Depuis quelques temps, je ne sais pas pourquoi, je me lève tôt. Alors, dans l'attente du lever du jour, dans un appartement où tout le monde dort, je trompe mon ennui en lisant ou en me baladant sur le net. C'est justement ce que j'ai fait ce matin. Un petit tour sur ma boîte aux lettres. J'y relève notification de l'interview de Marc Traverson dans "L'entreprise.com" sur le thème "Surmonter l'échec d'une création d'entreprise".
La journaliste qui pose les questions est Corinne Dillenseger. Naviguant de lien en lien, je finis pas mouiller sur son blog : Tout pour elles. Je mets pied à terre et me balade entre les billets. Après une pause rires autour d'un sketch de Florence Foresti, je m'arrête sur les résultats d'un questionnaire intitulé "Le travail -indépendant- et vous". Je trouve l'enchaînement des questions excellent. Quant aux réponses... je m'identifie à fond ! Je n'en crois pas mes mirettes. Emporté par l'enthousiasme, me voilà soudain porté à relater ma propre expérience : j'écris le commentaire le plus long qui se puisse concevoir. Tout d'une traite. C'est un véritable soulagement, un défouloir. Il y a un beau substantif portugais pour dire ce que je ressens : desabafo. Le mot traduit ce qui se passe quand, alors que la coupe est pleine, vous ouvrez les écluses, vous ôtez la bonde.
Voici donc de larges extraits du commentaire laissé sur le site de Tout pour elles.
[Jusqu'à très récemment,] je travaillais moi-même en solo comme consultant en processus de vente pour entreprises de hight-tech. Depuis plus de 5 ans et cela marchait fort bien.
Lève tôt (depuis peu) et couche-tard (depuis longtemps), j'avais fait l'acquisition d'un studio à quelques pas de chez pour moi pour disposer d'un espace autonome de travail. Mes clients étaient sympas, gratifiants, réguliers dans le paiement de mes factures et n'hésitaient pas à me recommander auprès de leur réseau. Le bonheur !
Comme l'activité était intense, les repas étaient irréguliers. J'ai beaucoup aimé l'indépendance & l'autonomie. J'ai adoré notamment la liberté exquise de choisir ses clients, le pouvoir de dire "non" à un client dont certains attributs comportementaux ou éthiques seraient en opposition avec mes valeurs.
Voilà pour le côté fleuri et rose bonbon. Car il y a un autre versant à la médaille. La question 11 du questionnaire stipule : "Quelles sont les 3 choses qui vous dérangent le plus ?" Les réponses sont : la solitude en 1, l'administratif en 2 et l'incompréhension de l'entourage en 3. Je n'aurais pas dit mieux !
Voici quelques anecdotes à ce(s) sujet(s).
Sur l'incompréhension de l'entourage, d'abord. Avant même que je ne démarre mon activité en solo, lors d'un repas de famille un dimanche midi, mon beau-père me prend à parti dans un coin du jardin. Et là, sans préavis, il me balance cette phrase : "Vous n'êtes qu'un irresponsable. De quel droit vous premettez-vous de quitter votre bonne place (de salarié en entreprise, NDLR) ? Je vous rappelle que vous avez charge de famille". Pan sur le bec. Il ne connaissait pas l'objet de ma nouvelle activité et n'avait aucune idée des sentiments qui m'animaient -joie de démarrer à mon compte, angoisse de faillir, fébrilité devant les premiers prospects, difficulté à passer du costume de salarié à celui de "patron". Mais une chose est sûre : en trois coups de cuiller à pot, il venait de me "démolir".
Sur l'administratif maintenant. Quelques semaines plus tard, alors que les statuts venaient à peine d'être déposés (et agréés) et que je démarrais cahin-caha ma recherche de clients, je reçois un avis me signifiant le passage de l'huissier pour saisie. J'aurais soi-disant omis de m'acquitter de la TVA. Bon... Ce n'était qu'une malencontreuse erreur et tout s'est bien terminé sans que le serviteur de la loi n'ait eu à se déplacer. N'empêche ! On a beau dire, on a beau faire, cela jette un froid. Et pour moi, le message était clair. L'administration de mon pays venait d'afficher la couleur. Elle serait mon ennemi, guettant sournoisement ma défaillance. Une ombre grise derrière mon dos, sans visage, mais avec de très nombreux formulaires "cerfa" moches à pleurer. Mais pourquoi ce choix de couleurs hideuses comme le caca d'oie ou le bistre ? Et la rhétorique... comment dire... abstruse ? emberlificotée ? pompeuse ? Bref. En un mot comme en cent : "imbitable".
La solitude enfin...................................................
