Lundi dernier, juste avant de m'envoler pour l'Allemagne, je suis allé à un concert de Grand Corps Malade, le slameur, le poète du bitume et de la banlieue. Grand Corps Malade est un citoyen de Saint-Denis du 9-3. A l'âge de 20 ans, il fut victime d'un accident de sport qui l'a laissé quasi-paralysé. Pourtant quand il est sur scène, quel émerveillement. Est-ce à cause de sa voix belle, grave et profonde, de sa stature de géant ou de sa démarche malaisée ? Est-ce parce qu'il claque les mots comme on assène des coups ou qu'il les fait glisser à notre oreille comme on enjôle ? Est-ce parce qu'il joue avec les syllabes pour conjurer les maux et qu'il glisse des rimes dans un univers sans amarres ? Le fait est, le slam, surtout celui de Grand Corps Malade, c'est beau.
Et puis quelle renommée, aussi, pour cet artiste. A propos de renommée, ne devrions-nous pas dire ou écrire plutôt re-nommé ? Car enfin, avant d'embrasser le slam, Grand Corps Malade avait bien un nom en propre. Il s'appelait Fabien Marsaud. Et puis, de ce nom propre, il ne reste pratiquement plus rien, juste un Fab' jeté de-ci de-là, comme le résultat d'une amputation, comme le reflet de cette vie d'avant l'accident. Depuis, le nom d'emprunt a raflé le gros lot. Il est là, omniprésent : sur les affiches, dans notre regard qui embrasse ce grand échalas dégingandé, dans la démarche mal assurée et jusque dans les paroles d'un slam. Le nom d'emprunt a fait l'hyothèque sur l'être de chair et sur un passé.
Comme le Petit Chaperon rouge, Grand Corps Malade se résume à un objet-attribut entouré de deux épithètes. Un devant, un derrière. Pas d'échappatoire possible. Entièrement circonscrit dans le regard de l'autre. Le Petit Chaperon rouge a beau être une jolie fille de village, voire " la plus jolie qu'on eût pu voir " à en croire Charles Perrault, elle n'a pas de nom en propre. Elle appartient à son village où elle est affublée du sobriquet de Petit Chaperon rouge en référence à cette coiffe étrange que lui a confectionnée mère-grand, à moins que ce ne soit sa mère.
Comme l'indique si joliment Anne-Marie Garat dans "Une faim de loup", le nom est affectation. "Qu'il vienne d'héritage ou d'emprunt, il a une emprise et un empire, il est un sceau, un stigmate, empreinte ou emplâtre, fût-il pseudonyme, pour déguiser un autre" (p. 97 - Actes Sud).
Le Petit Chaperon rouge est déterminée par son apparence. Elle appartient au collectif. Pas étonnant dès lors qu'elle se fasse croquer par le premier venu de la communauté. Car, bien que loup, il n'en est pas moins compère. La perte du nom propre au profit du nom d'emprunt signale l'accident à venir. Crac crac, croc et croque. Tirez la chevillette et la bobinette cherra. Ouverture de porte, destin scellé. Glissement sous les draps. Découverte anatomique. Que vous avez de grandes dents. Vous connaissez la suite.
Chez Grand Corps Malade aussi, le surnom vaut abandon & recherche d'identité. Le nom propre a été sali un jour, à 20 ans, à 11 heures 08. L'accident... Grand corps qui se débat entre la vie et la mort. Echappe à la mort ; restera malade à vie. Découverte du slam. Le nom d'emprunt arrive ici un peu après la béquille. Un nouveau jour se lève. Explosion d'un talent. Le renommé pourra connaître la renommée.
Petit Chaperon rouge & Grand Corps Malade : deux surnoms, deux corps meurtris, un grand renom.
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[ Complément apporté au 25 novembre 2007 ]
Je viens de découvrir quelques illustations superbes sur l'histoire cachée du Petit Chaperon Rouge, vous savez celle que tous les enfants comprennent, mais que les parents n'oseront jamais raconter. C'est ici et là, toujours chez Marjolaine Larrivé.
Un mal pour un bien...difficile expression, qui pourtant prend tout son sens quand la douleur sublimée devient création, quand l'obstacle devient apprentissage, quand la souffrance devient transformation. Oui, ce qu'écrit ce jeune homme et beau, son talent sans conteste. Et en même temps: son pseudonyme, son nom d'emprunt, sa nouvelle identité, il a choisi que ce soit le handicap. identifié à son mal,comme si Fabien disparaissait derrière lui. Or, est-il son handicap ou a-t-il un handicap? Les grandes douleurs de la vie ont cette capacité de nous révéler à nous-mêmes, mais sommes-nous la douleur? J'aime cette phrase, de Michel bon je crois: "J'ai un corps, mais ne suis pas ce corps; j'ai un mental mais ne suis pas ce mental; j'ai un nom mais ne suis pas ce nom; alors, ultimement, qui suis-je? Je suis."
Belle journée, Jean-Marc,
:-)
Isabelle
Rédigé par : Isabelle | 09/04/2007 à 10:21
Merci Isabelle pour votre beau commentaire. Votre dernière citation me fait me souvenir de la fameuse maxime de Hillel l'Ancien. Où va se jucher l'individualité ? Dans ses attributs (immédiatement perceptibles, parce qu'il sont du registre de l'avoir et donc du comptable) ou dans son essence (flottante, intangible) ? Bonne journée à vous.
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Isabelle | 10/04/2007 à 09:31
J'adorrr GCM!!! jSpR voir 1 de ses concerts 1jour. merci pour tout ske U fait
Rédigé par : ZNH | 31/03/2010 à 16:56