Incroyable ! Je n'en crois pas mes yeux !
Je viens de sortir du Grand Palais où j'ai parcouru à grandes enjambées les différentes salles de l'exposition consacrée à Gustave Courbet. Est-ce l'effet de la vitesse ? Je fus littéralement foudroyé.
Première salle : série d'autoportraits de l'artiste. Courbet se donne en spectacle. En amoureux transi, en violoncelliste, en fou de peur, en désespéré aux yeux exorbités. Fumeur de pipe ou blessé à mort, le peintre donne à voir de multiples visages de lui-même. Premier court-circuit. Cela me rappelle Pessoa et ses hétéronymes ; géniale prémonition de l'éclatement de nos identités.
Deuxième salle. Saisissement. Je reste ébahi devant la taille d'un enterrement à Ornans. Plus de 6 mètres de largeur sur 3 mètres de hauteur. Les couleurs rappellent celles des peintures noires de Goya. En vous plaçant bien au centre, à environ 3 mètres de la toile, je vous invite à vous accroupir. Vous aurez alors la sensation d'être dans la tombe. Personne ne vous prête la moindre attention. Tous les regards semblent perdus dans le vide ; seul le bedeau qui tient la croix vous adresse un regard vide. Terreur de la mort !
La troisième salle est à l'étage. Vous y accédez par un superbe escalier à double hélice. Elle est consacrée à une série de paysages. Moi, les paysages en peinture, cela m'a toujours laissé indifférent. Alors, je presse le pas, tout à ma hâte d'accéder aux fameux nus et de contempler l'Origine du monde. Oui, mais voilà. J'ai un nouveau choc. L'origine du monde est peinte ici même, dans cette salle. Pratiquement tous les tableaux exposés ont une connotation sexuelle explicite. Ce ne sont que grottes obscures, sources ombragées et vagues déferlantes. Partout suinte l'humidité des origines. Les titres sont explicites : la Source de la Loue, le Puits noir, la Grotte sarrasine, la Vague. Ils renvoient à l'intimité de la femme, à son fourreau. En plus, est-ce volontaire ? Tous ces tableaux sont présentés chacun en plusieurs versions. Dans la salle, je dénombre pas moins de 5 "Vagues" et 3 "Puits noirs" différents. Le sexe de la femme est suggéré jusqu'à la nausée. La répétition du thème dit l'obsession du peintre ; elle renforce mon malaise.
Quatrième salle. Elle est dédiée aux portraits. Je tombe en admiration devant Jo, la belle irlandaise. Je m'extasie. Je crois trouver un moment de répit dans la contemplation de ce chef d'oeuvre. Mais non ! Juste à côté figure un petit tableau intitulé Bacchante endormie. Je croyais pouvoir m'abandonner à la beauté d'une mortelle devant son miroir, mais voilà la figure du dieu qui apparaît en filigrane. Dionysos, l'ambigu, qui oscille sans cesse entre l'abandon au plaisir, la luxure et la cruauté absolue. Né à Thèbes. C'est la ville d'Oedipe et de sa malédiction de parricide. Mais bien avant Oedipe, il y eut cet autre drame familial dont parle Euripide. Agavé, a rejoint les ménades de Dionysos ; celles-là mêmes que les Romains appelleront les bacchantes. Un jour, prise d'ébriété et d'hystérie, elle démembre son propre fils, Penthée, le roi de Thèbes, dilacère son corps et pique sa tête à la pointe de son thyrse. Retour au secret des origines du monde. Un meurtre. Mais pas n'importe quel meurtre ; un infanticide.
La cinquième salle est ronde, comme il se doit. Elle est consacrée aux nus. En son centre trône l'Origine du monde. Autour, sur une couronne, figurent des toiles sublimes. Il y a le Sommeil, bien sûr, aussi appelé Paresse et luxure. Mais je reste surtout fasciné devant la Femme au perroquet. Autant la toile homonyme d'Edouard Manet est austère, autant celle de Courbet déborde de sensualité. C'est splendide.
Vient alors la sixième et dernière salle. Ce sont des scènes de chasse. J'ai une sainte détestation pour ce genre. Alors je me dis que je ne vais même pas y rester. Je m'y arrête, cependant. Et là, nouveau choc. Ce ne sont que hallalis et mises à mort. Mais ce n'est pas ça qui me choque le plus. Ce qui me trouble le plus, c'est que Courbet utilise toujours le même thème pictural pour signifier l'imminence ou la présence de la mort : la bouche béante.
L'exposition est terminée. Je redescends les escaliers et me dirige d'un pas rapide vers la sortie. Je suis abasourdi. A travers ces 6 salles, j'ai l'impression d'avoir rencontré un frère, un alter ego avec qui j'aurais pu partager dans un autre temps les mêmes interrogations : l'atomisation de l'individu et l'éparpillement de soi (voir billet), l'angoisse de la mort, la présence obsessionnelle du sexe de la femme même dans les endroits les plus improbables (voir billet), la présence équivoque parmi nous de Dionysos (voir billet), les bouches béantes enfin (voir billet homonyme), comme expression de la douleur de vivre.
Eros & thanatos comme leitmotiv. Au centre, la femme. Nue. La bacchante est endormie. Répit. Acceptons-en l'augure. Mais dehors, qui mène la danse ? Dionysos est-il descendu parmi nous ?
Fulgurance... dites donc ce portrait de Courbet.... On dirait Johnny Depp non?
Rédigé par : Fanny - anosenfants | 15/10/2007 à 09:15
Laissez-moi vous dire que le récit de votre visite de l'exposition sur Courbet m'a emballée. Je n'ai pas eu la chance de pouvoir m'y rendre et je l'ai regretté car, passionnée du XIX eme siècle, je suis gourmande de tout ce qui s'y rapporte. Mais avec votre description des oeuvres que vous avez admirées et des sensations que vous avez ressenties, j'ai la faveur d'un peu de cette exposition. Merci.
Je suis tout à fait d'accord "la femme au perroquet" est aussi un tableau débordant de sensualité.
Baisers papillonnants
Armandie
Rédigé par : Armandie | 12/04/2008 à 02:37