Il était une fois, dans un pays lointain, une princesse, jeune, belle, désirable à souhait, qui se morfondait dans son palais. Chaque jour le même rituel se répétait : de nombreux prétendants venaient demander sa main, mais aucun ne trouvait grâce à ses yeux. Ils étaient tous éconduits. Son père, le roi, se lamentait. Avec le temps qui passait, il voyait s'éloigner son voeu de voir sa fille se marier et avoir des enfants. De plus, à force de refus systématiques, ce qui devait arriver arriva : le flot des prétendants vint à tarir.
Le roi entra en désespoir. Sa fille s'en avisa. Elle vint alors trouver son père et lui dit :
- Père, j'ai une excellente nouvelle à vous annoncer.
- ...
- J'ai décidé de me marier.
- Comment ? Vous marier, ma fille ? Voilà en effet une nouvelle qui me réjouit !
- Pourtant, père, il faut que je vous dise. Je ne donnerai pas ma main au premier venu. Je l'offrirai à celui qui me fera présent d'une rose bleue.
- Une rose bleue ? Mais enfin, vous savez bien, ma fille, que les roses bleues n'existent pas (1) ...
- Fi. Annoncez la nouvelle en ville. Faites donner le crieur. Que tout un chacun sache que je suis prête à convoler en justes noces avec qui m'offrira une rose bleue. Vous verrez que des prétendants afflueront à nouveau au palais.
Et ainsi fut fait.
Il y avait en ville un homme rusé. Il cueillit une rose blanche, la présenta à son ami le teinturier. Ce dernier écrasa des fleurs d'isatis ; un pigment bleu indigo en fut extrait dont il enduisit les pétales de la rose. L'hommé rusé se rendit au palais, muni de la rose bleue. Il la tendit à la belle princesse, qui s'aperçut immédiatement du subterfuge et renvoya le fourbe séance tenante.
Le chef des armées était amoureux transi de la princesse. Il lui vint à la mémoire qu'il existait, aux confins de l'univers connu, une contrée communément appelée le pays bleu où, selon la légende populaire, tous les objets étaient bleus. Alors, il décida de s'y rendre accompagné d'une escorte de braves. Ensemble, ils franchirent des déserts arides, des montagnes inhospitalières, traversèrent des mers tourmentées pour arriver enfin, après de longs mois d'errance, au pays bleu. Ils y découvrirent que cette région regorgeait de carrières de corindons et de titane. Par un savant agencement de ces deux minéraux, des sorciers créaient des pierres d'un bleu profond appelées saphirs. Tous les objets façonnés de main d'homme l'étaient à partir de cette pierre magnifique. Le chef des armées demanda alors à un artisan des plus habiles de tailler dans la pierre une rose. Notre artisan s'acquitta de sa tâche de la plus belle des manières et le chef des armées put reprendre, le coeur léger, le chemin du retour, convaincu que la belle princesse serait sous peu son épousée. Mais le sort en voulut autrement. Lorsqu'il se présenta au palais et qu'il tendit la rose-saphir à la fille du roi, cette dernière en loua la beauté, mais remarqua que derrière la forme élégante de la rose et la finesse de la taille se cachait une gemme et non une fleur. Le chef des armées fut éconduit.
Le désespoir s'abattit à nouveau au palais. Le roi pestait : "Une rose bleue... En voilà bien une idée absurde !" Pourtant, un beau matin, alors qu'elle se promenait dans les rues de la cité, la princesse croisa le regard du poète. Ce fut comme un éclair, un coup de foudre. Elle sut, et lui avec, qu'ils étaient faits l'un pour l'autre. L'amour les avait désignés. D'un seul élan, le poète aborda la jeune femme et lui déclara sa flamme. La princesse s'abandonna au miel de ses paroles. Mais, passé le moment de griserie délicieuse, la fille du roi se rappela la promesse faite à son père. Elle s'en ouvrit au poète et lui indiqua que son coeur ne pourrait appartenir qu'à celui qui lui ferait offrande d'une rose bleue. A l'écoute de sa belle, l'homme sourit puis prit congé.
