Lorsque je travaillais comme vendeur chez des éditeurs de logiciels, je me souviens de l'étonnement de mes collègues américains qui ne comprenaient pas pourquoi, en France, il fallait au moins justifier d'un Bac+3 pour prétendre à ce type de job. Aux Etats-Unis, pour accéder à cette fonction professionnelle, le niveau de diplôme requis était bien moins élevé. En discutant avec d'autres personnes, je me suis rendu compte que le constat initial n'était en rien spécifique au métier de commercial dans l'édition de logiciel, mais concernait peu ou prou tous les types de jobs et tous les secteurs d'activité.
Plus surprenant encore. En échangeant avec des amis britanniques, je découvris qu'au Royaume Uni, il était parfaitement possible - voire hautement recommandé - de faire des études littéraires et généralistes pour accéder à des postes de haut niveau. Outre-Manche, toujours d'après mes amis, une licence d'histoire constituait un excellent viatique pour prétendre à un poste de responsabilité dans les hautes technologies. Or, aujourd'hui, cela est pratiquement inconcevable en France.
Alors pourquoi ces différences ?
C'est en écoutant une interview d'Antoine Prost sur France Culture la semaine dernière que je me rendis compte d'une dérive profonde concernant la vision de ce que pouvait être la vocation de l'école dans la société française. Quand j'étais petit, l'école était ce point de passage obligé pour apprendre à se fondre dans cette fameuse identité nationale qui a tant fait couler d'encre récemment. Or, depuis quelques années, le propos a radicalement changé. L'école ne serait plus cet espace de transition où vous apprenez à devenir un homme ou une femme accompli(e), c'est-à-dire conscient de ses droits et devoirs en tant qu'être social. Non. Fi de tout cela ! Désormais, l'école doit préparer à occuper un emploi. Un point, une barre. En 30 ans, la fonction de l'école est passée brutalement de l'humanisme éclairé façon Diderot à l'utilitarisme le plus brutal version Thatcher. Il n'est qu'à lire les propos de Nicolas Sarkozy sur ce sujet pour s'en convaincre. "Le plaisir de la connaissance est formidable, mais l'Etat doit se préoccuper d'abord de la réussite professionnelle des jeunes", déclare-t-il dans une interview reproduite dans le journal 20 minutes le 16 avril.
Cela paraît très bien en première lecture. Pourtant, est-ce raisonnable ? Est-il sensé de considérer que l'école doit aider à l'acquisition de qualifications précises alors que les experts s'accordent à dire que la moitié des emplois à occuper dans 20 ans n'existe pas aujourd'hui ? A voir.
Et puis surtout : quel projet de société se cache derrière cette vision uilitaire de l'école ? Essayons de voir. Jouons le jeu un instant. Admettons que l'école ait une vocation avant tout utilitaire. On en déduit qu'elle doit alors déverser chaque année sur le marché du travail des contingents d'individus avec des niveaux de qualification compatibles en nombre et en qualité avec les attentes des organisations pourvoyeuses d'emplois. Logique, non ? En politique, pareille vision du monde porte un nom. C'est l'économie planifiée dont l'ancienne U.R.S.S. a constitué durant de nombreuses années la personnification. Est-ce encore au nom de cette appartenance à une "droite décomplexée" que M. Sarkozy se fait ainsi le chantre de la "soviétisation" de la France ?
A l'inverse, une approche libérale consisterait à reconnaître que l'école n'a aucun compte à rendre à l'entreprise et réciproquement. Du reste, entre l'école et l'entreprise, il y a un marché appelé marché du travail et ce dernier devrait être régi, selon toute logique et en harmonie avec les grands principes de respect du droit des individus, selon les règles de l'offre et de la demande. Par suite, une école moderne est une école indépendante. C'est ce qui explique que dans des pays où ces notions de liberté et de libéralisme sont bien comprises, il n'y a aucun malaise à faire des études non-utilitaires. Enfin, comme le rappelle Antoine Prost dans son interview sur France Culture, la mission fondamentale de l'école est de "[...] former des hommes et des femmes bien dans leur peau, conscients de leurs devoirs, de leurs responsabilités, capables de s'aimer, d'aimer leurs enfants, de les élever correctement, de leur transmettre un patrimoine et, ensemble, de former une nation. C'est ça la fonction de l'école ; ce n'est pas de trouver un emploi."
Pour finir, il suffit de se rappeler le "bon vieux temps". Dans les années 60, en France, les 2/3 des emplois de comptables étaient occupés par des gens qui n'avaient pas la moindre formation en comptablité. Lorsque les emplois existent, les entreprises savent comment les faire occuper.
A bon entendeur...
Très interessant ton article.
En Italie ce n'est pas très different.
Pire on l'admet pas.
Je crois, en tant que professeur d'école, qu'il faudrait s'arrêter, au moins à niveau de l'Europe, pour réfléchir sur les nouveaux rôles de l'école, partager des projets communs qui intègrent l'amour de la connaissance, l'accompagnement de l'enfant vers son destin d'homme *** ET *** son futur professionnel.
Mais sans honnêteté et sans sincerité, je crains beaucoup....
Rédigé par : Delias | 23/06/2007 à 10:26
Délias,
Merci pour votre passage sur mon blog & pour y avoir exprimé votre point de vue transalpin.
La ringrazio
Ciao
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Delias | 24/06/2007 à 13:32
Ca fait plusieurs dizaines d'années que le malaise perdure.
Il faut tout remettre à plat et sans à priori.
Que de vies brisées par un état démissionaire !!
Rédigé par : Domi | 01/07/2007 à 12:50
Une fois de plus, un article passionnant, bien écrit, qui va encore me plonger dans une longue réflexion... Moi qui voulait faire la sieste...
Rédigé par : Fanny Grangier | 01/07/2007 à 16:33