Il y a des mots que tout marque du sceau de l'étrangeté. Prenez le sycophante, par exemple. Etymologiquement, le terme désigne celui qui, il y a bien longtemps, sur les collines de l'Attique montrait du doigt le voleur de figues. Voilà une façon très figurative de désigner celui qui dénonce pour des figues, autant dire des broutilles... Le mot trahit donc le traître, dénonce le forfait de délation, projette une lumière crue sur la balance, le calomniateur. Mais en France, l'usage du mot se perd. Je l'ai retrouvé récemment dans la chanson des Quatre Bacheliers de Georges Brassens. Hormis cette jolie découverte, je dois bien reconnaître ne jamais l'avoir entendu dans la bouche de mes compratriotes.
A l'inverse, je l'ai entendu fréquemment dans la bouche de collègues britanniques. Là où ça se complique, c'est qu'en Grande-Bretagne, le sycophante n'a rien à voir avec un calomniateur. Loin de monter sur ses ergots pour dénoncer l'existence du voleur de figues, le sycophante d'outre-Manche a le sens de la courbette. Il ne manque jamais une occasion de s'abaisser dès qu'il estimera qu'une vile flatterie servira ses intérêts. Grand maître es flagorneries, on le désigne communément en français sous l'appellation de lèche-bottes. Son esprit pervers de batracien se contorsionne comme un vermisseau. His brain is squirming like a toad comme le suggère Jim Morrison dans Riders on the storm.
Sycophant, toady - deux synonymes qui, en anglais, réunissent dans un même geste ample de la main le montreur de figues et le crapaud. Voilà une bien étrange association !
De la même façon, par quelle surprenante dérive sémantique le calomniateur de la Grèce antique est-il devenu le flagorneur d'outre-Manche ?
Après tout, peu importe. Qu'on ait affaire à la balance athénienne ou au lèche-bottes britannique, if you give this man a ride, sweet memory will die.
Sycophante… Moi non plus je n’ai jamais entendu personne prononcer ce vocable. Mais je me promets de m’entraîner à le placer !
Dans mon dictionnaire en ligne préféré (http://atilf.atilf.fr/tlf.htm) j’ai trouvé ça :
SYCOPHANTE, subst. masc.
A. HIST. [Dans la Grèce antique, à Athènes] Dénonciateur professionnel qui assignait en justice des citoyens riches afin d'obtenir une part de leurs biens s'ils étaient condamnés. (Dict. XIXe et XXe s.).
B. Littér. Calomniateur, délateur; p. ext., personnage hypocrite, fourbe. C'était une page d'un livre que je lisais, quand toutefois il m'arrivait d'en prendre d'autres que ceux de ces sycophantes modernes qu'on appelle des pamphlétaires, et à qui on devrait défendre, par simple mesure de salubrité publique, de dépecer et de philosophailler (MUSSET, Confess. enf. s., 1836, p. 326). S'il n'y avait plus d'imbéciles à jouer, le métier des sycophantes et des flatteurs du peuple tomberait bien vite (RENAN, Avenir sc., 1890, p. 341).
REM. Sycophanterie, subst. fém., hapax. Synon. de hypocrisie. Que vous êtes loin, ô bonheur, de la sycophanterie et de l'astucieuse habileté de Barrès! (VALÉRY, Corresp. [avec Gide], 1891, p. 68).
Prononc. et Orth.: [ ]. Att. ds Ac.dep. 1762. Étymol. et Hist. 1. Ca 1500 nom donné à Athènes à ceux qui dénonçaient les voleurs ou exportateurs de figues, puis plus gén. aux délateurs sichophant (Therence en franç., fo 73b ds GDF. Compl.); 1559 sycophante (AMYOT, Solon, 48 ds LITTRÉ); 2. 1528 « calomniateur, fourbe, hypocrite » ces cycophantes et gens sans honneur (25 mars, Pap. de Granv., I, 457 ds GDF. Compl.); 3. 1836 entomol. (RAYMOND); cf. 1863 le « calosome sycophante » (REIDER, Mlle Vallantin, p. 164). Empr. au lat. d'époque impériale sycophanta, du gr. « dénonciateur de ceux qui exportent des figues par contrebande ou de ceux qui volent les figues des figuiers consacrés » ( « la figue »), d'où « délateur, calomniateur ». Fréq. abs. littér.: 16.
Pour te remercier d’avoir élargi mon vocabulaire voilà un petit cadeau…
http://www.youtube.com/watch?v=_-2TNXqEP-Y
J’ai déjà parlé des Doors aussi chez moi:
http://corpsetame.over-blog.com/article-5351512-6.html
Pour en revenir à la figue et terminer sur une note sucrée, mon dictionnaire des symboles (Jean Chevalier et Alain Gheerbrant – Edt Robert Laffont) n’a pas d’entrée au mot figue mais j’ai trouvé un paragraphe concernant son fruit au mot figuier….
« En Grèce, dans certains cultes agraires primitifs, les sycophantes étaient chargés de « révéler la figue » (suké). Sans doute l’expression cache-t-elle symboliquement un rite d’initiation aux mystères de la fécondité. Plus tard, lorsque l’exportation des figues fut interdite hors de l’Attique, on appela sycophantes (révélateurs de la figue) par dérision les dénonciateurs des contrebandiers ; le mot vient à désigner les délateurs et les maîtres chanteurs.
En Afrique du Nord, la figue est le symbole de la fécondité venue des morts. Son nom est devenu à ce point synonyme de testicules qu’il ne s’emploie pas dans conversation courante et s’est trouvé remplacé par le nom de leur saison, le KHRIF, l’automne. A ce niveau de comparaison, on ne dépasse guère l’allégorie et l’analogie.
Jean Servier atteint l’interprétation symbolique en ajoutant : Pleine de graines innombrables, elles sont un symbole de fécondité et sont, à ce titre, l’offrande déposée sur les rochers, les thermes et les sanctuaires des génies gardiens et des Invisibles : offrande que peut partager le voyageur dans le besoin, parce qu’elle est le don de l’Invisible (in Les Portes de l’année- 1962)
Belle soirée,
Je t’embrasse.
Arthémisia
Rédigé par : Arthémisia | 20/07/2008 à 21:42
Georges Brassens emploie le mot "sycophante" dans sa chanson "Les quatre bacheliers".
Ci-dessous, tu trouveras la version chantée :
http://www.wat.tv/audio/quatre-bacheliers-mku7_m8pp_.html
Et comme je soupçonne en toi une amoureuse des mots, voici une belle analyse du texte :
http://www.analysebrassens.com/?page=texte&id=98&%23
Belle journée à toi,
Je t'embrasse.
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Arthémisia | 23/07/2008 à 09:08