Il est un endroit où je goûte le plaisir de m'oublier, la joie profonde de sortir de mes petits tracas et de faire la nique à un égo qui, il faut bien le reconnaître, se prend très au sérieux et a une tendance certaine à l'hypertrophie. Cet endroit c'est le cirque. Devant un spectacle d'acrobates, de trapezistes ou de clowns, je redeviens enfant. Sans résistance, je me laisse subjuguer par ces défis insensés lancés respectivement à l'équilibre, à l'apesanteur ou au raisonnable. Il n'y a qu'au cirque que j'éprouve ce sentiment de fierté sans mélange d'appartenance à la communauté des humains ; il n'y a que sous ce chapiteau-là que je sens pleinement le sens du mot gratuité, que je me livre pleinement à l'émerveillement.
La semaine dernière, il m'a été donné de vivre un de ces moments de magie absolue. Je suis allé voir avec femme et enfants le spectacle "Imagine-toi" du clown, mime et bruiteur Julien Cottereau.
Julien Cottereau a fait ses armes dans la troupe du Cirque du soleil avant de se lancer dans une carrière en solo. Quant au spectacle, il s'agit de l'histoire mimée d'un p'tit bonhomme tout dépenaillé harcelé par une grosse bête féroce. L'animal n'est pas visible, mais à entendre ses grognements lorsqu'il est troublé dans son sommeil, on n'a vraiment pas envie qu'il se réveille. Pour se défaire de cette présence obsédante, notre héros s'invente des distractions : il saute à la corde, fait des bulles avec un chewing gum, jongle avec une balle imaginaire, danse aussi parfois. Il va même jusqu'à faire monter des spectacteurs sur la scène pour jouer avec lui. Il noue des amitiés. Il tombe amoureux, aussi. Et grâce à toute cette tendresse accumulée, avec tous les éclats de rire qu'il aura suscités chez les petits comme chez les grands, il se sentira de taille à affronter le monstre qui le hante et qui tient la femme qu'il aime - une femme choisie dans l'assistance - prisonnière.
Voilà. Pendant plus d'une heure, j'ai tout oublié. Je me suis livré corps et âme aux facéties du clown, j'ai jubilé du plaisir d'imaginer l'intrigue sans l'artifice de la parole. Et quand Julien Cottereau a quitté la scène en bruitant un show de claquettes façon Broadway, je regrettais d'avoir à revenir à la vie normale. En descendant les gradins, à en juger par les sourires sur les visages, je constatai que je n'étais pas le seul à avoir succombé à la magie. Et les plus vieux, n'étaient pas les moins "illuminés".
Alors, si le dénommé Julien Cottereau se donne dans votre voisinage et que vous aimez le cirque, allez-y toute affaire cessante. Je vous fiche mon billet que vous tomberez sous son charme.
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Compléments :
(1) La photo du chapiteau du Cirque du soleil est tirée de la superbe collection de Gaëna intitulée " Petits lieux et paysages Quatre ". (C) 2006-2008, Gaëna. Tous droits réservés.
(2) Si vous souhaitez avoir un avant-goût du spectacle de Julien Cottereau, vous pouvez visualiser quelque vidéos en faisant un tour ici. Une petite mise en garde cependant, un caveat de rien du tout : je trouve que l'image aplanit salement. La magie du spectacle repose sur la participation du public - que ce soit par les rires, les applaudissements, mais aussi la montée sur scène de personnes triées sur le volet. Il me semble que l'image - même animée - ne rend pas vraiment compte de ce courant, de cette communion étrange entre l'artiste et les spectateurs ; c'est un peu comme si, mauvaise fille, elle faisait écran plus qu'elle ne révélait.
C'est toujours émouvant un clown, quel que soit l'âge que l'on ait !
Rédigé par : Nana | 01/02/2008 à 21:52
Merci pour votre commentaire, Nana.
C'est vrai qu'un clown, c'est toujours émouvant. Même les plus lamentables. Vous savez, quand vient l'été, nombre de troupes de cirques font la tournée des plages. Le pire y côtoie souvent le meilleur.
Il y a quelques années, porté par les enfants, je me souviens avoir assisté à un spectacle de cirque près d'Hyères. Ce fut pathétique. Les artistes étaient vieux. Ils étaient lourds : la moindre roulade, le moindre déplacement leur coûtait. Les animaux aussi étaient fatigués. Il fallait trois coups de fouet au moins avant que le chameau ne daigne se dresser sur ses pattes. Les autres animaux de la ménagerie étaient dans un état tout aussi pitoyable. Et le clown... Pendant les dix minutes de son show, il n'y eut pas le moindre éclat de rire. Ce fut le spectacle le plus triste auquel il m'ait été donné d'assister.
