Hier, je profitai de la langueur estivale qui s'est gentiment abattue depuis quelques jours sur Paris pour me rendre à Beaubourg et visiter l'exposition "Traces du Sacré". J'ai adoré l'exposition. Je l'ai trouvée superbe grâce au choix des oeuvres, intelligente dans le tracé du chemin proposé et la qualité des notices explicatives, délicieusement polyphonique enfin par le jeu subtil des correspondances entre oeuvres picturales, sculpturales, sonores et cinématographiques. J'y reviendrai sans doute bientôt sur cette tribune.
Pourtant, c'est de la première image dont je voudrais vous parler. Rappelez-vous : il y a une semaine, jour pour jour, je quittais l'exposition "Goya Graveur" au Petit Palais. Je m'en faisais l'écho sur ce blog. Et là, à peine franchi le seuil de l'exposition, après avoir subi, incrédule, la voix d'une horloge parlante débitant le temps qui s'écoule d'un ton monocorde, je tombe sur une gravure de Goya, justement. Et pas la moins troublante, puisqu'il s'agit de "Nada. Ello dirá" extraite de la collection des Désastres de la Guerre.
L'estampe dépeint un cadavre en décomposition s'extrayant péniblement de son caveau et traînant derrière lui une pancarte où est inscrit le mot nada, rien. Dans l'assistance de silhouettes incertaines, on distingue avec difficulté une balance en déséquilibre : le combat entre le bien et le mal, sans doute. Mais cette gravure, ici, est avant tout un prélude. Et quel jeu ! Celui où l'homme se retrouve seul, sans Dieu. Dans la même salle, que j'appellerais volontiers un pré-ambule, tant elle est séparée du reste du parcours de l'exposition tout en offrant des clefs d'interprétation à profusion, vous trouverez des tableaux d'églises en ruine et surtout, en surplomb avant de pénétrer dans un tunnel sombre et un rien inquiétant, le tableau de Nietzsche réalisé par Edvard Munch.
Dans le lointain, vous entendez les saccades du rire de Zarathoustra. Le ton est donné. La pitolade métaphysique peut commencer...
Mais je m'égare déjà. Revenons à ce cher Goya et à son estampe. Nada. Ello dirá est traduit en français par Rien. On verra bien. Pas sûr que ce soit un bon présage. Et dans l'expo, du reste, vous pouvez être assuré(e) qu'on en voit des vertes et des pas mûres. Pourtant, dans ce "on verra bien", Goya laisse encore une place à l'espérance. Le doute est bien là, lourdement ancré dans la terre du caveau, mais il ne cède pas encore toute la place au désespoir.
C'est pourtant l'effet d'un retour en arrière.
En effet, à l'origine, Goya avait intitulé l'estampe 69 des Désastres de la guerre : Nada. Ello lo dice. Comprendre : Rien. C'est ce qu'il dit ou c'est lui qui le dit. Là le message est sans appel. L'absence de Dieu est enterinée dans ce constat de désolation. Nulle rémission, nulle compassion ne sont possibles. Notre destin est entièrement entre nos mains. Goya annonçait donc le crime gratuit de Raskolnikov et le tout est permis de Dmitri (Mitia) Karamazov, avec près de 100 ans d'avance...
Le véritable patronyme de Goya est Goya y Lucientes. Or Lucientes, en espagnol, ça veut dire lumineux, brillant en français. Comme quoi on peut être brillant et sombre à la fois sans qu'il y ait la moindre contradiction dans les termes.
Magnifique ! Très bel article ! De très bons liens aussi. Je suis revenue avec Nietzsche :
« J’habite ma propre maison, je n’ai jamais
imité personne en rien et je me ris de tout
maître qui n’a su rire de soi-même.
Inscription au-dessus de ma
porte.»
Rédigé par : Traces | 08/05/2008 à 22:05
Merci pour être revenue et avoir laissé une trace de votre passage. Je vois que vous êtes venue accompagnée cette fois et pas de n'importe qui : le grand Nietzsche, contempteur de Dieu jusque dans la folie... Revenez tant qu'il vous plaira. Seule ou accompagnée. Je vous accueillerai toujours avec plaisir !
Rédigé par : Jean-Marc à Traces | 11/05/2008 à 16:15
C'est en passant par chez vous que j'ai rencontré le grand Nietzsche. Je ne résiste pas au rire de Zarathoustra. Et vous m'nvitez quand à dîner ? Nan... j'rigole.
Rédigé par : Traces | 11/05/2008 à 19:51
Merci pour les liens très intéressants.
Le rire, est aussi trace du sacré. Les mystiques orientaux aimaient rire de tout (même du divin) comme le montrent de nombreux contes soufis ou certains contes zen. Le rire, étape sur le chemin qui mène vers la transcendence.
Rédigé par : Kalima | 13/05/2008 à 13:21