Zeus, le grand séducteur, s'éprend tour à tour de deux jeunes filles d'une sublime beauté. Pour satisfaire son bon plaisir, il va commettre deux enlèvements coup sur coup.
Dans le premier cas, le sujet de la convoitise divine s'appelle Europe. Elle vient de Tyr, sur la rive asiatique de la Méditerranée. Zeus se transforme en taureau, s'empare de la belle, lui fait traverser la mer, débarque sur l'île de Crète et s'unit à elle. Trois enfants mâles naîtront de cette union, dont Minos. Le fil de l'histoire se dévide à partir de là et Ariane nous sauvera à jamais de la figure taurine du Minotaure.
Dans le deuxième cas, Zeus s'éprend de la nymphe Io, fille du fleuve Inachus. Il la ravit. Rapt et ravissement : deux mots pour une même racine aussi nommée désir. Mais il s'y prend mal. Sa légitime, Héra, suspecte son époux d'amours extra-conjugales. Alors, Zeus transformera Io en belle génisse blanche. Héra, considérant l'attention suspecte de son mari pour la vache, se méfie. Elle demandera à son époux de se voir confier la garde de la génisse, sur le mont Olympe. Zeus ne saura lui refuser cette faveur. Il faudra l'entremise d'Hermès pour libérer la nymphe-génisse de la garde d'Argus, la créature aux cent yeux à qui Héra aura délégué la responsabilité de surveiller Io. A partir de là, la jeune femme entamera un long parcours d'errance. Elle se rendra d'abord sur les rives du fleuve Inachus. Ne parvenant pas à se faire reconnaître par son père sous sa nouvelle apparence bovine, elle s'aidera de son sabot pour tracer sur le sable les lettres de son nom : "I" et "O", "I-O". L'écriture venait d'être inventée, comme un écho de la métamorphose initiale et la trace, le reste d'une parole oubliée (1). Puis elle longera le rivage occidental de la Grèce et donnera son nom à la mer qui le baigne, la mer ionienne. Elle se dirigera ensuite vers l'orient, traversera un bras de mer, le Bosphore - étymologiquement le "gué de la vache" - en mémoire de son passage. Là, elle piquera vers le sud, passera vraisemblablement dans la ville d'Europe, Tyr, pour atteindre les rives du Nil. Après, sa trace se perd.
Deux destins si semblables en apparence : un même ravisseur, un enlèvement motivé par le désir, une métamorphose taurine, des transports amoureux. Dans le deux cas, il y aura aussi voyage. Fille d'Asie, Europe viendra s'installer en Crète. Fille de l'eau, Io traversera trois continents pour s'arrêter sur les berges du Nil, le fleuve par excellence.
Des dieux et des hommes réconciliés, des continents réunis sous le pas d'une vache, un jeu de cache-cache entre mémoire des origines et oubli de la langue de l'enfance, désir amoureux et métamorphoses en série.
De quel message ces légendes sont-elles porteuses ?
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(1) Daniel Heller-Roazen, professeur à l'université de Princeton aux Etats-Unis, parle couramment 10 langues. Il a écrit un recueil de fables traduit en français sous le titre "Echolalies. Essai sur l'oubli des langues" et récemment publié chez Seuil. Il se sert magistralement de l'histoire d'Io tirée des Métamorphoses d'Ovide pour illustrer sa thèse comme quoi nous serions encore sous le coup de la malédiction que l'Eternel a fait peser sur nous lors de la construction de la tour de Babel. Nous avons voulu atteindre le ciel. Nous voilà punis pour cette suprême arrogance. Comme châtiment, nous sommes maintenant dispersés sur la terre, chacun avec son sabir propre. Pourtant, au détour de ces babils étranges et étrangers, une écoute attentive nous permettrait de déceler l'écho fragile de la langue des origines, lorsque Dieu et l'homme savaient encore se parler.
Lila Azam Zanganeh, la belle normalienne polyglotte, a écrit à ce sujet une superbe critique dans le Monde du 26 avril. C'est ici aussi.
je suis ravie de découvrir la belle lila azam ...et d'apprendre que sous sa plume naitra un livre sur un de mes auteurs préférés vladimir nabokov...
Rédigé par : Nathalie | 22/05/2007 à 07:34
Et Murcia n'eut pas le temps de réfléchir, le mot université claqua comme un clic.
Rédigé par : murcia | 31/05/2007 à 22:19