Le voilà le grand mal qui guette le créateur d'entreprise en solo. Les deux premières années, je n'y ai pas trop prêté attention. Trop occupé. Je travaillais 7 jours sur 7, quelques nuits en sus, pour faire bonne figure malgré les cernes sous les yeux. Bref, je n'avais pas le temps de me retourner. Au sens propre du terme. Conscient que le rythme que je m'imposais ne me menait nulle part, je calmai la cadence en année 3. Je décidai d'être indulgent vis-à-vis de moi et de rompre une fois pour toutes avec l'exigence productiviste que je m'étais auto-infligée. Je m'octroyais donc quelques plages de répit : des week-ends en famille, voire -ô luxe suprême- des parenthèses ciné en plein milieu de la semaine... Enfin, je prenais le temps de me retourner. Mais c'est à ce moment-là justement, en me retournant, que je fis une découverte qui me laissa pantois : personne ne m'avait suivi. J'étais seul. Et comme il régnait autour de moi une incompréhension polie autour de ce que je faisais, à la solitude bien réelle vint s'ajouter quelque chose d'encore plus difficile à supporter. J'ai nommé le "sentiment de solitude". Vous savez, je parle de cette amertume dans la bouche qui vous incite à vous enfermer dans votre mutisme à coups de "à quoi bon", "de toutes façons, tout le monde se fiche de mes états d'âme", "personne ne cherche à me comprendre". Bref, la litanie ennuyeuse du mal-aimé.
Voilà pourquoi, après cinq ans de travail en solo comme créateur de micro-entreprise, je décide de "casser" le jouet que j'avais mis, au démarrage, tant d'enthousiasme à créer. Je reviens dans le salariat. Sur les 5 années passées, mon bilan est en demi-teinte. Oui, c'est génial de se sentir libre de dire "oui" ou "non" à un client, mais que la solitude est lourde à porter et comme il est difficile de supporter le sentiment d'être en marge de la "vie réelle".
Enfin, je voudrais terminer sur une note de desabafo, de colère dépitée. Après avoir côtoyé l'administration de près, je peux affirmer en toute connaissance de cause, que les plus hautes instances de notre pays n'aiment pas les créateurs d'entreprise. Car comment expliquer, sinon, qu'un gérant non salarié de SARL -ce que j'étais- doive payer dès le début de l'année civile l'impôt sur les sociétés au titre de revenus qu'il n'a pas encore encaissés ? Comment expliquer que l'administration exige de moi le versement d'un salaire (alors que je suis statutairement non salarié), si ce n'est parce qu'en me rémunérant sur les seuls dividendes (le fruit du capital), je paierais moins d'impôts et de charges que si je me versais un salaire (le fruit du travail) ?
Il faudra bien un jour que quelqu'un se lève et clame haut et fort la vérité sur cette question : dans notre pays, les revenus du capital et de la rente sont moins taxés que ceux du travail. Or, c'est bien connu, la fiscalité est le reflet des valeurs de la classe dominante. C'est le prisme où se dévoilent ses inclinations d'un côté, son mépris et ses détestations de l'autre. Les hommes d'état qui font mine aujourd'hui d'être du côté du travail sont des bonimenteurs, des bateleurs sans vergogne. La droite qui nous gouverne est du côté du capital, du patrimoine et de la rente. C'était le cas au XIXème siècle, c'est toujours le cas. Plus décomplexée que jamais, n'a-t-elle pas atteint le summum du mépris avec la loi dite du "bouclier fiscal" ? Car ne s'agit-il pas là d'un moyen de plus de complaire les foyers dont les revenus du travail sont modestes voire nuls au regard de leur patrimoine, donc de leur capital ? Enfin, ne croyez-vous pas qu'un président authentiquement désireux de promouvoir le travail eût plutôt choisi de plafonner l'impôt des personnes physiques n'ayant, pour toute source de revenu, que le fruit de leur travail ?
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PS : le présent billet a été repris sous une forme abrégée dans l'Entreprise.com. C'est ici.
Pas mieux sur la morgue avec laquelle l'administration traite l'entreprise... J'ai connu cela lors d'une expérience entrepreneuriale terminée non par choix pour ma part.
Dommage pour votre aventure, d'autant que j'ai eu l'occasion d'assister à vos formations de qualité. Avec toute ma sympathie
Rédigé par : Fred | 01/10/2008 à 15:11
Votre commentaire, Fred, me touche énormément. Pouvez-vous juste me rafraîchir la mémoire sur le moment (l'atelier de formation) où nous nous sommes croisés ?
Rédigé par : Jean-Marc à Fred | 02/10/2008 à 22:58
Génial cet article. Moi qui ai déposé mes statuts vendredi dernier justement, j'ai senti de manière presque imperceptible ce glissement de terrain... Je passais de Créatrice de mode à Chef d'entreprise, autant dire de l'enthousiasme suscité par les gens à la méfiance... Des droits aux devoirs... de l'admirée à la mal aimée.
Rédigé par : Fanny-anosenfants | 05/10/2008 à 09:28
Est-ce le prix à payer pour l'indépendance ? Je ne sais pas. En tout cas, l'aventure mérite d'être vécue. Et puis, pour vous avoir vue et avoir discuté avec vous, j'ai toute confiance que vous saurez surmonter avec brio les tracasseries que l'administration sera susceptible de poser sur votre chemin.
Bon courage à vous, Fanny !
Amitiés,
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Fanny | 05/10/2008 à 16:18
Jean-Marc,
L'atelier de formation s'est tenu début 2006 chez Business Objects que j'ai quittée depuis pour une société de services; mais avec qui je garde une relation de partenariat; comme pour le contenu de votre formation qui a marqué mon profil professionnel comme aucune autre formation!
Frédéric
Rédigé par : Fred | 24/11/2008 à 22:35