Lundi matin. Reprise du travail après trois semaines de vacances sur les rives de la Méditerranée. Trois semaines à gambader entre les cistes, les arbousiers, les pins laricio en Corse ou leurs homologues d'Alep près des Baux. Trois semaines à m'énivrer des fragrances de l'immortelle, à étancher ma soif et mon désir d'amertume en cueillant des mûres, très précoces cette année. Et puis bien sûr, il y a ces deux inséparables du paysage méridional : le cyprès et l'olivier.
Alors que je roule vers l'aéroport, le moral en berne à la perspective de devoir affronter la pluie irlandaise, j'allume la radio. Je tombe sur la rediffusion d'une conférence de Jean-Pierre Vernant sur Ulysse au Collège de France. L'anthropologue raconte le retour du héros à Ithaque. Il relate le sort qu'Athéna jette sur Ulysse. Elle travestit ses traits et le transforme en mendiant, vêtu de haillons. Ainsi accoutré, il est méconnaissable à tous, y compris à son fils et à sa femme Pénélope. Après le massacre des prétendants, Ulysse révèle son identité à Pénélope. Mais sa femme reste incrédule.
Le voile sera levé pourtant. Pas par Ulysse, tout désemparé, soudain dépourvu de sa ruse légendaire. Par Pénélope. C'est elle qui dénouera l'embarras en évoquant avec malice un secret connu des seuls époux. En demandant de placer hors les murs le lit conjugal, Pénélope feint d'ignorer que ce lit est inamovible. Ulysse - car c'est lui qui a fabriqué le lit - a bâti la couche nuptiale sur un pied d'olivier plongeant profondément ses racines dans la terre d'Ithaque.
Ainsi, quand il entend Pénélope demander avec légèreté de déplacer le lit, Ulysse panique. Il s'émeut, bafouille certainement. Pénélope retrouve son époux dans son trouble. L'alliance d'amour peut être scellée à nouveau dans cette reconnaissance. Cette dernière tisse sa toile sur les nouures de l'arbre séculaire, de l'olivier. Les 20 années d'errance sont abolies. La guerre de Troie n'a pas eu lieu. Et pour bien marquer cet effacement de la durée, Athéna fera durer la nuit des retrouvailles en retardant l'arrivée de l'aube.
Autour de l'olivier, l'ancrage à la terre, l'abolition de la durée et l'amour recommencé.
Ouhahou ! Super texte trop cool et photo qui va bien avec ! Je suis toute admirative. j'ai toujours adoré (oui a-do-ré) Ulysse, la mer et les oliviers, les textes classiques qui me font rêver de colline odorante où l'on se rassasie de pain, d'oignons, de fromage et d'olives...sans compter que, même en bonne Bretonne, j'aime profondément la mer Méditerranée. Un bon coup de nostalgie m'est tombé dessus, tiens !
Rédigé par : Larkéo | 20/08/2008 à 14:39
Merci Larkéo pour votre passage par ici. Puisque vous semblez apprécier les bords de la Méditerranée, je vous offre ces quelques phrases de savoir-jouir local à déguster :
"L'oncle Saltiel s'était réveillé de bonne heure. [...] Sur le toit, devant la fenêtre, était son déjeuner. Trois assiettes. Une olive, un oignon, un petit cube de fromage. Il prit délicatement l'olive avec une croûte de vieux pain [...] puis arrosa de quelques gouttes d'huile le fromage dont il savoura [...] en approuvant, les yeux fermés, l'excellence de l'arôme."
(in "Saltiel" d'Albert Cohen, Gallimard, Paris, 1930)
Rédigé par : Jean-Marc à Larkéo | 22/08/2008 à 11:02
Magnifique photo qui illustre parfaitement bien notre région du sud, La Provence !!!
Bonne reprise quand même...
Rédigé par : Virginie B | 22/08/2008 à 15:34
Comme d'habitude votre texte est un enchantement !
Il m'inspire deux réflexions - l'une intime, l'évocation de Jean-Pierre Vernant, dont je lisais à mon petit (qui rentre en terminale !) "la mythologie racontée à mon petit-fils" et l'autre davantage ancrée dans mon actualité (1 année - l'étude d'1 auteur) étant plongée dans la lecture d'un ouvrage de l'édifiante philosophe (trop méconnue à mon sens) Annie Leclerc "Toi, Pénélope" où elle s'intéresse au-delà de son profil, de ses tendres bras découverts, de ses mains appliquées à l'ouvrage, au destin d'une femme...
Extrait de la quatrième page de couverture :" On ne disait jamais rien de Pénélope sinon qu'elle était fidèle. Ce qui ne disait rien. "Fidèle" ne suffisait à caractériser quiconque, "être fidèle" ne pouvait remplir vingt ans de vie, ne remplissait même rien du tout, n'existait pour ainsi dire pas, n'était pas une vie. On ne pouvait aimer une femme, la regretter pendant vingt ans simplement parce qu'elle était "fidèle". Il fallait bien qu'il y eût autre chose. Mais quoi ?"
Cher Jean-Marc, je vous invite à cette lecture -
Cordialement
Rédigé par : Helene Wolff-Eugene | 22/08/2008 à 19:03
Merci beaucoup Virginie pour votre message d'encouragement.
Côté photo, je n'ai pas grand mérite. Je me suis contenté de "piquer" un cliché libre de droits trouvé sur flickr et correspondant au mot-clé "olive tree" : http://www.flickr.com/photos/antoniodellelce/2046865975/
Je n'avais du reste que l'embarras du choix entre un ensemble de photos, toutes plus belles les unes que les autres.
