Dans le désert du Neguev, au sommet d'une dune battue par les vents et éreintée par la sécheresse, il y a un enfant qui parle à une rose de Jéricho. La fleur est rabougrie et tend vers l'enfant ses doigts de sorcière desséchés comme une mamelle de femme prématurément vieillie à force d'avoir donné la vie et trop offert le sein. L'enfant sonde la rose et lui demande : " S'il était en mon pouvoir de faire crever le ciel, de l'égoutter, de l'essorer pour que l'eau vienne se déverser sur toi, que ferais-tu de ce présent ?" La fleur répondit : " Je me ferais plus haute et plus grande pour être vue de plus loin ; je deviendrais ainsi un repère pour les voyageurs égarés. " Cette réponse ne plut pas à l’enfant. Il s'en alla.
Le lendemain, l'enfant revint au même endroit, retrouva la rose de Jéricho, se pencha vers elle délicatement et lui posa la même question. Cette fois, la fleur répondit : "Je ferai éclore une fleur brillante et colorée, si éclatante qu'elle serait visible aussi la nuit. Ainsi, je pourrai guider les méharées qui traversent la région quand, à la nuit tombée, la température devient supportable aux hommes". L'enfant grimaça de dépit et s'en alla à nouveau.
Quelques jours s'écoulèrent. La rose se ratatinait de tristesse de ne pas avoir eu l'heur de plaire à l'enfant. Elle se demandait si elle aurait à nouveau l'occasion de le revoir. Après tout, dans le désert, les opportunités de rencontrer des gens sont rares. Et puis, quand on est une fleur, il est inhabituel qu'un humain - même de petite taille - s'intéresse à soi.
Pourtant, quand l'enfant revint finalement, la fleur ne voulut pas montrer combien il lui avait manqué. Elle affecta la plus souveraine indifférence. L'enfant, obstiné, lui reposa même question. Mais cette fois, la rose de Jéricho feignit l'exaspération et lui répondit : "Tu m'énerves avec cette question idiote. Tu n'es qu'un gamin sans jugeote... Et quand bien même tu serais un homme formé... Personne ne sait faire tomber la pluie dans ce maudit pays où seuls pullulent les scorpions et les faibles d'esprit. Pourtant, je voudrais te faire une confidence. Si, par le plus grand des hasards, de l'eau venait à s'écouler en abondance sur ma tige, je m'abandonnerais au plaisir d'être baignée, j'exhalerais un parfum capiteux pour moi toute seule, je jouirais de me sentir belle et désirable. Et tant pis s'il n'y a personne pour en profiter. Je saurai me suffire à moi-même."
La réponse plut à l'enfant. Il détacha la gourde de sa ceinture et en déversa le contenu sur la rose de Jéricho. L'espace d'un instant, l'eau épousa les formes de la fleur. Puis, l'enfant rappela à la fleur son engagement. Cette dernière dégagea alors un parfum merveilleux, une fragrance inédite. Et son bonheur était si manifeste, que le vent venait parfois voler un peu de son odeur délicieuse et la conduire aux narines des voyageurs.
C'est ainsi qu'à cause d'un petit enfant curieux et des facéties du vent, la dune fut baptisée d'un nom arabe signifiant "le nard du sable". Désormais, lorsque les voyageurs s'approchent de la dune, leurs narines se dilatent, ils ferment les yeux et ils se délectent d'un parfum étrange leur évoquant le corps nu des femmes et la douceur d'une étreinte. Un sourire rêveur se dessine alors sur leurs lèvres.
Plus tard, quand ils se reposeront à la nuit tombée dans les caravansérails des cités marchandes, ils raconteront à qui veut bien les écouter, l'histoire de ce petit enfant du désert qui connaissait si bien la valeur d'un cadeau et le moment de le donner.
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