Vous sortez du centro storico de Rome. Vous voilà maintenant sur les quais du Tibre. Devant vous, le pont Saint-Ange. Vous décidez de l'arpenter pour accèder sur l'autre rive.
Sur le pont, 12 statues montent la garde. Il y a Pierre et Paul, les deux apôtres évangélistes. A leurs côtés, 10 anges portent chacun un instrument de la Passion.
A l'exception des statues des évangélistes, toutes les autres, c'est-à-dire celles des anges, ont été réalisées par les plus grands sculpteurs du baroque romain, sous l'autorité du Bernin.
Il y a Antonio Giorgetti, qui a immortalisé Saint-Sébastien transpercé de flèches, mourant, mais ô combien désirable.
Il y a Antonio Raggi, qui a osé ce geste inouï où Christ à peine revenu d'entre les morts énonce le noli me tangere (ne me touche pas) en même temps qu'il tend sa main vers Madeleine.
Autant de clins d'oeil, d'actes de connivence entre la vie qui palpite - le désir - et son contraire absolu : la mort. Alliance des contraires : la sensualité s'exalte quand la vie s'efface, le désir s'affirme quand le genre s'estompe. Au confluent des contraires apparaît la figure de Christ dans la Passion, vainqueur de la mort. Derrière lui se profilent ses messagers, ceux qui savent concilier les contraires, passer d'un univers à l'autre : les anges.
Parmi eux, il y a l'ange au suaire de Cosimo Fancelli. Remarquez-vous cette façon étrange, presque négligente de tenir le tissu que Véronique vient juste de passer sur le visage de Jésus ? Cela ne vous rappelle rien ? Changement de décor. Imaginez-vous maintenant sous le soleil andalou, dans l'arène de la Maestranza à Séville ou mieux à Ronda, dans ce lieu improbable où la tauromachie moderne fut codifiée. Permier acte du combat, de la lidia : le travail à la cape. Vous imprimez un mouvement tournant au tissu tenu de vos deux mains. Une ombre noire se fond sous les couleurs vives.
C'est la fameuse veronica, la véronique.
Retour sur le pavé de Rome. En face de vous se dresse le château Saint-Ange, l'ancien temple d'Hadrien, transformé en prison avant de devenir un musée.
Dans sa cellule, vous y entendez la voix de Marcelo Alvarez interpréter Cavaradossi dans sa louange à la vie et à l'amour peu avant son exécution.
Le château est rond. Rond, comme la forme des arènes de Vérone où Marcelo Alvarez interprète son rôle dans Tosca. Rond, c'est aussi le contour que dessine la lune quand elle vient éclipser le soleil le jour du Calvaire. Rond enfin, comme l'oeil du taureau qui va bientôt fouler le sable de la Maestranza, ébloui de lumière.
Puis, c'est la mise à mort.
Celle de Jésus sur la croix.
Celle, annoncée, du taureau dans l'arène.
Celle du révolutionnaire amoureux, Cavaradossi, devant une Tosca qui ne peut s'y résoudre.
Celle du torero Ignacio Sánchez Mejías après un mauvais coup de corne de Granadino.
Celle de Federico García Lorca sous les balles de défenseurs sourcilleux de l'identité nationale insurgés contre la République.
Le soleil est encore haut dans le ciel de Rome.
ni homme ni femme, Les mots en français, celui qui trouve les mots emporte le marché. Ni public, ni privé, ni chez lui, ni chez moi, ni du travail, ni du loisir, sur la limite, ailleurs, à chaque fois. Celui qui trouve les mots invente le septième continent des anges.
Rédigé par : murcia | 18/04/2007 à 14:20
Vous lire est un délice.
Rédigé par : Elseneur | 30/10/2007 à 10:23
Elseneur,
Votre petit mot me fait rougir de plaisir. D'abord parce que vous me flattez et dire que j'y suis insensible serait mentir. Ensuite, parce que vous avez employé ce mot : "délice". L'un des rares mots de la langue française qui change de genre en fonction du nombre. Masculin au singulier & féminin au pluriel. Est-ce à dessein que vous avez utilisé ce substantif en commentaire d'un billet intitulé... "confusion des genres" ?
J'aime à penser qu'il en est ainsi et que vous m'avez adressé un clin d'oeil facétieux.
Bien à vous
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Elseneur | 31/10/2007 à 20:29