Quand, il y a plus de 20 ans, j'ai commencé à travailler comme salarié dans une grande entreprise d'informatique, il n'y avait pas 36 façons d'organiser l'espace de travail. Tout était structuré autour d'un espace clos, plus ou moins privatif, appelé "bureau". Les années se sont succédé. J'ai vu les cloisons disparaître progressivement : le bureau s'est dissous, tiraillé entre deux tensions contradictoires mais tout aussi dévastatrices venues des Etats-Unis. D'un côté, on a assisté au déploiement des espaces de travail ouverts, appelés "open spaces". Mais au même moment, on voyait se développer le concept de la cage à poule appliqué au lieu de travail, le fameux cubicle (prononcer CU-BI-KEUL) popularisé par l'inénarrable Dilbert de Scott Adams. Dans tous les cas de figure, que nous occupions un bureau traditionnel, un open space ou un cubicle, nous restions en présence d'espaces de travail spécialisés, c'est-à-dire dont l'usage est prévisible & codifié.
La semaine dernière, j'animai un atelier de formation au processus de vente pour le compte d'une société spécialisée dans l'édition de logiciels de réseaux sociaux d'entreprise. L'atelier s'est tenu du lundi au mercredi inclus dans un lieu qui m'était inconnu jusque là : la Cantine de Silicon Sentier. Avec un nom pareil, je m'attendais bien à ce que ce soit un espace high-tech & multi-fonctions pour geeks travaillant dans des start-ups Web 2.0. Ce que je découvris dépassa mes espérances. L'espace était bien multi-fonctions, mais à un degré que je ne soupçonnais pas. Jugez vous-même. En trois jours, dans un espace d'un seul tenant et sans cloison, parmi les activités qui se sont déroulées à La Cantine, j'ai dénombré :
- la fête de lancement d'une start-up dont j'ai déjà oublié le nom (argh, mémoire ennemie...) ;
- une réunion de sociologues devisant sur l'impact des réseaux sociaux dans la gestion de notre identité ;
- le séminaire de lancement d'une société de vente en ligne - les roseaux sauvages - restreignant son domaine d'intervention et réservant son savoir-faire aux seules sociétés oeuvrant dans le commerce équitable ;
- une autre formation que la mienne portant sur l'utilisation d'un logiciel libre de reporting & de décisionnel : JasperSoft
- des petits groupes de 2 à 4 personnes se réunissant de façon ad-hoc et profitant de la richesse des équipements (internet sans fil, dispositifs de projection) pour travailler ensemble. Après enquête, j'appris que cette pratique portait un nom bien de chez nous : le coworking ;
- des discussions détendues & sympathiques au bar avec Marie-Noëline, Marie ou Nathanaël, les animateurs de ce lieu hors du commun.
C'est justement durant l'une de ces discussions-détente que je me fis expliquer l'une des originalités du lieu : l'organisation de barcamps. Un barcamp, c'est un ensemble de gens qui se regroupent autour d'un centre d'intérêt commun et qui partagent du savoir, des expériences et du fun, à travers des ateliers tenus de façon ad-hoc. Cette démarche s'affirme en opposition aux conférences traditionnelles où un détenteur de savoir bavard instruit une audience silencieuse. Elle entend favoriser l'émergence de connexions inattendues, nées de la rencontre inopinée de talents. Bienvenue à la sérendipité !
Est-ce le signe de mon vieillissement ? Il se trouve que plus ça va, plus j'apprécie & j'admire les jeunes d'aujourd'hui. Quand je pense qu'il y a peine 10 ans, alors que je travaillais dans une entreprise de haute technologie, on me demanda d'organiser un "bootcamp", c'est-à-dire de formaliser le parcours d'intégration des nouveaux embauchés... Le terme était hérité de l'argot militaire US puisqu'il désignait la période d'instruction initiale réservée aux bleus, aux bizuts. C'est dire !
Ces trois jours passés à la Cantine de Silicon Sentier furent pour moi un véritable moment de fraîcheur. Ce fut aussi le rappel, en tout point réjouissant, de notre capacité collective intarissable à inventer les nouvelles formes de notre manière d'être au monde. Désormais, les technologies nous affranchissent de plus en plus de la nécessité d'être attaché à un lieu. Notre adresse n'est plus de pierre et de béton ; elle est faite de bits & bytes et l'arobase a remplacé la désignation de la rue. Comme nous n'avons plus de port d'attache, nous avons besoin d'oasis d'un nouveau genre. Dans ces caravansérails du nomadisme moderne, les bootcamps rappelant la vision militaire de notre organisation sociale des XIXè et XXè siècles, cédent la place devant des formes nouvelles de stimulation de l'intelligence collective dont les barcamps ne sont que l'une des manifestations.
La Cantine préfigure avec génie ces espaces de demain où travail, échanges d'expéreiences, partage de savoirs et activités ludiques se combinent avec harmonie.
--
A voir : la vidéo de présentation de La Cantine, réalisée lors de son inauguration cet hiver en présence de MM. Huchon et Delanoë.
Emulation et convivialité, ça m'a l'air très intéressant ! J'adore la vieille radio récupérée dans la poubelle pour nous montrer l'état d'activité des ondes dans les lieux où l'on vit !
Rédigé par : Sylvie | 03/05/2008 à 15:23
Mais à quelle radio déglinguée faites-vous allusion, Sylvie ?
Rédigé par : Jean-Marc à Sylvie | 03/05/2008 à 20:57