Je viens de passer le week-end à Rome. Comme à l'accoutumée, j'ai goûté au plaisir de me perdre dans le dédale des rues du centre historique, je me suis abandonné à la joie toute simple de marcher sans but précis et d'entrer dans une église prise au hasard pour y découvrir incontinent un chef d'oeuvre du Caravage ou de Raphaël. Plus ça va, plus je suis enclin à fondre devant le regard délicatement penché d'une madone, le sourire absent d'un ange ou le regard facétieux d'un putto. C'est peut-être cela vieillir : être ému devant des êtres de pierre ou de stuc, s'amouracher d'une toile, pour une expression inattendue mais ô combien humaine -trop humaine. Tomber en amour en savourant un tartufo affogato al caffè, suivre le vol chaotique d'une escdrille d'étourneaux sur les ruines des forums impériaux ou échanger via del Babuino une oeillade admirative avec une fille dont la démarche de rêve vous fait chavirer les sens. A Rome, il me semble que le bonheur est à portée de la main, qu'il se manifeste dans les gestes les plus simples.
Comme tant d'autres, je crois être tout simplement subjugué par l'Italie, cette école à ciel ouvert d'humanisme et de grâce. Il faut dire qu'il y a une manière bien italienne d'être au monde, qui ne trouve pas son équivalent ailleurs. Tenez. Un exemple parmi mille. Celui de la formule de politesse, c'est-à-dire l'équivalent de notre vouvoiement. Chez nous, l'expression de la plus élémentaire courtoisie passe par l'emploi du vous, deuxième personne du pluriel. En passant du singulier au pluriel, nous exprimons de manière explicite notre souhait de grandir notre interlocuteur, nous lui offrons de l'importance en le multipliant. Le même phénomène existe en allemand, avec un degré de compléxité supplémentaire puisque non seulement vous passez du singulier au pluriel, mais en plus vous changez de personne, de la deuxième à la troisième. Les Anglais, eux, ont une façon très British de traiter la question. En rendant le vouvoiement non explicite, ils laissent à l'auditeur le soin d'évaluer par d'autres signes (inflexion de la voix, regard, etc.) le degré de courtoisie affiché par le locuteur à son endroit. Les Espagnols et les Portugais changent de personne (de la deuxième à la troisième) mais pas de genre. Dans ces pays-là où le respect de l'étiquette est d'une importance cruciale, être courtois signifie reconnaître l'individu dans sa singularité ; le noyer dans le collectif - si ronflant fût-il - friserait l'offense. Dans toutes les langues évoquées ci-dessus, donc, la marque de politesse s'exprime soit par un changement de personne, soit par un changement de nombre, soit par une combinaison de l'un et de l'autre. En Italie, non. Certes, la formule de politesse s'appuie aussi sur un passage de la 2ème à la 3ème personne du singulier, mais avec un raffinement supplémentaire qui consiste mettre tout le monde au féminin. Le "tu" (prononcer "tou") de la deuxième personne du singulier devient "lei" (prononcer "leille"), qui n'est autre que l'équivalent de notre "elle". Alors en Italie, même si vous vous adressez à un fier-à-bras portant débardeur et clope au bec, la courtoisie la plus élémentaire vous amènera à demander : " Peut-elle m'indiquer la route de Sienne ? "
C'est un peu comme si, de l'autre côté des Alpes, l'expression du respect empruntait les chemins de l'élévation allant, en partant du bas, de la division sexuée homme/femme pour évoluer, un degré plus haut, vers le tout féminin, avant d'atteindre, dans des moments de grâce exceptionnels, la figure, certes asexuée, mais si fascinante et désirable de l'ange.
Dire qu'il y a encore des gens qui pensent que l'Italie est le sanctuaire du machisme. J'ose espérer qu'après cette petite escapade par les détours de la formule de politesse, ils réviseront leur croyance.
Je ne parle pas italien, j'avoue que ça me ferait énormément rire, oui, de dire "lei" à cet italien macho-velu-volubile-avec-une-chaîne-en-or. Encore un cliché qui tombe !
Rédigé par : Valérie | 13/09/2007 à 14:34
L'éveil... Sourire.
Je pense à deux films, quand vous parlez de l'Italie que je ne connais qu'en rêve... «Une journée particulière» d'Ettore Scola, avec Sophia Loren et Marcello Mastroianni... Magnifique. Vous connaissez?
Et le sublime «Chambre avec vue» où l'époque victorienne et sa rigueur absolue côtoie la passion italienne...
Voilà! Je rêve de gondoles, maintenant et de Toscane... Oh! Vous! : )
Rédigé par : Gaëna | 14/09/2007 à 06:10
J'informe ceux que cela intéresse que j'ai conçu sur Terres de femmes un petit index bibliographique sur la littérature italienne, principalement contemporaine (j'ai été professeur d'italien en lycée). Pour y accéder, il suffit de cliquer sur mon nom.
Amicizia
Angèle
Rédigé par : Angèle Paoli | 14/09/2007 à 13:20
> Gaëna
Et si, d'un petit clic, l'on se faisait un petit cadeau. Le générique et la première séquence de "Room with a View" par exemple, et le célèbre "O mio Babbino caro" extrait de Gianni Shicchi. Histoire de rêver encore... La Toscane est à la latitude de mon village. Il suffit de traverser un tout petit bras de mer...
@ + luntanu
Anghjula la cap-"corsaire"
Rédigé par : Angèle Paoli | 14/09/2007 à 15:38
Ce sense de Lei , ce n'est pas exactement si feminin que cela...toutefois je ne l'avais jamais remarquè comme çA. :-)
flaner pur aller partout et nulle part, plutot que le sens de vieillir ( et si c'est cela , moi je vieillis avec joie) c'est prendre plaisir quand 'on n'a plus la contrainte de "visiter " forcement.
c'est à dire que quand on connait dejà une ville on peut se permettre de ne rien visiter mais de la savourer, la vivre. l'aimer.
la prochaine fois on va boire un café ensamble! delias
Rédigé par : delias | 14/09/2007 à 22:19
Madame Paoli! Quelle sublime surprise... Oui. Et la musique qui fait le petit frisson à hauteur de peau et ces points d'interrogations...
Un pur bonheur. Vraiment.
Merci, de mes bois du Québec...
Et «luntanu», c'est une manière d'au revoir?
Rédigé par : Gaëna | 16/09/2007 à 22:12
Au fil de tes lignes, retrouver l’élégance de la vie romaine, se rappeler que l’on peut rencontrer comme cachée au cœur de cette ville une œuvre de maître en la découvrant ou en la reconnaîssant, chercher à décrypter le raffinement de la langue de "nos cousins" italiens, et encore une fois, c’est la passion pour ce pays qui s’affirme que l’on partage infiniment. Delias a raison d’insister sur la connaissance préalable d’une ville qui permet de la savourer, de l'aimer certainement aussi davantage. Je m’inviterai aussi à boire le café proposé !
Rédigé par : Ghislaine | 17/09/2007 à 12:37