J'aime les renards. Celles et ceux qui me font l'amitié de me lire le savent depuis un certain voyage en Irlande. Alors, quand Arthémisia (qu'elle en soit remerciée ici) m'a parlé récemment de la sortie du Petit Prince de Joann Sfar, j'ai bondi sur l'occasion. J'ai illico acheté le livre. Et j'ai été ravi. Le Petit Prince a un visage improbable de martien blond avec de grands yeux bleus qui lui mangent le visage. Mais le renard... Ah oui, le renard. Ce sont ses oreilles qui sont insensées. Longues et effilées. Elles semblent bien lourdes à porter comme les ailes d'un célèbre albatros. Et puis il y a cette phrase ou plutôt cette définition que j'avais oubliée. A la question "Qu'est-ce que signifie 'apprivoiser' ?" , du Petit Prince, le renard répond : "C'est une chose trop oubliée. Ca signifie créer des liens".
Créer des liens. Par le passé, c'était le rôle de la religion. Aujourd'hui, cette fonction est dévolue aux réseaux sociaux façon Facebook.
A propos de Facebook justement, c'est par ce canal que m'est parvenu ce cadeau de Marie-Hélène (un autre grand merci). C'est une superbe vidéo montrant Joann Sfar dessinant au rythme de la lecture du texte de Saint-Exupéry.
Le renard y trône en majesté.
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Addendum : Pour une vision plus économico-pragmatique de l'éthique du lien et de ses implications dans l'économie, voici une intervention intéressante de Jay Rosen.
La seule différence (mais elle est de taille) entre les points du vue du renard et de Rosen, c'est que pour le premier les hommes sont trop focalisés sur l'économie des biens pour prêter attention à leurs liens, alors que pour le second l'économie des liens constitue un préalable indispensable à une saine et juteuse économie des biens.
Heureuse, Jean Marc, de ton adhésion à cette nouvelle version du Petit Prince. Un seul petit "truc" me dérange dans ton billet, c'est l'association des mots "lien" et "économie".
L'oreille des renards ne saurait être gestionnaire de son humanité. Il reçoit sans modération, et n'administre pas. Elle est accueil... et c'est probablement pour cette raison qu'elle est si grande !
Mes bises
Arthi
Rédigé par : Arthémisia | 23/10/2008 à 07:32
Ah l'économie... Elle n'a pas bonne presse par les temps qui courent... Et pourtant. Quand on y pense un peu, l'économie, ce n'est ni plus ni moins que la mise en scène des liens d'interdépendance entre les humains. L'argent y est utilisé comme monnaie, pour des raisons de pure commodité, comme dénominateur commun rendant possible l'échange.
Le renard "reçoit sans modération", pour reprendre tes termes, Arthi. Il sait donner à profusion, aussi. Nous sommes là dans le lien.
L'économie fonctionne (ou plutôt devrait fonctionner) sur le même modèle : donner à profusion pour recevoir sans modération et réciproquement. Si elle est malade aujourd'hui, c'est parce que certains acteurs ont voulu "prêter à profusion", alors que -c'est bien connu- on ne prête qu'à confusion.
Et puis, je voudrais aussi rebondir sur tous ces termes que nous utilisons pour qualifier nos liens sans même nous rendre compte que leur racines vont puiser dans le sol riche de l'économie. Qu'est-ce que le mépris, si ce n'est un lien entaché d'un manque de valeur par l'un des protagonistes ? Qu'est-ce que le discrédit, si ce n'est la rupture du lien par manque de confiance. La confiance, le crédit, la monnaie fiduciaire : trois termes provenant du même mot, mais s'employant dans les registres de l'économie du bien d'un côté, de celle du lien de l'autre.
Enfin, cette crise qui nous accable en ce moment, n'est-elle pas la conséquence d'une rupture du pacte de confiance entre agents économiques ? Perte de confiance, ruputure des liens, crise. CQFD.
Rédigé par : Jean-Marc à Arthémisia | 23/10/2008 à 09:48
Donne-moi un peu de temps (que je n'ai pas du tout en ce moment) et je te reparlerai (ailleurs) de ce renard qui compte beaucoup pour moi depuis cet été...
Je t'embrasse
Arthi
Rédigé par : Arthémisia | 27/10/2008 à 21:04
J'ouvre tout grand mes pavillons.
Rédigé par : Jean-Marc à Arthémisia | 28/10/2008 à 23:42
Prêter aux réseaux sociaux le rôle de créer des liens aujourd'hui au même titre que la religion hier évoque une récurrente crainte à propos de la cybernétique.
Or je pense que l'outil ne remplacera jamais l'homme et un réseau social ne sera jamais qu'une technologie élaborée, une prothèse artificielle belle et bien physique mais incapable de prendre des initiatives au même titre que l'homme. Cet outil, même s'il peut être de plus en plus personnalisé, ne sera jamais personnifié. Il me semble en tout cas nécessaire de ne pas en attendre cette qualité.
Une articulation entre le matériel et l'immatériel, voilà ce qui rapprocherait un réseau social d'une religion.
Comment justifier alors une concurrence quantitative quant à une croyance ou la dimension spirituelle de l'individu ?
Rédigé par : C'est la vie ! | 30/10/2008 à 06:48
Bonjour Jean Marc,
Voici l’histoire du renard.
Cet été j’ai perdu Jean Claude, un de mes meilleurs amis d’une horrible maladie.
Sa fille Laure, pose pour moi.
Laure, le soir de la crémation de son père, rentrait tard en voiture chez elle et passait dans une forêt dont l’accès était grillagé. Elle s’est arrêtée sur le bord de la route pour pleurer et là… un renard est apparu, l’a regardée, a encore avancé un peu, l’a regardée de nouveau, comme cela plusieurs fois. Puis il est reparti dans le bois par un trou du grillage. Laure en le voyant s’est arrêtée de pleurer et s’est trouvée mieux, rassérénée.
Peu de temps après alors que j’ignorais cette histoire, j’ai envoyé à Laure un mail qui contenait une citation tirée du livre d’Arto Paasilinna qui s’appelle « la Forêt des renards perdus ».
Le lendemain, elle m’a appelée pour me raconter sa rencontre nocturne avec le renard et me dire que son père se sachant sur la fin, lui avait promis qu’il reviendrait la voir sous la forme d’un animal.
Au moment de son appel téléphonique, j’étais moi-même en train de relire le passage du renard et du Petit Prince…
Le lien primordial n’est il pas là, dans la mémoire entretenue par l’amour et l’amitié ?
Désolée d’avoir fait dans le sentimental. Pour une fois…
Je t’embrasse.
Arthi
Rédigé par : Arthémisia | 30/10/2008 à 16:21
Devant tant de douleur, de beauté et de mystère confondus, je m'incline.
Rédigé par : Jean-Marc à Arthémisia | 30/10/2008 à 20:07