Depuis que Plutarque puis Nietzsche (la Naissance de la tragédie) ont glosé sur les traits de caractère d'Apollon et de Dionysos, il est de bon ton de les opposer. Le premier serait le symbole de l'ordre, de la beauté, de l'harmonie. Au second iraient le chaos, l'ivresse, l'énergie vitale, la danse, le théâtre. Mesure apollinienne contre démesure dionysiaque. La coupe est sèche comme un coup de serpe sur un cep de vigne. La rivalité est installée et les couples d'antonymes viennent peupler l'espace symbolique ainsi libéré : le beau contre le sublime, la "belle apparence" contre la force, la justice contre l'hybris, le classicisme contre le baroque, etc.
Pourtant, tout n'est peut-être pas aussi simple. Prenez Apollon. Posez sur lui un regard "classique". Il est alors ce corps superbement proportionné aux muscles déliés représenté par la statuaire grecque. Posez maintenant sur lui un regard "baroque". Concentrez-vous sur ce moment fugace où le dieu succombe à la tentation de chair et s'apprête à ravir la belle Daphné.
A peine a-t-il touché la jeune fille que cette dernière mue, son corps de jouvencelle s'arborise, ses membres deviennent tronc, ses cheveux se métamorphosent en feuillage. Vous êtes en face de l'une des plus belles statues du Bernin.
La transformation de Daphné signe l'égarement d'Apollon, la perte de ses attributs d'ordre et de mesure. Dans la course haletante, deux énergies vitales s'opposaient. Au moment de leur contact, Daphné se métamorphose en laurier. Elle devient végétal ; ce faisant, elle scelle un pacte avec Dionysos. Mais, en perdant tout mouvement, en se lignifiant, elle épouse l'idée apollinienne d'ordre. Et de son feuillage seront composées les couronnes qui viendront ceindre le front des adorateurs d'Apollon.
Apollon contre Dionysos. L'opposition est-elle aussi nette que le veut Nietzsche ? Ne suffit-il pas de deux regards différents, deux perspectives distortes pour voir les deux divinités se fondre en une seule figure ?
Apollon ou Dionysos ? Quelle que soit votre inclination, merci de me laisser l'amertume du pampre et l'ivresse du vin.
Comment ne pas être touché, Jean-Marc, de ton approche illustrée par ce chef-d’œuvre de la métamorphose sculptée par le Bernin ; l’instant précieux où les choses basculent parce que pas même un dieu, pas même un humain ne saurait rester figé dans son etre, dans son rôle et même dans son apparence, où le mouvement peut devenir immobilité, où Apollon bouleversé par sa passion guette les derniers battements du cœur de Daphné tandis que son bonheur s'échappe. Ce sont ces instants-liens d’un sentiment à l’autre, d’un état d’âme à l’autre, d’un style a l’autre, qui nous font aimer la vie et l’art. Tu as raison : Apollon et Dionysos ne sont pas si différents et il est important de vivre en le sachant.
Surtout continue à nous poser ce genre de questions. Bien à toi. Ghislaine.
Rédigé par : Ghislaine | 23/06/2007 à 14:16
Juste pour vous dire, le Bordeaux c'est notre fierté à nous tous, tous les Français partout dans le monde. Y'a pas de vin de table qui peut rivaliser avec le Bordeaux :)
Rédigé par : Bordelais | 04/08/2009 à 21:53