Pourtant, avant de quitter les gradins, tout couvert des cloques provoquées par des moustiques rendus nerveux par la puanteur des fauves et la concentration hors du commun de merde animale, je me souviens avoir applaudi la troupe à tout rompre.
C'était pathétique, certes, mais si humain. Pour pasticher le joli dicton népalais que vous avez mis en exergue sur votre site : "Ils étaient humbles parce que leurs corps étaient lourds de leur condition d'êtres de glaise, mais ils étaient nobles aussi, car ils avaient voulu nous montrer les étoiles".
Rédigé par : Jean-Marc à Nana | 02/02/2008 à 09:44
Très bon blog que je découvre avec plaisir !!!
Rédigé par : VA33 | 02/02/2008 à 16:21
Bonjour VA33,
Merci pour votre commentaire. Je suis flatté.
Je vous laisse goûter pleinement aux charmes de la découverte.
Dans l'attente du plaisir de vous lire.
Bien à vous.
Rédigé par : Jean-Marc à VA33 | 03/02/2008 à 09:06
Je n'ai jamais aimé les clowns, petite, je les trouvais pitoyables et tristes à pleurer.
Merci à vous d'avoir parlé de celui-ci, s'il se produit dans ma province pas si lointaine, j'y emmènerai mon petit monde !
Rédigé par : Valérie | 03/02/2008 à 13:59
Bien que pour moi l’un des plus grands Clowns du monde, Charlie Chaplin, ait brisé le cercle magique pour exprimer son art sur la toile des cinémas, survolant les modes, quoique bien dénonciateur de tragédies historiques mais aussi de drames éternels, j’ai toujours pensé comme toi, cher Jean-Marc, que cet espace dont la forme appelle une communication privilégiée entre les protagonistes et les spectateurs : « le Cirque » est un lieu privilégié et que le Clown incarne l’âme du spectacle, ô combien difficile entre rire et émotion, avec le risque du ratage ou du sublime ! Rien de plus éblouissant que de réussir à gagner ce pari,surtout dans le souffle du « direct ». Visiblement Julien Cottereau possède ce trait de génie.
En ces temps difficiles, c’est probablement le Clown qui tient les clés de notre résistance aux tempêtes, qui à sa façon nous permet sans doute de déchiffrer le monde ou de s’en évader mais au moins d’essayer d’y comprendre quelque chose au risque, comme lui de se casser la figure ou au dernier moment de rattrapper la balle d’un geste miraculeux.
Bien à toi. Ghislaine
Rédigé par : Ghislaine | 04/02/2008 à 20:19
Julien Cottereau est tout sauf un clown triste. Il inspire la joie. Et même si aucune parole sort de sa bouche, il sait créer une vraie communion avec le public. Dites-moi comment Petite Fille aura réagi. Mon petit doigt me dit qu'elle devrait aimer.
Rédigé par : Jean-Marc à Valérie | 05/02/2008 à 23:26
En lisant ton commentaire, je me suis soudain rappelé un passage que j'ai adoré dans "La promesse de l'aube". Romain Gary y décrit comment - pour combler le désir de sa mère de le voir briller plus tard - il apprend à jongler avec des ballons, des assiettes, des balais, bref tout ce qui lui tombe sous la main. Son ambition est claire : égaler, voire dépasser en virtuosité le grand Enrico Rastelli. Mais voilà : "Il m'arrivait à cette époque de jongler sept, huit heures par jour. Je sentais confusément que l'enjeu était important, capital même, que je jouais là toute ma vie, tout mon rêve, toute ma nature profonde, que c'était bien de toute la perfection possible ou impossible qu'il s'agissait. Mais j'avais beau faire, la septième balle se dérobait toujours à mes efforts. Le chef d'oeuvre demeurait inaccessible, éternellement latent, éternellement pressenti, mais toujours hors de portée. La maîtrise se refusait toujours. Je tendais toute ma volonté, je faisais appel à toute mon agilité, à toute ma rapidité, les balles, lancées en l'air, se succédaient avec précision, mais la septième balle à peine lancée, tout l'édifice s'écroulait et je restais là, consterné, incapable de me résigner, incapable de renoncer. Je recommençais. Mais la dernière balle est restée à jamais hors d'atteinte.Jamais, jamais ma main n'est parvenue à la saisir. J'ai essayé toute ma vie. Ce fut seulement aux abords de ma quarantième année, après avoir longuement erré parmi les chefs-d'oeuvre, que peu à peu la vérité se fit en moi, et que je compris que la dernière balle n'existait pas."
Gary - en pessimiste - ne voyait pas d'issue. Toi Ghislaine, au contraire, tu as vu à la toute fin le "geste miraculeux" par lequel le clown aura rattrapé la dernière balle.
La vie peut reprendre ses droits.
Rédigé par : Jean-Marc à Ghislaine | 05/02/2008 à 23:56