Tu es un ange. En italien : "Sei un angelo". La beauté de cette phrase tient à sa musique. Vous prononcez sobrement mais distinctement les deux premières syllabes ("sé-you"). Puis, vous accentuez violemment la troisième résultant de la liason ("NANE"). Là, vous maintenez votre phrase en suspension, le temps d'un demi-soupir. Enfin, vous reprenez l'énonciation, mais à toute vitesse cette fois et sans la moindre intensité, comme si tout avait été dit et que vous aviez hâte d'en finir ("djelo").
"Sei un angelo" [sé-you-NANE...djelo]. C'est, relate Dominique Fernandez dans "L'Art de raconter", l'exclamation qu'il entendit monter du poulailler de l'opéra San Carlo à Naples après que la Tebaldi eut terminé l'air de Leonora "Pace pace mio Dio" dans le quatrième acte de "La Force du destin" de Verdi.
Un ange... C'est aussi le commentaire que j'ai pu lire ce matin dans un article du "Monde 2" consacré au nouveau prodige de la tauromachie, Sébastien (ou Sebastián) Castella. Je vous livre in extenso le paragraphe : "A quoi ressemble Castella ? A un ange, à un jeune homme fragile, à un prince, à tout sauf à ce fier-à-bras que vous imaginez..."
Comment la même image peut-elle être suggérée par deux spectacles aussi dissemblables que le bel canto d'un côté et la corrida de l'autre ? A moins que derrière ces deux divertissements ne se cache une même symbolique ? Car enfin, à travers les actes de l'oeuvre lyrique comme dans les 3 moments (les tercios) de la corrida, n'assiste-t-on pas à la mise en scène codifiée d'une jouissance collective ? N'est-ce pas à une même exaltation du plaisir que nous nous livrons ? Le contre-ré de la Tebaldi ou l'estocade pratiquée par Castella ne sont-ils pas ces points où culmine l'émotion, où les repères basculent sous l'empire du pur plaisir, de l'orgasme ?
L'orgasme sans l'excitation sexuelle. Nous voilà donc en train de jouir sans faire usage de notre corps. Dépassement de notre condition d'être séxué. Et quel est ce territoire qui se situe au-delà du sexe, si ce n'est justement celui des... anges ?
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Suppléments :
(1) Pour suivre une corrida presque comme si vous étiez assis(e) sur les gradins de l'arène, j'ai trouvé un bien joli billet. C'est ici.
(2) Pour votre plaisir en restant dans le registre des anges, la voix d'Angela Gheorghiu sur l'air de "Pace pace mio Dio" :
Pace, pace, mio Dio!
Cruda sventura
M'astringe, ahimè, a languir;
Come il di primo
Da tant'anni dura
Profondo il mio soffrir.
L'amai, gli è ver!
Ma di beltà e valore
Cotanto Iddio l'ornò.
Che l'amo ancor.
Nè togliermi dal core
L'immagin sua saprò.
Fatalità! Fatalità! Fatalità!
Un delitto disgiunti n'ha quaggiù!
Alvaro, io t'amo.
E su nel cielo è scritto:
Non ti vedrò mai più!
Oh Dio, Dio, fa ch'io muoia;
Che la calma può darmi morte sol.
Invan la pace qui sperò quest'alma
In preda a tanto duol.
[ Va ad un sasso ove sono alcune provvigioni deposte dal Padre Guardiano. ]
Misero pane, a prolungarmi vieni
La sconsolata vita . . . Ma chi giunge?
Chi profanare ardisce il sacro loco?
Maledizione! Maledizione! Maledizione!
Une petite fille dit: on dirait qu'il va pleuvoir. Et puis, elle tombe au milieu de la classe. Crise épileptique. Le film s'appelle "Carnages". J'en revois sans cesse le début. Je dis ça, seulement, c'est juste parce que j'ai vu le tableau. Ca n'a peut-être rien à voir. Pas le temps. Comme carnages, pas le temps. Ou trop fatigué, je ne sais pas. Ou les deux. Ou envie de retourner dans la réalité - ce truc en dehors d'internet, comme dit Leblase.
Rédigé par : Murcia | 01/04/2007 à 19:34
J'avoue, Jean-Marc, avoir un peu de mal à associer la jouissance de la mise à mort du taureau au dépassement de l'être sexué, l'ange, l'âme. Si la danse du torero est un art magnifique, la mise à mort me semble faire appel aux instincts les plus primaires de l'homme, qui n'ont pas grandchose à voir avec sa part divine...
:-)
Isabelle
Rédigé par : Isabelle | 04/04/2007 à 06:46
Encore un plaisir de vous lire chez moi et de venir faire le lien ici.
La peinture au tout début du billet est magnifique.
Baisers à vous
Armandie
Rédigé par : Armandie | 26/04/2008 à 01:35