Bien à vous
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Virginie B. | 22/08/2008 à 20:25
Merci beaucoup pour votre commentaire Hélène.
J'imagine qu'avec votre beau prénom, il eût été difficile de ne pas marquer d'intérêt pour cette guerre faite en votre nom et tous ces héros qui ont combattu pour vous. Achille, bien sûr, le demi-dieu au pied tendre et à la vie si brève. Pâris, le parangon de la beauté, Hector, le droit, Ulysse, l'explorateur des passions humaines et des contrées incertaines, etc.
Et Pénélope, bien sûr. Celle qui reste immobile quand tout autour d'elle s'agite.
Comme votre critique de "Toi, Pénélope" d'Annie Leclerc m'a bien tenté, je l'ai commandé toutes affaires cessantes. Je ne manquerai pas de vous faire un retour une fois que je l'aurai lu.
Avec mes plus amicales pensées.
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Hélène Wolff-Eugene | 22/08/2008 à 20:34
Bonne reprise, Jean-Marc. Lors d'un de vos prochains voyages en Corse, n'hésitez pas à m'écrire. Si vous venez hors-saison, je peux même vous recevoir... Je fais moi-même ma "rentrée" sur Terres de femmes par une note de lecture sur Johnny de Catherine Soullard. Qui sort demain en librairie. RamJam Nostalgia. Enigme de l'éternel retour...
Amicizia,
Angèle
Rédigé par : Angèle | 24/08/2008 à 18:35
Ah là là, cette Pénélope, je n'ai jamais su quoi en penser. Effectivement, à part sa fidélité aveugle, on ne sait pas grand chose d'elle. La douce épouse bafouée qui défait son ouvrage chaque nuit pour le cas hypothétique où son époux se souviendrait qu'il a une femme et quitterait les bras de sa nymphe. Et qui reprend son mari sans un haussement de sourcil quand il revient. A mille lieues de la volcanique Héra, pourtant légitimement jalouse, dépeinte comme une furie vengeresse. Entre ces deux modèles, il faut reconnaître que la mythologie n'est pas tendre avec les femmes trompées.
Cela me fait penser à ces gisants médiévaux qui placent un chien aux pieds des femmes, en symbole de leur nécessaire fidélité.
Ceci mis à part, comme toujours, votre texte est un délice. C'est un plaisir de vous retrouver ; vous lire m'avait manqué.
Rédigé par : Elseneur | 25/08/2008 à 09:42
Je suis très touché par votre invitation, Angèle. Vous êtes adorable.
La Corse est une terre délicieuse. Au cours de mes randonnées, j'y ai découvert l'étonnante histoire du conflit opposant le seigneur Marovello de Speloncato et le compte de San Colombano. Au centre de leur différend, la "biscia",un animal mythique mi-serpent, mi-dragon et avide de chair humaine. Le conteur, Stéphane Giusti d'Algajola, nous disait que c'est cette bête qui a ôté toute vie à cette parcelle de terre appelée aujourd'hui "désert des Agriates".
Après quelques recherches, je me suis vite rendu compte que ce récit avait autant de versions qu'il n'y avait de bouches pour le colporter.
En avez-vous entendu parler ? A quelle version donnez-vous foi, Angèle ?
Amicizia
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Angèle | 25/08/2008 à 20:42
Votre commentaire me va droit au coeur. Croyez bien que le plaisir auquel vous faites référence n'a d'égal que celui de vous retrouver entre ces lignes, Elseneur.
Quant à Pénélope, je reste circonspect. J'attends avec impatience de lire l'ouvrage d'Annie Leclerc recommandé par Hélène.
Je soupçonne qu'il se cache quelque chose de spécial derrière cette fidélité infaillible. Je suis par nature incrédule devant ce qui se présente à moi toue d'une pièce. Je suis plus à l'aise avec un tissu de contradictions qu'avec une toile unie. Même un camaïeu ferait l'affaire.
Alors, puisque le personnage de Pénélope vous intrigue, si vous le souhaitez, j'aurai plaisir à partager avec vous ce que j'aurai découvert chemin faisant.
Bien à vous, princesse des brumes danoises. A quand, votre envol vers celles du Saint-Laurent ?
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Elseneur | 25/08/2008 à 20:52
Le Saint-Laurent se profile à l'horizon, lentement mais sûrement. Tout ce qui a de la valeur se mérite, alors encore quelques semaines avant de commencer une nouvelle vie.
En attendant c'est avec plaisir que je recueillerais vos réflexions sur la véritable nature de Pénélope, en espérant que vous découvrirez effectivement en elle de quoi complexifier un peu le personnage.
Amicalement.
Rédigé par : Elseneur | 26/08/2008 à 22:39
Quel texte magnifique !!!!
Rédigé par : Elsonia | 27/08/2008 à 07:08
Elseneur,
Plus je m'intéresse à Pénélope, plus je crois qu'elle est une grande experte dans l'art et la manière de préserver la vie de ceux qu'elle aime. Quant à sa légendaire fidélité, quelque chose me dit qu'il s'agit d'une fable. Je pense bien écrite un billet sur ce thème très prochainement.
Bien à vous
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Elseneur | 31/08/2008 à 18:09
Merci pour votre passage et le commentaire que vous avez déposé.
Au plaisir de vous lire,
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Elsonia | 31/08/2008 à 18:10