A chaque fois que je me rends à Rome, je me réserve un moment pour faire un tour au carrefour des 4 fontaines. Je me souviens encore de la première fois où j'y suis passé. C'était la nuit, il y a précisément 13 ans. J'étais assis à l'arrière d'une voiture. Nous étions passés vite. J'avais à peine eu le temps de me dire qu'il y avait quelque chose d'étrange, d'inhabituel à ce croisement. Je m'étais retourné. L'éclairage blafard de la nuit romaine ne me permettait pas de distinguer les contours des habitations alentour. Et puis nous nous engagions très rapidement vers le sud, en direction du Quirinal. Je pensais bien que ce sentiment d'étrangeté n'entretenait qu'un rapport lointain avec la présence des fontaines taillées dans le roc à chacun des 4 coins du croisement. Bien plus tard, quand je revins sur ce lieu, mais à pied et en plein jour cette fois, je compris ce qui avait été à l'origine de mon trouble passé. C'était la présence de cette vague de pierre que constitue la façade de San Carlino édifiée par Borromini. Tout le génie du baroque était là, étalé devant moi dans les volutes de cette façade. A travers une débauche d'ellipses, d'ovales, de formes concaves et convexes crochetées en alternance, le minéral s'éveillait à la vie ; la pierre ondoyait littéralement.
Depuis cette date, je ne manque jamais, à chacun de mes sauts de puce romains, de venir admirer la façade de San Carlino. Je laisse mon regard s'égarer dans le trémoussement de la pierre, je goûte au vertige de la plongée en apnée. Je résiste un peu, certes. Je tente quelques remontées vers la raison triomphante. Mais la tentation est trop forte de sombrer. Je me laisse alors submerger par l'épaisseur liquide du mouvement.
Lors de mon dernier passage à Rome, à la mi-septembre, j'eus aussi la chance de rentrer dans le sanctuaire de l'église Sant'Ivo alla Sapienza, du même Borromini. Saisissant de beauté ; là encore ce ne fut que pur ravissement des sens. Cette fois-ci, je fus ébloui par l'audace des projections géométriques, par l'harmonie étonnante des dialogues entre les cercles et les triangles, par la farandole des illusions, l'improbable équilibre né d'une structure que tout semble prédestiner à l'élévation.
En sortant de cette visite, encore tout à la griserie de ce que j'avais vu, je marchai en cercles concentriques autour de Sant'Ivo. Comme hypnotisé, mon regard cherchait sans cesse la lanterne en forme de flèche spiralée, avec ses flammes pétrifiées, ses piques en fer forgé. Une Pentecôte inversée, où le génie muet de l'homme s'élèverait en réponse au don des langues. Deux mouvements ignés en sens contraire pour renouer l'alliance avec le divin. Proprement hallucinant.
Lorsque progressivement je revins à un état de conscience normal, je me rendis compte que mon esprit avait établi une connexion inattendue avec un autre bâtiment, laïque celui-là, conçu et réalisé par un autre architecte de génie : la Casa Milà aussi dénommée "La Pedrera" d'Antoni Gaudi à Barcelone.
Qu'en dites-vous ? La ressemblance est frappante, non ?
Je me suis alors souvenu de San Carlino. Et là encore, je n'ai pu m'empêcher de tracer une flèche d'une portée de plus de 300 ans et d'un millier de kilomètres à travers la Méditerranée pour relier la façade de l'église baroque à celle de la Pedrera.
A déconseiller formellement à ceux qui seraient sujets au mal de pierre !
Il faut absolument que j'aille visiter Rome que je ne connais pas !
Rédigé par : Tietie007 | 02/10/2007 à 22:59
Alors tu es revenu à Rome sans rien me dire ? Tres bel article...je te citerai ! Moi aussi j'adore sant'Ivo c'est un coin très particulier dans un superbe cadre. A + delias
Rédigé par : Delias | 11/10/2007 à 16:57
C'est ce que je me disais, au même moment !
Retourner admirer la splendide cathédrale de Gaudi en perpétuel achèvement, la revoir 20 ans après avoir eu le coup de foudre, l'avoir revisitée il y a 5 ans, surprenante évolution influencée par notre époque, mais toujours en accord avec l'esprit de Gaudi.
Qu'elle étrange parenté avec ces belles oeuvres baroques. Ce billet donne envie d'aller admirer de prés, et aussi de visiter cette ville fascinante. Merci à l'auteur.
Rédigé par : MarieM | 02/01/2008 à 22:54
Oui. La Sagrada Familia est fascinante. Je crois que les étranges similitudes entre Gaudi d'un côté et les architectes du baroque romain, d'un autre, tiennent à leurs recherches pour concilier géométrie et exaltation du divin. L'ellipse fut la figure de prédilection dans l'architecure baroque et il semble que l'hyperboloïde fut celle sur laquelle Gaudi articula son projet.
Voilà pour la vision scientifique. Maintenant, comme nous parlons de la Sainte Famille et que vous vous êtes identifiée sous le pseudo de "MarieM", je vous invite à considérer aussi une vision plus poétique en rentrant dans l'univers d'Erri De Luca. Pour cela, il vous suffira de cliquer sur mon nom accolé à ce commentaire.
Rédigé par : Jean-Marc à MarieM | 02/01/2008 à 23:28
Bonjour JM. Un petit passage puisqu'on parle ici d'art ...baroque... Je vais dénoter mais envie de partager ce joli site d'un peintre, Craig Mullins http://www.goodbrush.com/mainpage/index2.htm ...ces peintures valent le détour :)
Rédigé par : Nathalie | 21/02/2008 à 20:49
felixitaciones por esta bella pagina saludos cordiales a todos vds especial a bonetes de sanfelices de amaya! grazie!
Rédigé par : padreluigi | 25/04/2010 à 22:41