Le lendemain, tôt, le poète se présenta au palais. Il portait dans sa main une rose blanche fraîchement coupée. Il s'avança vers le roi qui tenait audience ce jour-là et demanda la main de sa fille. Après avoir entendu cette requête, le roi se lamenta. "Mais enfin, cher poète, vous avez bien la tête dans les étoiles. Vous voyez bien que cette rose est blanche. Je ne puis vous consentir la main de ma fille !" Mais la princesse, à l'étage, n'avait pas perdu une miette de cette scène. Elle descendit les larges degrés qui conduisaient à la salle d'audience, se rapprocha des deux hommes, prit la rose des mains du poète, en huma la fragrance délicate et déclara enfin :
"Ah père ! Comment pouvez-vous dire que cette rose est blanche ? Si vous aviez mes yeux, vous sauriez que cette rose est bleue, et du bleu le plus pur qui se puisse concevoir."
J'entendis pour la première fois ce conte mercredi dernier de la bouche de Halima Hamdane au Théâtre Popul'Air du Reinitas, 36 rue Henri Chevreau, à Paris dans le XXème. Là-bas, ça sent bon Belleville, on y goûte toutes les couleurs de Ménilmontant et on peut y écouter de belles histoires orientales.
--
(1) Depuis peu, grâce à de subtiles manipulations génétiques décrites ici, il est possible de créer de véritables roses bleues, sans passer par le filtre ( le philtre ? ) des yeux de l'amour.
Voilà un bien joli conte. Merci de nous emmener avec vous du côté de Belleville et ménilmontant
Rédigé par : sandrette | 13/05/2007 à 11:35
Je suis bien heureux que ce conte vous ait plu, Sandrette. Quand j'étais gamin, je n'affectionnais pas particuièrement les contes ; je me disais qu'ils étaient désuets et surtout, je les trouvais tellement désincarnés, si loin du réel... Depuis, je les vois différemment. Exutoire d'une réalité qui peut décevoir ? Peut-être. Mais surtout, il y a une magie du conte qu'il est difficile de rendre sur un blog. Car un conte, c'est avant tout une voix ; même si le texte est beau, la sublimation vient de la voix et des émotions dont elle se fait le véhicule. Bien à vous, Sandra. Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Sandrette | 13/05/2007 à 12:08
Cher Jean-Marc...
Me voici, un long moment après l'offrande, avec des sourires et un vase pour y déposer la belle rose... qui heureusement ne s'est pas flétrie, puisque pointillée de pixels, elle en possède une vie presque éternelle...
*******************
Vous savez que c'est une joie, un plaisir immense d'échanger avec vous... Je vous imagine très bien dans les salons des dames de l'époque -une époque d'hier où madame avait son jour et recevait au salon quelques esprits étincelants... L'image est un voyage. Et vous avez cette manière de dire, d'imager par les mots -mais vous savez, n'est-ce pas...- qui porte à l'aventure et au questionnement...
Vous dites que petit, les contes vous étaient... étrangers... Et vous voici, maintenant, à les savourer. Une réalité qui peut décevoir... En fait, on ne voit bien qu'avec les yeux de l'imaginaire... Ils demandent un certain abandon et apportent une autre lumière, je crois, pour regarder, autour...
*********************
La rose bleue n'est pas triste. Elle est bleue de ciel bleu...
Rédigé par : Gaëna... | 06/12/2007 à 19:19
Voilà, c'est réussi. Tel que vous ne pouvez pas me voir, Gaëna, je suis rouge de plaisir et de confusion mêlés après avoir lu votre commentaire.
Vous avez tapé juste ! J'eusse sans doute adoré me glisser dans le boudoir d'une élégante qui recevrait à jour et à heure fixe quelques esprits frivoles, mais prenant très au sérieux l'idée de bâtir à plusieurs de belles conversations.
Souvent, en parcourant vos blogs, je reste fasciné par les nombreuses facettes de votre fantaisie. Je suis émerveillé par la légèreté avec laquelle vous imaginez des thèmes nouveaux et venez à chaque fois les enchanter avec des images et des textes remarquables.
Il me vient alors à l'idée que vous êtes cette élégante et que le Net est votre boudoir.
Bien à vous, Gaëna.
Rédigé par : Jean-Marc à Gaëna | 10/12/2007 à 11:56
Ce conte est plaisant. Je cherche le lien entre la rose bleue et Baba Yaga (la sorcière - ogresse russe).
Qui connait ?
Rédigé par : Vanouka | 01/08/2008 à 15:14
La rose bleue n'est pas triste... Elle a le bleu céruléen d'un rêve éveillé, des rêves éveillés....
http://corpsetame.over-blog.com/article-7217997.html
...et même peut-être de ceux ensommeillés ?
Rédigé par : Arthémisia | 02/08/2008 à 15:43