.
Avez-vous remarqué combien l'histoire du piratage accompagne l'évolution de l'épopée humaine à travers les âges ? Les pirates ont connu leur heure de gloire à partir des grandes découvertes maritimes. Leur terrain de jeu était la haute mer. Cette période dura jusqu'à la moitié du XIXème siècle. Puis vint la conquête des airs et avec elle naissait la génération des pirates de l'air. Avec le développement des médias considérés pendant la deuxième moitié du XXème siècle comme le nouveau grand pouvoir, des radios et chaînes de TV pirates firent leur apparition.
Le piratage va vers toujours plus de légèreté : il a quitté la terre ferme pour l'élément liquide. Puis, il s'est développé dans les airs, mais encore dans des machines lourdes de matière. En s'emparant des ondes, puis des bits d'information, le piratage décroche de la matière. Comme le reste de l'économie, il bascule dans l'immatériel et le virtuel, notre nouvelle frontière.
Le piratage a toujours mis en selle les grandes communautés ou nations du moment. La flibuste opposait des ressortissants de grandes nations européennes au siècle des Lumières. Les pirates de l'air & des ondes revendiquaient souvent des grandes causes iédologiques avec suffixe en -isme. Désormais, le piratage met en présence des communautés linguistiques voire religieuses, plus vraiment des Etats ou des nations.
Cela préfigure-t-il l'émergence d'une nouvelle carte des pouvoirs où les communautés (linguisitiques et/ou religieuses) détrôneraient les Etats/nations dans l'exercice du pouvoir ?
Hissez haut ! Cap sur le futur...
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(*) Le terme de spam proviendrait du nom d'une marque américaine de jambon épicé - spiced ham - réputé particulièrement infect. Spam est joliment traduit en français par pourriel, courriel ou mail pourri, en somme.
Les états-nations sont ils réellement dans l'exercice du pouvoir?...
Dans le pirate, je vois un adolescent intelligent et rebelle qui tend un miroir cruel au monde.
Après tout, ces escroqueries ne réussissent que grâce à l'appât du gain des pigeons qui dépasse leur bon sens.
Une pensée pour mes cousins -un retraité, un informaticien- qui ont cru au "portable gratuit", le hoax le plus cucul de ces deux dernières années. -soupir-
Rédigé par : Ardalia | 11/03/2007 à 12:10
Bonjour,
Je suis une jeune veuve éplorée et tuberculeuse que des formalités paperasseuses obligent à vivre sans le sou. Si vous me fournissez vos coordonnées bancaires, du pain de mie, quelques tranches de jambon et du beurre salé, je me ferai une joie de vous envoyer tous mes dollars accompagnés de la recette du croque-monsieur auvergnat.
Merci d'avance de considérer ma peine, les larmes qui dégoulinent sur ce clavier m'obligent à clore ce message crucial, snif.
Rédigé par : Posuto | 13/03/2007 à 17:14
Bonjour Jean-Marc,
Je serais très curieuse de savoir quelles sont vos sources pour l'étymologie du mot "corsaire". Car, si je me fie au très sérieux TLFi (Trésor de la Langue Française informatisé), ce mot serait emprunté, probablement par l'intermédiaire de l'ancien provençal "corsari" (début XIVe s., Vie de St Honorat), à l'italien "corsaro" (v. 1315, DANTE, Purgatoire), venant du bas latin "cursarius", lui-même dérivé du mot latin cursus (cours).
Amicizia,
Angèle (la cap-corsaire amoureuse de Carissimi).
PS Je me suis souvenu de votre dilection pour le baroque en faisant un lien sur Cecilia de Maderno.
Rédigé par : Angèle Paoli | 15/03/2007 à 10:33
Bonjour Angèle,
Comme les choses s'agencent de façon curieuse... Quelques jours à peine avant que vous ne postiez votre billet sur Santa Cecilia de Stefano Maderno, je découvrais sur le blog d'Ardalia ("Bulle de papier", ici http://bulledepapier.typepad.com/weblog/2007/03/science_et_made.html) un papier qui lui était consacré.
Le prince "Serendip" est encore en train de nous jouer des tours...
Je me souviens d'un dimanche après-midi du mois de mai, l'an dernier. Je m'étais presque égaré dans les rues peu passantes du Trastevere où se trouve l'église Santa Cecilia, pas très loin de San Francesco a Ripa. Je me souviens aussi, qu'en ce dimanche de mai, je me suis endormi dans le jardin du cloître de Santa Cecilia. Il faisait doux et le fait de m'assoupir au soleil m'avait procuré ce genre de joie simple qui fait la beauté de la vie. Je me souviens aussi -- mais c'était un autre jour -- de l'émotion qui m'avait envahi en contemplant cette sculpture étrange de la sainte... Enfin, plus récemment, il y eut cette question à laquelle je n'ai pas su répondre : "mais que peuvent bien signifier la disposition des doigts ?" Vous en parlez dans votre billet ; peut-être pourrez-vous m'aider à éclaircir ce mystère ?
Venons-en aux pirates maintenant. Voici mes sources : un article de Wikipedia consacré aux pirates (http://fr.wikipedia.org/wiki/Pirate#Corsaire_ou_pirate_.3F) où il est écrit : "(...) lorsqu'ils agissaient au profit d'une grande nation européenne, par exemple en coulant les navires d'un pays avec lequel cette nation était en guerre, les pirates avaient le statut, supérieur, de corsaire (en langue arabe moderne, قرصان et en turc, Korsan)." Voilà.
Maintenant, je crois aussi savoir que "corsaire" aurait des accointances avec la "lettre de course", cette forme de mandat délivré par le "prince" au marin qui s'engageait à le servir. Ce chemin me rapproche du vôtre. Ce ne doit pas être fortuit.
Amicizia
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc pour Angèle | 15/03/2007 à 16:42
Il m'est aussi arrivé de m'endormir sur un banc, dans un célèbre parc de la côte amalfitaine... Je l'ai d'ailleurs écrit. Si vous voulez en savoir plus, cliquez sur mon nom.
Amicizia,
Anghjula Paoli
Rédigé par : Angèle Paoli | 17/03/2007 à 00:05
Cher Jean-Marc,
En juxtaposant les mots "Hécate" et "corsaire", je me suis brusquement souvenu d'une de mes lectures ("Louves de mer" de Zoé Valdès) et du papier que j'avais rédigé autour de cet ouvrage [cliquer sur mon nom].
Amicizia,
Anghjula
Rédigé par : Angèle Paoli | 21/03/2007 à 11:23
Bonjour ! Merci pour le commentaire sur mon blog, je répondrai un peu plus tard. La terminologue du dimanche que je suis ne peut s'empêcher d'ajouter son petit grain de sel : ces "arnaques" ont désormais un nom officiel : on parle de "scam" [arnaque, en anglais]. Et, pour la route, un article très complet sur le sujet : http://www.arobase.org/arnaques/afrique.htm
Bonne soirée !
Rédigé par : K'tastrof | 21/03/2007 à 18:04
A l'abordage des Vieilles Charrues!!!
Toi aussi deviens l'un des pirates du 21ème siècle!!
Prends une caméra et filme 2 minutes de piraterie et gagnes des places pour le festival des Vieilles Charrues!!
L'un des plus grands festival rock en Europe!!!
Alors vas vite sur MoobTV.com!!
Bon courage
Le Grand Moob
Rédigé par : Le Grand Moob | 09/06/2008 à 16:07
Article intéressant, j'ai moi-même écrit un article sur le sujet ici : http://bit.ly/7h8FeU - Bonne continuation !
Rédigé par : Greg | 04/12/2009 à 17:36