Lors de ma dernière escapade nocturne dans les rues de Rome, je me suis arrêté longuement Piazza della Minerva. Jusque là, je n'avais jamais vraiment prêté attention à cette place. Bien sûr, la place est superbe. En son centre, il y a cet étrange obélisque du Bernin soutenu par un éléphant goguenard. Il y aussi l'une des rares églises gothiques de Rome, Santa Maria Sopra Minerva.
Et puis, il y a aussi le superbe Grand Hôtel de la Minerve, dont le nom, français, suggère le luxe, l'obséquiosité de serveurs aux petits soins et des notes salées. Je pousse la porte à tambour. Comme il est tard, je me retrouve seul dans le hall rutilant de lumière sous une verrière multicolore. Au fond, trône en majesté la déesse aux yeux pers.
Et c'est là, l'esprit dans le vague après deux verres de Tignanello, en observant la déesse de la guerre, que tout commence à se bousculer dans ma tête. Je revois les héros troyens et achéens rivaliser d'audace pour estourbir leurs ennemis. Je vois le cadavre d'Hector traîné par Achille au pied des murailles de la cité ilienne. J'imagine Ulysse massacrant les prétendants lors de son retour à Ithaque. Plus près de nous, je repense au peintre de batailles d'Arturo Pérez Reverte, au regard écoeuré de Judith du Caravage tirant par les cheveux la tête d'Holopherne sous l'oeil blasé de la vieille servante. Je repense à toutes ces décollations, à ces saints céphalophores, aux premiers martyrs chrétiens. Des chrétiens à nouveau, mais passés dans le camp des vainqueurs : voici les milices fascisantes de Pierre Gemayel passant sommairement par les armes les réfugiés palestiniens de Chatila, sous les yeux merveilleusement bleus d'Ari Folman, alors jeune recrue de Tsahal. Avec ou sans Bachir, je vois s'accélérer sous les yeux vides de la déesse la valse des atrocités. Je me souviens alors d'une conversation avec Dave K., un Américain à Paris, qui ne comprenait pas comment l'Europe pouvait être aussi ringarde au regard des "US standards". Je lui rappelai alors que l'Europe avait deux passions : la beauté et la cruauté. Je lui indiquai que cela pouvait aller jusqu'à la destruction de soi, que le XXème siècle en était l'illustration exemplaire. Je lui glissai aussi que les Etats-Unis n'auraient jamais eu une gloire aussi rapide au firmament des nations s'ils n'avaient pas tiré leurs marrons du feu, quand nous parachevions notre déchéance dans le sang et dans l'horreur. Minerve et vermine : deux anagrammes pour dire le destin de notre continent. La guerre profite toujours à quelqu'un. Ecoeuré par le tourbillon des images, je quitte la déesse vierge aux yeux pers. Car il faut être vierge pour aimer si peu la vie et jouir autant de la souffrance des hommes. Je quitte précipitamment le hall de l'hôtel. Je pousse avec vigueur le tambour et me retrouve dans l'obscurité de la nuit romaine.
En face de moi, à quelques mètres à peine, l'éléphant du Bernin m'observe.
Il me sourit.
Carissimo Jean-Marc,
Il est plaisant de penser que le sourire de cet éléphant romain, s’est propagé il y a bien longtemps jusqu’à Catane en 1735, puisqu’un autre éléphant cette fois en basalte noir, surmonté lui aussi d’un obélisque veille depuis sur la ville noire et blanche au pied de l’Etna. Emblème de la cité sicilienne, il apparaît d’ailleurs aussi sur son blason. Et l’idée de la Fontana dell’Elefante réalisée par Vaccarini, sur la Piazza del Duomo, bien qu’elle s’exprime dans un style différent, a été, on l’affirme, totalement inspirée par ce monument du Bernin.
Comme on le sait, la magie se cache la plus part du temps dans les statues, l’on dit aussi que celle-ci est magique. A coup sûr… Depuis le XVIIIème siècle, entr’autres, elle protège Catane des colères de son Volcan.
S’il y a des statues maléfiques, il y en a d’autres de par le monde comme cet éléphant, bénéfiques et protectrices, il faut y croire et même rêver qu’il y en ait encore un peu plus par les temps qui courent…Sur le Continent d’à côté, où il y en a aussi de bénéfiques, il s’est passé des choses….
P.S. J’ai bien aimé la citation de Desproges transmise lors du billet précédent.
Bien à toi. A bientôt, Ghislaine.
Rédigé par : Ghislaine | 08/11/2008 à 08:53
Merci Ghislaine de me faire voyager en Sicile (une île où je rêverais de laisser filer le temps). Merci aussi de me faire découvrir ce sympathique éléphant noir aux pouvoirs magiques, protecteur de Catane.
A propos de magie. Selon des observateurs avertis, il y a quelques jours, aux USA, l'éléphant noir de Catane se serait dédoublé : l'animal aurait disparu, mais la couleur, elle serait restée !
Black is Beautiful!
Rédigé par : Jean-Marc à Ghislaine | 09/11/2008 à 09:28
Nonobstant l'ensemble de votre billet et les vapeurs d'un rien d'alcool, l'éléphant vous souriait vraiment, il le fait toujours et à presque tous, quelles que soient les pensées qui vous animent. Sacré pachyderme !
Rédigé par : Massilimanga | 11/11/2008 à 20:04
C'est vrai qu'il sourit à quiconque le regarde, cet éléphant. Est-ce pour cette raison que les Romains l'ont affectueusement surnommé "il pulcino della Minerva", le poussin de la Minerve ? A peau épaisse, coeur tendre ?
Rédigé par : Jean-Marc à Massilimanga | 12/11/2008 à 00:20
Merci pour ce joli article :) La Palestine est le seul pays arabe ou le taux d'analphabétisme est très bas et ce pays a donné de très éminents intrellectuels arabes. Il faut trouver une solution à ce conflit. N'oublions pas que nous sommes tous les descendants d'Adam et Eve :)
Rédigé par : Paix | 15/07/2009 à 19:03