Lorsque je rentrai chez moi jeudi soir, je tombai nez à nez avec des amis de mon grand fils M. : Jimmy et Mehdi. Ce dernier se trouve être par ailleurs le guitariste et chanteur d'un groupe de rock appelé Orphee's cry, alias OC. Alors bien sûr, nous avons parlé musique. Il m'a fait écouter la dernière création de son groupe : un single appelé Nymphomaniac. Je lui ai dit que ça avait un air de famille avec The Cure, un groupe qui m'avait pas mal marqué quand j'avais 20 ans. Voire, je lui affirmai que sa voix ressemblait beaucoup à celle de Robert Smith.
Mehdi m'a aussi expliqué comment il comptait développer son business autour de la musique. Son approche est simple : elle consiste à faire connaître les créations du groupe en les publiant sur mySpace. Ce faisant, il a réussi a développer une communauté de fans qui suivent l'activité du groupe. Ces inconditionnels d'OC se rendent régulièrement aux concerts donnés par le groupe. Ils y font la claque et pour peu que leur groupe fétiche participe à une compétition dont l'issue se jouera aux voix, comme récemment dans le cadre de leur participation au festival Fallenfest, leur présence sera déterminante. Résultat : Orphee's Cry vient de se qualifier pour les demi-finales et a gagné ce faisant la possibilité de se produire en février au Trabendo. Excusez du peu.
La démarche de Mehdi et de ses acolytes me rappelle le modèle économique décrit par Chris Anderson dans la conférence qu'il a donnée récemment à l'événement Nokia World sur le thème de l'économie du gratuit. Grâce aux techniques de digitalisation, le coût marginal de diffusion d'un morceau de musique est proche de zéro. "Traitez le produit qui en résulte (CD) comme s'il valait zéro", conseille Chris. Il enchaîne ensuite : "Profitez de la baisse drastique du coût des réseaux pour diffuser vos créations au plus grand nombre. Si ce que vous faites a de la valeur, vous aurez tôt fait de réunir autour de vous et de votre produit, une communauté de fans". Enfin, "une fois que votre cercle d'adorateurs sera constitué, fort d'individus littéralement passionnés par ce que vous faites, ces derniers seront capables de payer le prix fort pour vous voir vous produire en live".
Dans cette nouvelle économie digitale, le coût marginal du produit (enregistrement, vidéo) vaut epsilon. C'est pour cela que vous pouvez le consulter gratuitement sur le web. En revanche, un concert de votre groupe préféré constituera une expérience unique s'inscrivant dans un espace (un certain nombre de places disponibles dans une salle) et un temps (le jj/mm/aaaa entre 21 heures et 23 heures) bien délimités. C'est pour ça que les places de concert d'un groupe célèbre se vendent entre 40 et 100 euros l'unité. Là est le paradoxe : comme un concert comprend environ 20 titres, cela revient à un coût unitaire de 2 à 5 euros le titre - et sans possibilité de le réécouter !
Mais voilà, avec la baisse spectaculaire des coûts de la technologie, une nouvelle donne économique est en train de voir le jour. Alors que la valeur du produit tend vers 0, la valeur de l'expérience vivante correspondante croît. Le titre enregistré ne vaut plus rien (récemment, certains artistes comme Radiohead ou Prince sont même allés jusqu'à offrir gratuitement le CD ou le téléchargement de leurs dernières créations). Il devient juste un vecteur de buzz et de trafic pour vous faire désirer assister à la version live. Et là, il vous faudra casser votre tirelire !
Le mot d'ordre de l'artiste devient alors quelque chose comme : "Accédez à mes créations au moindre coût - voire, piratez-moi ! C'est le prix à payer pour que naisse et mûrisse en vous le désir de venir me voir quand je me produirai sur scène" . Malheureusement, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres et à en croire les conclusions du rapport Olivennes commandité par notre président, on ne peut que regretter que les hommes qui nous gouvernent s'obstinent - par conservatisme ? par ignorance ? par volonté de préserver leurs privilèges ? - à ne pas entendre la clameur qui monte de la rue.
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