Dans son journal, l'écrivain et dramaturge Mihail Sebastian décrit l'art de survivre dans une Roumanie de l'entre-deux-guerres succombant aux sirènes de la droite et de l'antisémitisme les plus abjects. Alors que son quotidien s'assombrit au rythme des avanies et de la compromission de ses anciens amis de l'intelligentsia, Mihail Sebastian cède parfois au désespoir. Mais en parallèle, il déploie aussi une aptitude extraordinaire au bonheur. Il écrit, il reçoit, il aime. Il vit en somme. Parmi les petits événements qui lui redonnent du baume au coeur, il raconte une conversation en 1939 avec la princesse Elisabeth Bibesco. Au détour de leur échange, une répartie improbable de la grande dame. "J'aime les Juifs", dit-elle. "Je les aime passionnément. Ce n'est pas parce qu'ils sont malheureux. Non. Je les aime parce qu'ils éloignent l'horizon."
Immanence.
Il y a une dizaine de jours, alors que je me baladais dans les rues de Venise, je me rappelai que c'est là, dans cette cité aux mille reflets que fut inventé le ghetto. Dès le début - nous sommes en 1516, quelques années après le décret d'expulsion des Juifs d'Espagne - tous les composants de l'horreur à venir sont réunis : la stigmatisation par le port d'un signe distinctif, les restrictions économiques sous la forme d'autorisation / interdiction à exercer tel ou tel métier, les mesures vexatoires. C'est jusqu'à l'étymologie du mot - ghetto signifie fonderie en vénitien - qui n'est pas sans évoquer les métaux durs. Et puis il y a aussi bien sûr la ségrégation spatiale : à la nuit tombée, les Juifs du ghetto doivent rentrer dans un espace clos, réduit, fermé sur lui-même. Avec la réclusion forcée, c'est l'horizon qui se rapproche.
Je me suis rendu au ghetto vénitien entre chien et loup. L'endroit est à l'écart des grands chemins suivis par les touristes, dans un quartier populaire appelé Cannaregio. Il est banal et rien ne le distingue du reste de la ville. Ca et là, pourtant, une enseigne assortie d'une étoile de David ou des caractères hébraïques sur une vitrine rappellent qu'on est bien au ghetto.
Après avoir déambulé dans un dédale de venelles obscures, j'arrive enfin au coeur du " ghet[t]o vec[c]hio " ,le vieux ghetto. C'est une jolie placette aux contours irréguliers. Des immeubles de quatre étages enserrent le regard dans l'espace clos. Pourtant, au centre de ce décor sans ligne de fuite, il y a un grand arbre nu - un marronnier ? Les ramilles de sa couronne pointent vers le ciel.
Transcendance.
Heureusement qu'il y a un grand arbre en chacun de nous, quelle que soit la saison de sa vie... Je savais bien pourquoi je voulais devenir un arbre.
Rédigé par : Massilimanga | 18/03/2008 à 04:13
Quelle belle découverte que ce billet !
Je découvre à l'instant votre blog, je suis en retard au travail , mais je repasserai vous lire, je sens que je ne serai pas deçue... :)
à très vite,
Rédigé par : ecaterina | 08/10/2008 à 08:50
Soyez la bienvenue dans mon univers, ecaterina. Au plaisir de vous lire prochainement.
Rédigé par : Jean-Marc à ecaterina | 08/10/2008 à 18:50